Elden Ring est le succès du moment, voire le succès de l’année, alors même que le printemps n’a pas encore commencé. Il aura réussi à éclipser au moins deux gros jeux attendus : Horizon Forbidden West (qui a décidément la poisse, le premier étant sorti en même temps qu’un certain The Legend of Zelda: Breath of the Wild), et Gran Turismo 7 (si, si, il est sorti!). Il aura aussi réussi à faire d’un jeu FromSoftware, dont l’exigence est désormais lieu commun, un succès grand public, avec, à l’heure où nous rédigeons ces lignes, plus de douze millions de copies écoulées.
Mais alors qu’on sait maintenant ce que le jeu a à offrir, et qu’on ne doute plus de la façon dont le public va le recevoir, on peut se demander : et après ? Les précédents jeux FromSoftware ont posé les fondations du genre SoulsBorne, également appelé Souls-like : des beat’em all chronophages et exigeants, qui nécessitent une véritable implication de la part du joueur, une maîtrise du jeu, de ses commandes, un apprentissage des patterns de chaque type d’ennemi. Si les jeux d’Hidetaka Miyazaki ne se résument pas qu’à cela, c’est cette facette de ses jeux que l’industrie aura surtout retenue et recyclée dans des jeux qui auront suivi le succès des Dark Souls, de Nioh à Final Fantasy Origins: Strangers of Paradise en passant par Code Vein, et jusque dans des platformers 2D, dans lesquels l’esprit Dark Souls aura infusé : Blasphemous, Unto the End…
Code Vein et Blasphemous, chacun dans son genre, porte l’héritage Dark Souls.
Elden Ring est évidemment l’héritier de cette formule « difficile », qu’il aura sublimée en la passant au révélateur du monde ouvert. Nombreux sont les commentateurs qui comparent le jeu à une sorte de relève de The Legend of Zelda: Breath of the Wild, jusque-là mètre-étalon de l’open world moderne. Et comme le dernier Zelda a laissé sa marque et son héritage dans l’industrie, dans la façon d’appréhender le level design, dans la façon de fabriquer des jeux, on se demande aujourd’hui ce qui nous restera d’Elden Ring une fois la tempête apaisée.
Sûrement une certaine idée du bac à sable : les jeux qui viendront après se mettront peut-être eux aussi à jeter les joueurs dans le grand bain, sans rien leur indiquer, en les laissant, souvent au prix de nombreuses heures de tâtonnement, découvrir de façon empirique ce que le monde dans lequel ils évoluent leur permet et attend d’eux. Cela se traduit par l’absence de journal de quêtes, de repères préétablis sur la carte, mais aussi une carte quasiment entièrement accessible dès le début de l’aventure, où les zones qui nous sont interdites ne le sont que parce que la faune qui s’y trouve peut balayer notre présence d’une pichenette.
L’évolution qu’Elden Ring offre à la formule Souls, c’est, entre autres choses, la difficulté réglable. Alors, non, pas de mode facile au menu. Et même, justement, pas de menu tout court à ce sujet, et c’est là le génie de la chose. Le jeu nous laisse à disposition toute une palette d’outils pour venir à bout de l’aventure, outils qui permettent de parcourir le titre chacun à sa manière. Ainsi, très rapidement, le joueur se verra doté de la possibilité de faire intervenir des invocations en sa faveur, sortes de PNJ combattant à nos côtés.
On voit déjà les exploits de certains joueurs sur YouTube, précisant à chaque fois que le combat a été remporté « sans invocation ». Car ce pouvoir, comme la possibilité d’inviter un autre joueur pendant une phase de jeu pour bénéficier d’un petit coup de main lors d’un combat, est une sorte de mode facile déguisé. Et bien plus naturel. Plutôt que de baisser les stats d’un ennemi via un menu, on nous offre un pouvoir qui renforcera sensiblement notre personnage, nous permettant quand même de battre le « même » ennemi que tout un chacun. Une option moins humiliante pour le joueur qu’un bouton « facile », et surtout bien plus roleplay qu’un curseur dans un sous-menu, qu’on imagine déjà faire des petits dans les productions voisines.
Elden Ring, c’est aussi un jeu qui intègre les habitudes du joueur de son temps, spectateur de Twitch, adepte du stream, et membre de « communautés ». Il s’agit d’un faux jeu solo, qui se joue en réalité en groupe. Le manque de lisibilité de ce qui nous est demandé, en tant que joueurs, conjugué à la difficulté des affrontements qui font la signature du studio, nous poussent à aller chercher conseil auprès de joueurs plus aguerris (sérieusement, choisir seul son archétype de départ sans jamais avoir mis les mains sur un SoulsBorne revient à remplir une grille de Kéno). C’est ce à quoi servent les messages laissés au sol (une mécanique qu’on avait déjà dans Death Stranding, autre jeu « solo » qui faisait appel à la communauté), mais c’est aussi sur les réseaux sociaux et autres robinets à vidéos que cela se passe. Dans Elden Ring, le game design se pense aussi en dehors du jeu.
On pense alors à The Batman, blockbuster de la saison, qui, comme Elden Ring, semble prendre tout à revers : long, souvent même au ralenti, sans aucun humour, avec peu de couleurs et aucun pouvoir, c’est l’exact antithèse d’un film Spider-Man. Et comme le jeu de Miyazaki nous lâche dans son univers sans indication aucune, The Batman choisit de ne faire qu’effleurer l’origin story de son héros. On ne reverra pas la naissance de la Chauve-Souris, et pour qui ignorerait encore les événements, il existe toute une série de BD et d’autres films qui les lui raconteront…
Des films et des jeux qui n’existent plus comme entités uniques et finies, mais comme les tentacules d’une mythologie dont le cœur est ailleurs. Déjà le métavers ?