Si vous êtes à la recherche de contes effrayants pour Halloween, le livre que nous évoquons aujourd’hui est probablement ce qu’il vous faut. Infernet, de Pacôme Thiellement, est en effet un essai qui revient sur douze histoires macabres qui ont le point commun non seulement de s’être passées sur internet, mais aussi d’avoir été provoquées par les réseaux sociaux.
Les habitués des vidéos de Feldup ou de Lemmino connaissent le concept, mais Pacôme Thiellement l’exploite de façon plus profonde que ces vidéos « juste » creepy. Il nous montre en effet que certes, les réseaux sociaux ont leur part de responsabilité dans les drames qui sont contés, mais que surtout, ils servent d’accélérateur à un mal déjà bien ancré dans la société contemporaine.
Ainsi, l’auteur nous raconte la triste histoire de Gabby Petito, « Instagrameuse » qui s’était lancée dans un projet de tour des États-Unis en van, accompagnée de son compagnon, lui aussi très actif sur internet, en documentant l’aventure sur son réseau préféré. Un voyage qu’elle n’aura jamais terminé : elle sera assassinée, probablement par son compagnon, qui serait à l’origine (au moins) d’un autre double meurtre avant celui de Gabby Petito, et qui se suicidera quelques jours plus tard.
Pourtant, à l’écran, sur Instagram, le couple renvoyait une image de perfection, admiré, jalousé, même, par leurs followers. Mais Instagram n’est pas la réalité. Ou, en tout cas, n’est pas conforme à la réalité qu’il présente.
« Quelles que soient les motivations du crime et du suicide, quels que puissent être les antécédents de Brian Laundrie [le compagnon de Gabby Petito, NDLR], c’est Instagram qui a tué Gabby Petito, et c’est Instagram qui continue à bénéficier de sa mort. […] Gabby Petito a pu à la fois vivre l’enfer avec Brian Laundrie et s’attacher à l’expression publique de leur bonheur conjugal. Elle a pu vivre dans une promiscuité anxiogène et s’attacher à l’expression publique d’une vie libre et aventureuse se déroulant dans les grands espaces et destinée à apparaître comme modèle inspirant, comme influence. Cette expression était son art, sa création. Elle croyait au bonheur promis par Instagram. Elle essayait d’incarner un style de vie, et elle en est morte. » – Pacôme Thiellement, Infernet.
Le miroir déformant et diabolique d’Instagram, les « amis » Facebook qu’on ne connaît pas, les arnaques sentimentales des sites de rencontres, ou le besoin d’attention quantifié en « Like », Infernet s’attache en 12 histoires plus sombres les unes que les autres à 12 schémas malheureusement aussi tragiques que classiques. Comme le cas Nikocado Avocado, que YouTube et son propre besoin d’attention ont transformé en monstre, et que YouTube et son propre besoin d’affection tueront sûrement.
Ex-militant vegan sur YouTube, Nicholas Perry, de son vrai nom, a commencé à faire des vidéos de « mukbang » (il se filme en train de manger) quand il a compris que cela faisait grimper son compteur de vues. Il a alors littéralement plongé dans des quantités astronomiques de nourriture, prenant énormément de poids, et mettant sa santé en danger. Une transformation physique compliquée à vivre, mais qui représente aussi son gagne-pain : il vend des t-shirt au message ironique « C’est la rétention d’eau », une excuse qu’il sert souvent face caméra pour expliquer sa prise de poids. Nikocado Avocado est un peu dans la même situation que Gabby Petito : coincé derrière une image publique qui l’emprisonne et le fait vivre… jusqu’à ce qu’il en crève.
Parce qu’on n’ingère pas de telles quantités de malbouffe sans endommager sa santé. Nikocado Avocado se suicide à petit feu, face caméra, en échange d’une dose de popularité.
Une utilisatrice de Facebook qui pousse son « petit ami » (qu’elle n’a jamais rencontré IRL) à mettre fin à ses jours pour bénéficier de la popularité qu’on accorde à la veuve éplorée, une abonnée Twitter qui s’imagine que les message postés par une personnalité publique s’adressent directement à elle – une histoire qui finira forcément mal, mais aussi une chasse au trésor aussi pointue que son existence même est mystérieuse, une enquête menée en ligne sur un véritable crime (ou un suicide) ressemblant un peu trop au film Dark Water, l’auteur ne manque pas de matière. Jusqu’à sa propre expérience.
Pacôme Thiellement fut un utilisateur compulsif de Facebook, au point d’en avoir perdu un morceau de son intimité, au point surtout d’avoir cédé à ce miroir déformant, de vivre un quotidien infernal (pour reprendre le titre du livre) pour pouvoir alimenter la vie de fiction qui était mise à jour régulièrement sur les réseaux. C’est aussi cette histoire qu’il raconte dans la dernière partie du livre, « Internet et moi (une confession) ».
Internet et les réseaux sociaux sont des endroits flippants. Mais simplement parce que le monde est flippant. Les RS ne nous transforment pas en montres, ils réveillent simplement un monstre qui était déjà là. Les 12 histoires contées par Pacôme Thiellement dans Infernet sont dérangeantes, voire macabres. Si le funeste destin de leurs personnages pouvait au moins nous permettre de prendre un peu de recul, pour laisser le monstre dormir…
Infernet – Suivi de Internet et moi (une confession), de Pacôme Thiellement, préface de Denis Robert, Éditions Florent Massot, 304 pages, 20,90€ (13,99€ en version numérique).
La Saga Evangelion – Pour tout comprendre au Third Impact
M⅃K
L’art de Elden Ring – Aux origines de l’Entre-Terre
Tortuga76ers
La Saga Suikoden – À la belle étoile du J-RPG
M⅃K