Fiche de perso est une rubrique dans laquelle nous tirons le portrait d’acteurs du jeu vidéo, réels ou fictifs, qui pèsent ou ont pesé sur l’industrie. Aujourd’hui, à l’occasion de la sortie de The Medium, on s’arrête sur l’artiste à qui l’on doit l’identité graphique (et horrifique) du titre, le peintre Zdzislaw Beksinski.
The Medium a immédiatement parlé aux fans de jeux d’horreur en affichant le nom de Akira Yamaoka, illustre compositeur de la bande originale de Silent Hill. La filiation était ainsi créée, d’autant que Bloober Team, le studio responsable de The Medium, ne cachait pas s’être inspiré de la licence de Konami.
Mais au moins aussi importante que la musique, l’identité graphique du titre est à chercher dans un autre domaine que celui des jeux vidéo : les arts plastiques. C’est en effet le travail du peintre Zdzislaw Beksinski qui donnera cette couleur cauchemardesque au monde parallèle de The Medium.
Né en 1929 à Sanok, en Pologne, Beksinski étudie l’architecture et passera la première partie de sa vie sur les chantiers. Déjà sensibilisé aux proportions et à l’esthétique de par sa formation, il a pour hobby la photo. Son travail va rapidement évoluer vers le photomontage, car la représentation du réel ne l’intéresse pas : il veut montrer une forme de vérité que cache le réel. Et déjà, on verra que ses portraits sont torturés, empreints d’une forme de malaise, de ténèbres, qui traversera toute son œuvre.
Cette volonté de montrer au-delà (l’au-delà ?) le pousse vers d’autres pratiques, la sculpture et le dessin d’abord, puis la peinture. Il perdra d’ailleurs son travail sur les chantiers parce qu’il s’intéressera plus à la peinture qu’à ses missions !
Si vers la fin de sa carrière, il intègrera la technologie à son travail, avec des œuvres réalisées grâce à des photocopieurs, mais aussi des peintures et montages numériques, c’est dans les années 70 qu’il atteindra le style pour lequel il est aujourd’hui reconnu : un surréalisme macabre qui sierra particulièrement au jeu de Bloober Team.
Dans les toiles de Beksinski, les corps sont contraints, déformés, torturés. Certaines œuvres rappelleront ainsi le travail d’un autre peintre de l’horreur : H. R. Giger. L’horreur envahit ainsi les corps et les visages, en proie à des mutations déraisonnables. Comme chez Giger, la guerre est présente dans l’imagerie de Beksinski, d’autant que, enfant polonais des années 30, il a probablement grandi avec les images de la Seconde Guerre mondiale, qui ont pu lui inspirer ces corps décharnés. Et comme chez Giger encore, le sexe n’est pas absent de l’œuvre du peintre polonais, même si c’est loin d’être un thème majeur de sa peinture des années 70 à 80.
Ci-dessus, U2 de Beksinski, ci-dessous, Li, le portrait iconique de Giger.
Étonnamment, et au contraire de l’histoire de la peinture, le travail de Beksinski part de l’abstrait ses premières années, pour devenir de plus en plus figuratif. À rebours, pour citer Huysmans, autre grand inspirateur de l’horreur. Malgré tout, ses toiles ne sont pas forcément évidentes à appréhender, et ont beaucoup à voir avec le surréalisme. Certaines toiles partagent ainsi un lien évident avec la peinture de Dali, par exemple, quand ses palais inquiétants peuvent faire penser à Max Ernst.
Ci-dessus, un clin d’œil assez clair de Beksinski à Dali. Ci-dessous, à gauche, Beksinski, à droite, Ernst.
Ce qui l’aura amené vers la reconnaissance d’une partie du grand public, et lui aura permis de devenir l’inspiration du jeu qui nous occupe, ce sont – comme pour Giger – ses sujets très proches des tropismes de la littérature et du cinéma d’horreur. Abominations lovecraftiennes, zombies, squelettes, bâtiments fantômes et paysages cauchemardesques forment l’essentiel de son œuvre. On y verra des points communs avec le travail d’illustrateurs comme Frank Frazetta, son contemporain, qui a quant à lui choisi la voie « moins noble » du comic book.
À gauche Beksinski, à droite, un décor de Frazetta pour son film Fire & Ice, réalisé avec Ralph Bakshi.
C’est aussi, n’en déplaise à ses détracteurs, l’une des vertus du jeu vidéo que d’ouvrir nos horizons. Espérons que via The Medium, la peinture de Zdzislaw Beksinski atteindra un nouveau public, comme les jeux de CD Projekt ont offert à The Witcher un rayonnement mondial !