Les ouvrages sur les jeux vidéo sont relativement nombreux, et ont même leurs maisons d’éditions dédiées, avec, par exemple, Pix’n Love ou Third Editions. Cependant, l’immense majorité des ouvrages proposés sont plus ou moins des biographies, récits de la vie d’un créateur, d’un studio, ou d’une saga. Avec Le Grimoire et le Monstre, de Jean Charles Ray, Pix’n Love publie enfin un ouvrage critique sur le jeu vidéo, genre trop rarement édité en français.
L’auteur prend le parti d’analyser le jeu vidéo sous le prisme de deux grands motifs de littérature fantastique : le grimoire, et (vous l’aurez deviné vu le titre de l’ouvrage) le monstre.
Le grimoire, c’est cet ouvrage cryptique possédant de grands pouvoirs, c’est à la fois un puzzle et la solution. L’auteur reviendra sur les grimoires, au premier degré, que l’on trouve dans les jeux, leurs rôles, l’aspect « lecture » qu’ils engendrent (et qui transforment temporairement le vidéoludique en littérature « pure »), mais aussi sur le fait que le jeu vidéo en tans qu’objet *est* une forme de grimoire : un jeu vidéo est d’abord une collection interminable de lignes de codes incompréhensibles pour le profane, qui ont pourtant le pouvoir de nous transporter dans des aventures insoupçonnées, de nous raconter des choses, de nous en apprendre d’autres, de nous faire nous rencontrer, discuter, voire nous disputer…
Le monstre c’est la créature qui introduit l’incertitude, c’est la figure de l’inconnu. L’existence du monstre a-t-elle une explication rationnelle (mutation, expérience scientifique…) ou irrationnelle, signifiant l’irruption du merveilleux dans notre monde très codifié, très maîtrisé ? Jean Charles Ray écrit :
« Le monstre est toujours affaire de distance ; il est tantôt absent, hors de portée, tantôt trop proche, déjà contre nous. Or, c’est toujours dans l’intervalle qu’il est en pleine majesté… » (p.34)
Et, toujours selon Ray, le plaisir du jeu vidéo se situe justement dans cet intervalle, celui situé entre la fiction et la réalité. On joue à croire à ce qu’on voit, ce qui permet l’immersion, mais on sait que tout est faux. On a peur, mais on ne risque rien, ce qui nous permet de jouir de cette peur.
Une lecture à l’aune de ces deux insignes de la littérature fantastique qui permet de balayer un large spectre de jeux, d’horreur, beaucoup (Dark Souls ou Resident Evil, bien entendu, mais aussi Dead Space, Castlevania, Clocktower…), mais pas seulement : Pac Man, Spec Ops: The Line, Shadow of the Colossus, Super Meat Boy, Return of the Obra Dinn… Un large spectre de thèmes également, Ray revenant souvent sur la « guerre », factice selon lui, entre les ludologues (partisan du gameplay) et les narratologues (partisan de la narration), entre le game (le système ludique) et le play (l’activité de jouer).
Le livre nous invite à chaque page à voir le jeu vidéo différemment, à réfléchir sur le média et sur notre propre activité de joueur. Refuser le chantage de Dormin quitte à sacrifier la jeune fille dans Shadow of the Colossus, et couper le jeu avant d’abattre les Colosses n’est-il pas aussi une « fin » entendable au jeu ?
Enfin, et peut-être surtout, le livre, à travers ses références, est une mine presque inépuisable d’idées de jeux et de lectures. On en sort avec l’envie de jouer, ou de rejouer à la lumière de ce qu’on vient de lire, à une quantité de titres, mais aussi avec une belle liste de lectures futures pour en apprendre encore plus sur le jeu vidéo, le fantastique, la littérature, les monstres… L’ouvrage est le premier d’une collection critique intitulée Savoirs Videoludix. On espère qu’elle s’enrichira rapidement !
Le Grimoire et le Monstre, de Jean Charles Ray, éditions Pix’n Love, Avant-propos par Bernard Perron et Alexis Blanchet, 198 p., 14,90€.
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