Le 14 mai 2021, un mythe du monde du jeu vidéo va revenir à la vie dans ce qu’on espère tous être son plus bel écrin. Désigné par deux mots qui font vibrer toute une communauté de joueurs, Mass Effect revient dans une édition à la hauteur de sa réputation : Légendaire. Retour et exploration d’un space opera mythique. Expédition garantie sans spoiler majeur.
Fondation
Jusqu’en 2007, les grands noms de la science-fiction vidéoludique se nomment Gears of War, Fallout, ou Bioshock. Un titre va venir s’imposer parmi ces grands noms, et bouleverser les codes de l’action-RPG : Mass Effect.
Pour comprendre l’impact qu’a eu ce jeu, et ce qui fait de lui un objet unique dans le paysage vidéoludique, nous devons tout d’abord nous tourner vers ses créateurs : le studio canadien BioWare. Fondé en 1995 à Edmonton au Canada, le studio a toujours puisé son inspiration dans les jeux de rôle papier. Il est probable que de cette inspiration viennent deux des grandes marques de fabrique de BioWare : la grande qualité d’écriture de leurs productions, et l’attrait pour des systèmes de jeu complexes. Les Canadiens ont toujours privilégié un background et un fond cohérent et solide à un emballage graphique rutilant.
Étant donné la passion du studio pour le jeu de rôle, il était presque évident que leur première production soit en lien avec cette passion. En 1998, ils héritent de la licence Dungeons & Dragons. Peu après sort leur premier titre : Baldur’s Gate. Coup d’essai, coup de maître. BioWare vient d’enfanter une œuvre qui marque les esprits. S’ensuivront de nombreux autres titres, tous empreints de la patte BioWare : une narration au cordeau et des systèmes de jeu d’une profondeur incomparable.
Cependant, au fil du temps, le studio souhaite s’émanciper de la licence D&D, et espère pouvoir s’attaquer à une autre grande licence : Star Wars. Ce sera chose faite en 2003 : les Canadiens livrent Knights of the Old Republic (KOTOR). Ce sera un nouveau succès retentissant. Beaucoup pensent encore aujourd’hui qu’il s’agit du meilleur jeu vidéo dans l’univers de Star Wars.
De Baldur’s Gate à KOTOR, le style de BioWare a beaucoup évolué, tant graphiquement qu’en termes de gameplay, quittant le jeu typé « C-RPG» avec vue du dessus, pour aller vers une formule plus tournée vers l’action à la troisième personne. Mais une fois de plus, le studio est comme prisonnier de l’exploration d’un background imposé : celui de D&D pour Baldur’s Gate, et de Star Wars pour KOTOR.
2007 sera le moment de l’émancipation pour BioWare. Les Canadiens annoncent le développement d’une licence inédite. Loin d’un Star Wars se déroulant dans un lointain passé imaginaire, Mass Effect sera ancré dans des projections (plus ou moins) scientifiques. Que se passerait-il si l’humain découvrait un moyen de voyager à l’autre bout de l’univers, et rencontrait d’autres créatures intelligentes ?
Chroniques martiennes
En partant de ce simple postulat, Casey Hudson (concepteur du jeu) et Drew Karpyshyn (principal scénariste) vont livrer un background dense et solide.
En 2148, l’être humain découvre sous la surface de Mars les vestiges de la civilisation d’une race disparue : les Prothéens. Cette découverte permettra aux Hommes de maîtriser une technologie au-delà de l’imagination : le « Mass Effect » ou « effet cosmodésique » en langue de Molière. Ceci permettra aux êtres humains de voyager à des vitesses supérieures à celle de la lumière. Grâce à des relais cosmodésiques disséminés à travers la galaxie, le voyage interstellaire est maintenant possible. L’expansion de l’espèce humaine à travers la galaxie peut alors commencer.
L’être humain va dès lors rencontrer de nombreuses civilisations et espèces extraterrestres. Ces dernières sont rassemblées sous la bannière d’un gouvernement intergalactique. Malgré un premier contact assez belliqueux, la race humaine finit par être reconnue comme espèce à part entière. Cependant, aucun être humain n’a le droit de siéger au Conseil Galactique.
Le titre se distingue par une intrigue digne de grands romans d’anticipation, avec des enjeux sociaux et politiques complexes. L’ombre d’auteurs tels qu’Asimov, Orson Scott Card ou Ray Bradbury plane sur tout le scénario.
Concernant la conception graphique, Preston Watamaniuk, le directeur artistique (fortement aidé de Matt Rhodes), impose une direction artistique fortement marquée par les romans de hard-SF des années 70 et par l’imaginaire de Chris Foss ou de Moebius. Bien entendu, le jeu dispose de sa propre identité visuelle, et les développeurs vont mettre un point d’honneur à offrir une remarquable cohérence graphique à l’ensemble du titre.
Le Guide du voyageur galactique
Lorsque les joueurs se retrouvent manette en mains, ils sont projetés en l’an 2183. Les êtres humains désespèrent de ne pas pouvoir siéger au Conseil Galactique, et surtout de ne pas bénéficier de tous les avantages qui en découlent. L’avantage majeur étant de disposer de « Spectres », de super agents qui feraient passer les agents de la CIA et du KGB pour de la bleusaille de l’armée d’un petit pays.
Les Spectres, pour « Special Tactics and Reconnaissance », aussi abrégé en ST&R, ont pour prérogative de faire respecter les décisions du Conseil Galactique. Ceci sera le point de départ de votre odyssée spatiale : en tant que joueur, vous serez appelé à devenir le premier aspirant Spectre humain, mis à l’épreuve pour prouver sa valeur, mais aussi celle de toute son espèce.
À ce titre, votre première mission sera de mener l’enquête à propos de tragiques événements ayant eu lieu sur la colonie humaine d’Eden Prime. Les colons y ont subi une violente attaque perpétrée par des agresseurs inconnus. Ce sera le début de votre aventure, qui vous amènera à découvrir que tout ceci n’est que le début d’un cycle plusieurs fois millénaire. Pendant ce cycle, toute vie est détruite par des entités appelées « Moissonneurs », des créatures supérieures à toute autre forme de vie, ayant conçu une méthode de génocide à grande échelle afin de pouvoir perpétuer leur espèce… En bon héros de jeu vidéo, ce sera à vous, le Commandant Shepard, de mettre un terme à cette apocalypse galactique.
Si le titre se présente comme un action-RPG sous un format third-person shooter, BioWare n’en reste pas moins un créateur de jeux de rôle, et c’est exactement ce que le studio va faire avec Mass Effect. Le joueur peut donc choisir d’interpréter un personnage préétabli, ou de personnaliser entièrement son Shepard : apparence, sexe, carrière militaire, et ses choix ultérieurs en jeu détermineront son orientation sexuelle. En matière de carrière, le choix vous est donné entre autres, entre soldat d’élite, expert en technologie ou mutant aux pouvoirs psychiques.
Étoiles, garde-à-vous !
Mass Effect a pour particularité de laisser une grande liberté au joueur. À l’époque de sa sortie (2007), on n’utilise pas encore le terme open-world pour le qualifier, nous nous en abstiendrons donc. Le joueur peut tout à fait se lancer dans l’intrigue principale, en ignorant toutes les quêtes secondaires, mais il passerait alors à côté de tout ce que le titre a à offrir.
En effet, toute la richesse du jeu repose sur l’univers créé par BioWare, et les multiples possibilités d’exploration qu’il vous propose. Les développeurs ont réalisé une multitude de planètes et de mondes à part entière, tous dédiés à votre exploration. Pas moins de dix-sept systèmes ont été créés, chacun disposant de deux à cinq planètes visitables. Autant vous dire que tout voir dans Mass Effect vous prendra des dizaines d’heures. L’exploration se fera grâce à votre vaisseau iconique, le Normandy, qui vous mènera de système en système, puis à pied, ou à bord d’un véhicule terrestre connu sous le nom de Mako.
Chaque planète à explorer vous apportera de nouvelles armes, équipements, ressources, ou fera avancer l’histoire et étendra le lore du titre, que vous pourrez consulter à loisir grâce au codex inclus dans le jeu.
Vous serez accompagné dans ce space opera par des personnages de diverses races et origines : les humains Kaidan Alenko et Ashley Williams, la quarienne Tali’Zorah nar Rayya, l’asari Liara T’Soni, le turien Garrus Vakarian et le krogan Urdnot Wrex. Difficile de vous présenter ces protagonistes sans vous spoiler une partie de l’aventure et de vous gâcher la découverte des traits de personnalité de ces personnages.
Sachez simplement que, héritage de jeux de rôle oblige, le titre est très riche en dialogues et bénéficie d’un système de liberté de réponse tout droit venu des belles heures de Baldur’s Gate et de KOTOR. Les choix que vous ferez pourront être anodins et sans conséquence, ou avoir des répercussions cruciales pour vous, vos équipiers ou même une race tout entière. Répercussions qui peuvent se ressentir jusque dans le troisième épisode de cette saga.
Dès les prémices de développement du titre, Casey Hudson et Drew Karpyshyn ont la ferme intention de produire une trilogie, où le joueur incarnera le même héros. Une prise de risques énorme à l’époque, puisque cela s’assortit de la possibilité de conserver sa sauvegarde d’un jeu à l’autre, mais aussi pour le nouveau joueur d’embarquer dans l’aventure en cours de route (mais nous reviendrons ultérieurement sur ce point). Un choix d’autant plus risqué que si le jeu n’emporte pas l’adhésion du public, ceux qui auront aimé le jeu pourraient se retrouver avec une histoire inachevée, faute de moyen pour concevoir la suite…
Le meilleur des mondes
Mass Effect recevra un accueil dépassant toutes les espérances de ses créateurs. Il est très bien reçu tant par les joueurs (à ce jour, le titre comptabilise plus de 3 millions de ventes, tous supports confondus) que par la critique (avec un metascore de 89 sur un site bien connu). Le public est emballé, les forums se créent pour échanger autour du jeu, son lore fascine, les théories vont bon train quant à l’avenir des aventures de Shepard.
Il faut dire que rien n’avait été laissé au hasard : les graphismes soignés, une fabuleuse musique (une OST spatiale composée par Jack Wall), la qualité des dialogues et des doublages, tout y était pour produire un chef-d’œuvre. Hudson et Karpyshyn avaient réussi leur coup, Mass Effect était en train de s’imposer comme un monument dans le monde du jeu vidéo, mais aussi de la science-fiction en général. La licence trouve son chemin dans le cœur des fans du genre, entre des grands titres tels que Dune, Star Wars ou Alien.
Les nominations et récompenses pleuvent pour le titre : nommé en 2006 pour le prix du meilleur jeu à l’E3, il obtiendra le prix l’année suivante lors du salon 2007. Le jeu obtient également en 2006 et 2007 le prix du meilleur jeu de rôle aux Game Critics Awards.
L’avenir semble radieux, mais il se ternit rapidement… Quelques heures à peine après la sortie console du titre, l’annonce tombait : Electronic Arts venait de racheter BioWare. Chez bon nombre de joueurs, fans ou non du travail du studio canadien, l’inquiétude surgit. Les développeurs allaient-ils pouvoir garder leur indépendance, et continuer à offrir des suites dignes de ce nom à Mass Effect premier du nom ? Ou leur licence allait-elle se métamorphoser en un blockbuster prêt à consommer made in E.A. ?
Affaire à suivre…