Kirikou, Azur et Asmar, Dilili, tant de chef-d’œuvres que l’on doit au cinéaste Michel Ocelot. La maison d’édition Third Editions nous propose de rendre hommage à cet artiste et ses œuvres à travers un sublime ouvrage baptisé Michel Ocelot, Le poète des ombres.
« Entre biographie et parcours de l’animation par de nombreuses voies, le livre se penche sur cet artiste du cinéma qui n’a brillé que bien tard dans sa vie. »
Après une préface touchante de Michel Ocelot lui-même expliquant le contexte dans lequel est né ce projet existant depuis longtemps dans les cartons de Nathan Bonvallet, il se demande avec humilité « Comment peut-on dire tant de choses sur mon travail et ma personne ? ». Et pourtant, malgré les nombreuses récompenses prestigieuses, tout comme l’auteur, au fil des pages que l’on tourne, nous découvrons avec bonheur et non sans nostalgie les storyboards et autres dessins préparatoires des films d’animation bien ancrés dans le paysage cinématographie français. C’est d’ailleurs l’une des volontés de l’auteur, lorsque peu de temps avant de commencer notre lecture, ce dernier nous souhaite « un bon voyage au-delà des ombres, dans l’esprit d’un orfèvre de l’animation » (Nathan Bonvallet). Parce que c’est bien ce qu’est Michel Ocelot avant tout qui se décrit lui-même comme un artisan au service du cinéma d’animation et héritier d’un cinéma plastique fait main.
Retraçant la carrière de l’artiste depuis sa genèse jusqu’à aujourd’hui ou presque, en abordant le succès mondial de Kirikou et la Sorcière, le livre nous emmène au cœur de cet art avec excitation. Au fil de notre lecture, nous ressentons la passion avec laquelle l’auteur, Nathan Bonvallet, a rédigé ces lignes. Que ce soit en évoquant les techniques employées ou la patte artistique de Michel Ocelot, nous ressortons enrichis culturellement de cette lecture.
Un hommage à l’artisan du cinéma et sa patte
L’ouvrage est un très bel hommage à l’artiste qu’est Michel Ocelot. Il se consacre d’ailleurs à revenir sur les techniques et la patte artistique de l’artisan du cinéma qui a fait sa renommée. Si son domaine de prédilection est le conte, il varie les techniques (napperons de pâtisseries découpés, imagerie gothique, ombre chinoise) pour « honorer le fond de son histoire d’une forme ».
L’ouvrage est parsemé de documents précieux ainsi que de citations, fruits de nombreux échanges qui permettent d’illustrer et d’étayer les propos de Nathan Bonvallet, rendant ainsi l’ouvrage unique et d’autant plus agréable à parcourir. Découvrir les idées et les storyboards de chef-d’œuvres de l’animation a un goût particulier de satisfaction extrême et nous permet de plonger encore un peu plus dans l’univers graphique et merveilleux de Michel Ocellot.
À travers Michel Ocelot, Le poète des ombres, nous redécouvrons la définition du conte selon l’artiste qui le considère justement comme « une bonne histoire qui permet de toujours transmettre une morale avec une véritable efficacité ». Là est tout l’enjeu de ce livre : partager la recette magique de l’auteur qui consiste à distiller le merveilleux et son aspect féerique avec la morale pour un aspect didactique.
« Avec le conte de fées, j’ai trouvé mon langage. » Michel Ocelot
L’ouvrage s’attelle à nous expliquer que le conte est un véritable vecteur de créativité pour Michel Ocelot, qui lui permet de « dire » la cruauté du monde par le fabuleux. Un véritable poète des ombres qui, par sa créativité et son univers graphique, utilise l’image pour « faire plaisir à la rétine ». Le conte lui offre une certaine liberté et est un langage accessible et implicite qui lui permet de surprendre tous les publics. Si l’ouvrage n’est pas à la portée de tous les publics, l’œuvre de Michel Ocelot l’est.
Par une analyse subtile du conte ocelotien, Nathan Bonvallet met en lumière toute la dimension philosophique et les schémas narratifs de l’artiste sublimés par les images et les éléments magiques. Ce conte est voué à se répéter par nécessité en utilisant le schéma narratif classique des contes. Que ce soit Kirikou, Azur et Asmar et autres chefs-d’œuvre ocelotiens, leurs aventures ont suivi le même schéma : situation initiale – élément perturbateur – péripéties – résolution – situation finale. Un enchâssement visuel et narratif que l’auteur met en lumière et qui explique que la quête du héros ocelotien est régie par le devoir moral ou des légendes prophétiques et magiques. C’est cette répétition qui fait la constance stylistique de l’art de Michel Ocelot. C’est un faiseur d’histoires hors pair qui maîtrise ses classiques et ses rouages narratifs.
Tout comme Michel Ocelot qui invite tous les spectateurs à l’évasion en faisant appel aux prophéties magiques avec la présence, dans ses œuvres, d’êtres magiques, de métamorphoses et bien d’autres éléments merveilleux, Nathan Bonvallet nous plonge au cœur de la réflexion et des coulisses derrière la création de cette évasion philosophique.
La magie ocelotienne, comme l’explique l’auteur de cet ouvrage, atteint son paroxysme avec Azur et Asmar où tous les éléments qui constituent la magie et la patte du travail d’Ocelot sont réunis. Ainsi, se mêlent et s’entremêlent l’optimisme héroïque (éloge de la bienveillance), l’omniscience avec l’utilisation d’une caméra non-subjective dévoilant de profil les décors et les personnages ou encore l’utilisation du « zoom » avant et arrière qui est un motif signifiant de l’œuvre d’Ocelot et qui vient révéler de manière progressive l’univers dans lequel se bâtissent les récits et appuie les discours, que ce soit les éléments narratifs ou bien les réactions des personnages.
Ces éléments viennent créer des échos esthétiques et narratifs qui sont caractéristiques de l’œuvre de Michel Ocelot et que Nathan Bonvallet nous détaille dans ces lignes : ombres chinoises, 2D traditionnelles, recours aux décors récurrents de jungle ou encore la reprise de motifs visuels et narratifs sont au cœur de l’œuvre graphique de Michel Ocelot. Ces échos se répondent et cherchent à représenter une nature non corrompue par l’Homme et son obscurantisme. Si Michel Ocelot utilise les ombres dans ces œuvres, c’est également pour dépeindre l’austérité d’un monde.
Au-delà du merveilleux, les ombres
Véritable poète des ombres, par son art, le penseur-animateur vient dépeindre la noirceur du monde dans la droite lignée des contes dont il est l’héritier. C’est la deuxième visée du discours de Nathan Bonvallet qui, dans ses lignes, cherche à mettre en lumière l’aspect didactique et philosophique de l’œuvre de Michel Ocelot qui ne s’arrête pas seulement à de belles images. Et c’est justement tout l’art du penseur-animateur qui souhaite imprimer dans l’esprit des spectateurs des leçons primordiales en dénonçant l’intolérance sous toutes ses formes.
Ce qui transparaît souvent dans ses œuvres, c’est le rejet de l’autre et de sa différence par la masse. Par exemple dans Kirikou et la Sorcière, les villageois et les enfants (la masse) se moquent ou ignorent les avertissements de Kirikou. Pourtant, ce dernier les sauve à chaque fois. Nathan Bonvallet insiste sur la structure habile des schémas et scénarios ocelotiens : la médisance contre la bienveillance. La stigmatisation et le regard de l’étrange prennent de la place dans les contes ocelotiens.
S’il utilise les belles images pour écrire son scénario ocelotien comme « une quête obstinée de la dignité humaine », c’est que Michel Ocelot souhaite plaire, mais également et surtout instruire. Dans tous ses contes, la société est corrompue et aveuglée. Il montre explicitement la violence des êtres et du monde sans jamais voiler la vérité qui, selon lui, ne rime pas forcément avec d’horribles images. Là est tout la beauté et la force de l’art du penseur-animateur. Nathan Bonvallet utilise le très bel exemple de la sorcière Karaba (Kirikou et la Sorcière) qui a une épine plantée dans son corps, véritable symbole de la violence qu’elle a subie par les hommes. Dès le story-board, Michel Ocelot souhaitait montrer cette douleur en déformant le visage de Karaba. Il raconte la terrible réalité des rapports de force entre les êtres (physiques et morales).
L’ensemble est maîtrisé sans tomber dans l’hommage adorateur. Nathan Bonvallet a su parfaitement mettre en lumière l’art de Michel Ocelot sublimé par Third Editions. Tout au long de notre lecture, on ressent sa passion pour ses œuvres et cet art si singulier.
Véritable must-have pour les adorateurs de l’œuvre de Michel Ocelot, ou pour ceux qui veulent découvrir son art, Michel Ocelot : Le poète des ombres plonge le lecteur dans l’univers du penseur-animateur pour révéler toutes ses pensées et idées derrière ses œuvres les plus emblématiques. On adore tout particulièrement les interventions sous forme de citations de Michel Ocelot lui-même qui apportent une note touchante à l’ouvrage ainsi que les nombreux documents comme les story-boards qui nous donnent l’impression d’avoir un objet des plus précieux entre les mains.
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