Fiche de perso est une rubrique dans laquelle nous tirons le portrait d’acteurs du jeu vidéo, réels ou fictifs, qui pèsent ou ont pesé sur l’industrie. Aujourd’hui, à quelques semaines de la sortie d’Elden Ring, nous nous intéressons au parcours de Miyazaki Hidetaka et son ascension au sein de From Software et de l’industrie vidéoludique.
Quand on évoque les grands noms du jeu vidéo japonais, ceux de Miyamoto Shigeru, Kojima Hideo ou Mikami Shinji nous viennent assez rapidement en tête. Mais ces dernières années, une autre personnalité a su faire parler d’elle : Miyazaki Hidetaka. Il fait aujourd’hui partie des créateurs les plus influents de l’industrie et a réussi à mener au firmament le studio dont il a la charge : FromSoftware.
Né à Shizuoka en 1974, il a grandi dans un milieu qu’il décrit comme « extrêmement pauvre ». Passionné de littérature fantastique, il passait son temps à s’évader dans les univers fantastiques des Livres-dont-vous-êtes-le-héros et autres Donjons et Dragons qu’il empruntait à la bibliothèque locale. Des livres souvent en anglais dont le sens pouvait lui échapper, mais il en fallait plus pour l’empêcher de s’immerger dans ces récits fantastiques. Les illustrations notamment lui permettaient de passer outre ses lacunes dans la langue de Shakespeare en imaginant les passages qu’il ne comprenait pas. Une faculté à s’inventer des univers qu’il conservera à l’âge adulte et qui est aujourd’hui au cœur de ses œuvres.
Pourtant, rien ne le destinait à une telle place dans le jeu vidéo, Miyazaki Hidetaka n’ayant pas eu le droit d’y jouer durant son enfance. Il fait ses études dans une prestigieuse université tokyoïte et obtient son diplôme en sciences sociales. À 29 ans, alors qu’il est comptable pour l’entreprise Oracle, il commence à s’intéresser aux jeux vidéo. Un ancien camarade de classe lui conseille quelques jeux à découvrir, dont ICO. Le titre de Ueda Fumito est une révélation pour lui. Il se retrouve face à une aventure comme il l’imaginait lorsqu’il était enfant. Il décide alors de se lancer corps et âme dans l’industrie du jeu vidéo avec un seul but en tête : créer son propre jeu.
Changer aussi radicalement de carrière professionnelle n’est pas sans risque, même à cette époque. Bien que très motivé, Miyazaki Hidetaka se heurte à un constat : aucun studio de jeu vidéo n’est prêt à prendre le risque d’engager un ancien comptable de 29 ans sans expérience dans le milieu. Pas de quoi le faire abandonner cependant et son abnégation va finir par payer lorsque FromSoftware décide de lui offrir sa chance en tant que codeur pour le jeu Armored Core: Last Raven en 2004.
Un pari gagnant pour le studio japonais. Durant le développement, Miyazaki Hidetaka est une grande force de propositions et d’initiatives, au point qu’il est nommé quelque temps plus tard directeur d’Armored Core 4 et Armored Core: For Answer. Jusque-là, on reste assez loin de ses premiers amours fantastiques, mais lorsqu’il entend parler dans le studio d’un jeu d’action-aventure dans un univers heroic-fantasy dont la destinée semble des plus funestes, tout va changer pour lui.
Alors que tout le monde évite soigneusement de trop s’approcher de ce projet, Miyazaki Hidetaka y voit là une opportunité. Il en prend le contrôle et met en place un maximum d’idées qu’il avait en tête depuis des années, comme le système novateur de messages laissés par les joueurs dans le monde du jeu. Autant essayer le plus de choses possible puisque, même en cas d’échec, cela n’aurait que peu d’impact sur sa position, le jeu étant de toute façon déjà en situation d’échec.
Miyazaki insuffle toute sa vision et son âme dans son jeu, et en 2009, Demon’s Souls sort sur PS3. Une naissance compliquée. Le titre est très mal reçu par les critiques et le public et ne s’écoule la première semaine qu’à à peine 20 000 exemplaires au Japon. Yoshida Shuhei, directeur des studios SONY à l’époque, dira même alors qu’il essayait le jeu dans sa phase finale de développement que « c’est de la merde, un jeu incroyablement mauvais ».
Dans une industrie qui, poussée par l’insolent succès de la Wii, simplifie au maximum ses expériences, Demon’s Souls fait office de vilain petit canard avec ses mécaniques complexes, exigeantes et mettant la mort au centre de son gameplay. La narration environnementale désarçonne aussi les joueurs qui doivent faire un effort pour imaginer ce qu’ils ne comprennent pas, un peu comme son créateur le faisait étant enfant. Pourtant, au fil des mois, le jeu commence à se forger une belle réputation grâce à un bouche-à-oreille très positif et une frange de joueurs de plus en plus nombreux qui se fait entendre. Il y a une place pour la vision de Miyazaki Hidetaka dans le jeu vidéo.
Deux ans plus tard, Dark Souls arrive et s’impose comme un grand jeu. Un nouveau genre est né : le Souls-like. Grâce entre autres à ce succès probant, Miyazaki Hidetaka est même nommé président de FromSoftware en 2014, mais souhaite rester très présent dans le développement des jeux. L’industrie commence à changer. SONY commande une nouvelle exclusivité pour sa PS4 et le projet Beast deviendra un nouveau chef-d’œuvre : Bloodborne. Les Souls-like s’imposent peu à peu dans l’industrie. Mais Miyazaki Hidetaka n’aime pas créer des suites. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’a fait que superviser Dark Souls II (même s’il fera une exception avec Dark Souls III devant la pression populaire). Il préfère créer d’autres lores, tenter d’autres approches du médium. Déraciné, son jeu pour le PS VR, démontre bien son envie de toujours essayer d’autres choses.
L’année 2018 marque un tournant pour lui puisqu’il est récompensé au Golden Joystick Awards pour l’ensemble de son œuvre et son influence sur l’industrie. Un prix qu’il recevra des mains de Ian Livingstone et Steve Jackson, deux auteurs Britanniques derrière les Games Workshop et Warhammer qui l’ont accompagné étant enfant et ont influencé fortement sa vision de la Fantasy. On imagine assez facilement l’émotion qui devait être la sienne à ce moment-là.
En 2019, Miyazaki Hidetaka explore encore un nouvel univers. Exit la Dark Fantasy et l’horreur des Dark Souls et Bloodborne, et bonjour le Japon féodal avec Sekiro: Shadows die Twice. Cette fois encore, son univers dense, cohérent et accrocheur fait mouche et le titre est salué par les critiques et les joueurs à travers le monde. Il recevra même la distinction suprême aux Game Awards puisqu’il y est élu jeu de l’année 2019.
La marque de FromSoftware dans le jeu vidéo est indélébile. Nombreux sont les titres qui se décrivent aujourd’hui comme des Souls-like. D’un genre ultra niche à la fin des années 2000, c’est devenu l’une des affiliations les plus bankable de l’industrie, et ce n’est pas l’attente incommensurable autour de son prochain titre Elden Ring qui nous fera mentir. Qu’on se le dise, sous l’impulsion de son génie Miyazaki Hidetaka, FromSoftware a tué le game.