N’étant plus grand consommateur de télévision, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir (un an après sa sortie) un bref extrait de la (très belle) bande-annonce PlayStation pour l’UEFA Champions League.
Sa version raccourcie, dans laquelle on voyait simplement Kratos et Atreus rentrer sur le terrain, me paraît encore plus réussie que sa version longue. Non pas que le trailer dans sa totalité soit mauvais, mais la brièveté du moment m’a laissé perplexe. Impatient de mettre les mains sur le jeu, j’étais bouche bée de voir les deux héros débarquer en plein milieu d’un match OM-Lens pour lequel ma hype était inversement proportionnelle. Mon cerveau n’a tout simplement pas su comment réagir, et m’a fait recracher ma gorgée de thé à la menthe de surprise.
Et cette pub, que j’ai appréciée, m’a fait oublier le classicisme de toutes ces bandes-annonces qu’on a récemment pu voir pour les différentes événements de l’automne : RE Showcase, Silent Hill Showcase, PlayStation Showcase… sans même évoquer toute la logorrhée vidéoludique que la Paris Games Week va nous envoyer en pleine tronche.
Cette publicité m’a remémoré une vidéo du fossoyeur de films un peu datée, mais présentant un constat toujours valable à l’heure actuelle pour le jeu vidéo : on manque cruellement de trailers marquants. Un état de fait d’autant plus triste qu’il semblerait bien plus facile (et cohérent) de s’amuser avec ce support dans l’industrie vidéoludique.
« Les bandes-annonces sont un espace de créativité, avec le défi à la fois d’avoir leur propre équilibre et d’être fidèle à l’esprit du film. » – Le fossoyeur de flims, qui ne sont pas flims sur le cyclimse.
« Je montrerai à ces gens ce que vous ne voulez pas qu’ils voient. »
L’influence du cinéma sur les trailers de jeux vidéo paraît évidente. Pas forcément dans leur forme, parce que même si certains ont un aspect cinématographique (les AAA narratifs notamment), tous les jeux ne sont pas dotés de cinématiques permettant d’en faire une bande-annonce. Plutôt par l’agenda formaté qu’on nous propose désormais de façon systématique.
« Annonce avec un teaser |> Bref trailer alléchant donnant une idée très floue du contexte de l’histoire |> Second trailer reprenant des images du précédent, mais un peu plus long |> Trailer de Gameplay, parce qu’il faut voir les incroyables nouveautés |> Trailer d’événement ou de conférence où on en rajoute une couche |> Dernier Trailer Ultime, parce que vraiment on ne vous a pas tout montré |> Trailer surprise du jour sortie que personne n’avait vu venir tellement on est unique. » – Le planning des trailers établi avec minutie par David Goodenough
Certes, dès lors qu’ils sont dotés d’un budget conséquent, les jeux peuvent se targuer d’un trailer original qui ne soit pas composé de bribes de cinématiques du jeu. Blizzard est, de mémoire, un des premiers studios à s’être imposé avec de telles créations.
Il y a vingt ans, c’est vrai, l’aspect graphique pouvait assurer le spectacle et la surprise du spectateur, qui savait qu’il vivrait dans le jeu ce qu’il voyait dans la bande-annonce, mais pas de la même façon.
Aujourd’hui, ce n’est plus la même : la qualité des moteurs de jeu est devenue bluffante, leur rendu frisant le photoréalisme, et il est beaucoup plus facile d’intégrer des images du jeu (gameplay footage) dans les bandes-annonces. Malheureusement, cela permet d’accélérer leur création et on y perd au change : adieu le trailer réinterprétant l’univers, adieu la découverte et l’émerveillement, bonjour le spoiler et le bullet-time.
Les bandes-annonces qui m’ont le plus marqué, ce ne sont pas celles qui étaient les plus belles, mais celles qui auront su me surprendre ou m’émouvoir. Je garde notamment en tête l’indémodable trailer de Dead Island (2011), une véritable leçon de mise en scène : sans même nous montrer une image du jeu, de gameplay ou juste des protagonistes qu’on incarnera, on finit traumatisé par cette vidéo entrecoupée de scènes montées à rebours. La simplicité de la musique, une mélodie au piano si douce, contrebalance un contexte d’une violence incroyable pour mieux en faire ressortir l’horreur.
La première bande-annonce de The Last of US Part 2 (2016) joue avec les mêmes éléments : une musique mémorable dont les paroles résonnent encore en nous ; des cuts relativement courts, mais marquant dans leurs images ; et il se paie même le luxe d’être encore plus intéressant rétrospectivement, puisqu’il présente une scène complètement absente du jeu au final, et d’autant plus touchante lorsqu’on comprend qu’il s’agit d’un dialogue intérieur. Les créateurs auront poussé le vice de la surprise en modifiant volontairement des scènes du jeu des trailers pour y inclure Joël, ou en retirer Dina des moments à cheval dans Seattle, ce qui avait permis de préserver des éléments cruciaux du scénario, et de laisser croire aux spectateurs une suite bien différente…
« Il y a une différence entre connaître le chemin, et arpenter le chemin. »
Cette année, ce n’est pas tant les bandes-annonces qui m’auront remué, mais plutôt les événements les introduisant. Récemment, c’est le narrateur inventé pour le Resident Evil showcase qui m’aura plu, aux antipodes du contenu de la présentation, qui était lui attendu et convenu. Ces petits intermèdes narratifs, dans un environnement virtuel créé spécialement pour le showcase, étaient de vraies bouffées d’air frais entre les différents trailers.
L’autre événement de l’année, dont vous savez déjà à quel point je suis fan, était le Devolver Digital Showcase. Faire un Mecha SUDA51, incarné par le vrai SUDA51, mais quelle idée de génie ! Je ne sais pas à quoi tournent leurs équipes marketing, mais les grands noms de l’industrie vidéoludique devraient en commander par palettes. Parce qu’à part les trailers habituels, et les journaux de développement, les propositions sont désormais tristement répétitives.
Pourtant, il y a bien des façons de rendre des trailers aguichants, sans trop en dévoiler.
Une des marques de fabrique des bandes-annonces de Zelda à l’E3 dans les années 2000 était l’utilisation d’une musique mythique : Riddle of Steel/Riders of Doom, le thème emprunté du film Conan le Barbare. En plus d’être un hommage à une œuvre devenue classique, la réutilisation de cette chanson épique imposait une contrainte à l’image de celle que s’impose la saga depuis trente ans: réussir à se renouveler, en gardant les mêmes bases. Et je vous avoue que j’aurais adoré avoir un trailer de Breath of the Wild avec ce thème, encore plus quand on voit le rendu de certains montages non-officiels.
Et parce que c’est dans les vieilles cartouches qu’on fait les meilleurs jeux, la publicité du récent Crash Team Racing – Nitro Fueled se finit par un clin d’œil à celle du jeu original, datant de 1999. Ou comment récompenser les fans de la première heure avec une madeleine de leur enfance.
Au milieu de tout cela, j’en viens même à me demander si la publicité ne serait pas le salut de la bande-annonce. Parce qu’en termes de créativité et de prise de risques, les pubs parviennent encore à se démarquer.
Héritiers de la guéguerre entre SEGA et Nintendo, Sony et Xbox continuent de le prouver au fur et à mesure des années. Vingt-cinq ans après sa sortie, le trailer de Sony (1997) pour sa PlayStation, première du nom, reste une pépite dont je ne me lasse pas, et qui me donnerait encore envie de me ruer sur la console si elle était en rayon.
Depuis, les deux constructeurs ont rivalisé d’ingéniosité dans leurs propositions marketing (Sony allant jusqu’à débaucher David Lynch pour ses trailers de PlayStation 2), jouant sur leur rivalité pour se dépasser. Et, même si l’on n’est plus dans une confrontation ouverte pour savoir qui est le meilleur parce qu’il a le plus gros CPU (quoique…), les gentils tacles sont de bonne guerre, et toujours aussi efficaces. Un peu comme quand Microsoft pensait à limiter l’utilisation des jeux à une console, empêchant par la même les propriétaires de les prêter à des amis, ou de les revendre.
Alors oui, une publicité ne remplit pas le même rôle qu’une bande-annonce, parce qu’on s’attend à voir plus de contenu du jeu, mais le problème vient selon moi du formatage des spectateurs. L’idéal serait probablement quelque part entre les deux formules telles qu’on les connaît : une bande-annonce dotée d’éléments inédits, repensée comme un nouveau type de média, et recentrée sur la magie de la découverte.
Ceci étant, je suis persuadé que l’on peut faire mieux pour inviter les joueurs à découvrir des licences : se détacher complètement de la contrainte du média (démo ou vidéo), et aller le toucher IRL.
« Et là, tu sauras que la seule chose qui se plie ce n’est pas la cuillère bande-annonce, c’est seulement ton esprit. »
Trop peu souvent les créateurs de jeu se sont amusés à jouer directement avec le joueur. Pourtant, il y a un jeu qui reste toujours une référence à ce niveau-là : The Binding of Isaac. Frustré par les spoils des secrets de son jeu par les dataminers, Edmund McMillen, le créateur, aura réalisé un vrai jeu de piste IRL au moment de sa première extension (Rebirth), ayant amené l’ensemble de la communauté autour du jeu à travailler de concert pour parvenir à débloquer les derniers secrets du jeu.
Micah 7:8 pic.twitter.com/NXzObdZhTi
— Greed (@iamisaacsbody) November 14, 2015
Toute cette mise en scène pour Binding of Isaac démontre qu’on peut interagir facilement avec les joueurs. Alors, pourquoi pas au format vidéoludique ?
Tandis que le streaming est devenu la façon la plus fréquente de consommer de la vidéo, pourquoi ne pas nous proposer un bref film interactif, avec des scènes inédites ? Ou bien une démo détachée du jeu final (Silent Hills P.T.) ? Avec les moyens des grands studios, une chasse au trésor IRL telle que celle de Binding of Isaac est possible, si tant est que les décisionnaires suivent les idées des créatifs.
Plutôt que de se contenter de nous montrer des images du jeu, dans un rendu atone vu et revu, les créatifs des différents studios devraient remettre en question le format actuel des bandes-annonces, et penser à dépasser le format vidéo·ludique. Il n’y a pas de contrat tacite entre les créateurs et les joueurs obligeant les premiers à montrer des images de jeu dans des trailers aux dates de sortie parfaitement chronométrées. Au contraire, présenter un contenu original, avec tact et inventivité, ce n’est pas mentir au spectateur, c’est lui donner envie d’en savoir plus.
Si on devait faire un parallèle avec le format du livre, les bandes-annonces actuelles ressemblent à une quatrième de couverture sur laquelle on pourrait lire des paragraphes de chapitres éparses d’un livre. Forcément, le rendu sera incohérent, très loin de ce que l’œuvre aura à nous proposer, et gâchera sa découverte.
Au final, les trailers sont aujourd’hui à l’image de l’industrie vidéoludique : bridés par la nécessité de satisfaire les attentes formatées du plus grand nombre, et de répondre à des règles édictées par des responsables plus intéressés par la rentabilité et la réussite économique. Heureusement, le milieu indépendant parvient à s’en détacher, et à produire du contenu qui parvient encore à sortir des carcans habituels. Avant d’être copié, à tort, par les pontes de l’industrie, plutôt que de leur servir de sources d’inspiration.