Il y a dix ans de cela sortait Journey, un jeu comme on n’en avait jamais vu auparavant. Une expérience vidéoludique et sociale magistrale, volontairement minimaliste, interrogeant la place du jeu vidéo dans l’art, et mettant en exergue sa capacité de médium thérapeutique. Ce jeu, par bien des aspects, aura réveillé chez nombre de joueurs un lot d’émotions comme peu d’autres auront su le faire.
Dès les premiers instants, le ton est donné : un air effacé mélancolique de violons en arrière-plan, le désert omniprésent, puis le simple bruit de vos pas dans le sable alors que vous êtes perdu dans ces dunes à perte de vue et, enfin, cette montagne apparaissant au loin, destination que vous ne perdrez (presque) pas des yeux tout au long de votre périple.
En dehors de sa sublime esthétique, et de la divine bande-son d’Austin Wintory (un vinyl collector sera d’ailleurs réédité par iam8bit et Just for Games à l’occasion de cet anniversaire), Journey se prévalait d’un mode multijoueur en ligne unique. S’il mise plus sur l’échange que sur la coopération à proprement parler, une de ses particularités était qu’il limitait la communication entre les deux joueurs à des petits cris. Une caractéristique essentielle du jeu en ligne résidait dans la capacité des joueurs à contourner ce manque de moyens pour parvenir à partager l’essentiel.
Le voyage de cet avatar asexué, également dénué de visage, de paroles et de nom, aura su résonner avec les expériences de vie des joueurs : il aura eu un côté thérapeutique indéniable pour beaucoup, allant même pour certains jusqu’à faciliter le deuil. Un joueur a notamment raconté, suite au décès d’un proche, qu’il avait ainsi pu projeter dans son partenaire de jeu éphémère son ami défunt, le temps d’une aventure en ligne se concluant par un adieu qu’il n’avait pas eu la chance de faire IRL.
À l’occasion de ce dixième anniversaire, Jenova Chen, le PDG de ThatGameCompany, s’est entretenu avec nos confrères de Gamesindustry.
« Je pense que c’est vraiment ce qui manquait à l’industrie à l’époque. Nous ne manquions pas d’incroyables simulations de combat, de conduite et de sport. Il nous manquait le côté plus émotionnel, plus nuancé, plus artistique. […] Il fut un temps où les histoires émotionnelles n’apparaissaient que dans les cutscenes, mais aujourd’hui, beaucoup de jeux vous font pleurer même pendant que vous jouez. Pour moi, c’est un grand progrès dans l’industrie. » – Jenova Chen, PDG de ThatGameCompany.
Il raconte notamment dans cet entretien les réflexions qu’il a pu avoir avec l’équipe de développeurs quant à la création d’un cadre de jeu favorisant l’entraide plutôt que la rivalité. On peut ainsi découvrir que l’absence de certains éléments habituels résulte en réalité d’un design volontairement plus limitant : l’absence de genre ou d’identifiant (notamment du PSN ID à l’époque) permettait ainsi aux joueurs de se représenter plus facilement dans cet avatar. L’absence de bras entrave de son côté des actions comme donner un coup de poing ou pousser, et celle de ressources évite les possibles vols ou compétitions associés.
Journey fut, au même titre que Final Fantasy à son époque, un périple semé d’embûches pour le studio derrière le jeu, dont l’endettement à la fin du développement a provoqué le départ de certains membres. Le succès aura toutefois permis à ThatGameCompany de rebondir, pour produire depuis Sky: Children of the Light, digne héritier de Journey. Espérons que la (conséquente) dernière levée de fonds du studio lui permette de produire d’autres merveilles du genre, pour ramener une nouvelle fois les émotions au cœur du jeu, et faire vibrer le plus grand nombre.
Sky – Après iOS, le nouveau thatgamecompany s’envolera plus loin encore
City
Sky: Children of the Light déploie ses ailes sur d’autres plateformes qu’iOS
City