Le jeu vidéo physique est-il réellement en train de mourir à petit feu ? Si on pose la question aux grands acteurs du marché, leur réponse tendrait sans doute vers le oui, eux qui sont si fiers de nous annoncer qu’une partie de plus en plus importante de leurs revenus provient du dématérialisé. Quoiqu’on pourrait se demander si ce ne sont pas plutôt eux qui portent les principales estocades à nos chers disques et cartouches de jeux. Car aujourd’hui, bien que la part du numérique dans le chiffre d’affaires des éditeurs et constructeurs croisse, l’offre de jeux physiques n’a jamais été aussi pléthorique.
Pourtant, malgré la surabondance de versions boîtes, nous n’avons jamais été aussi dépendants du dématérialisé. Dernier exemple en date, Star Wars Jedi: Survivor qui nécessite un téléchargement obligatoire de plusieurs dizaines de gigas, et encore, c’est sans compter les patchs day one, indispensables pour bénéficier d’une expérience a minima acceptable. Autant dire que la technologie des jeux n’a pas suivi celle des sabres laser Star Wars. Le disque du jeu sera donc inutilisable dans quelques années, une fois les serveurs du jeu fermés. Et que dire de ces boîtes de jeux qui ne contiennent en leur sein qu’un code de téléchargement, comme ce sera le cas le 19 mai prochain pour LEGO 2K Drive. Absurde, n’est-il pas ? Heureusement, ces pratiques restent encore relativement marginales, mais cette tendance n’est pas particulièrement réjouissante pour autant.
En parallèle de ces pratiques douteuses, de nouvelles structures se sont aussi développées, louant les jeux physiques et, pour certaines, faisant en sorte que leurs disques ou cartouches contiennent l’intégralité des mises à jour disponibles. Parmi les plus connues, on pense à EastAsiaSoft en Asie (distribué par Play Asia), Special Reserve Games ou Limited Run Games aux États-Unis. Signe de la bonne forme du secteur, une antenne européenne de cette dernière (récemment rachetée par le groupe Embracer) devrait prochainement voir le jour, permettant à l’entreprise de s’étendre encore un peu plus auprès de clients européens qui verront leurs frais de port et d’import (parfois faramineux) drastiquement diminuer.
D’ailleurs, il n’y a même pas besoin d’aller à l’autre bout du monde pour trouver d’autres éditeurs très actifs sur le marché des jeux physiques. Rien que sur notre territoire, on en retrouve trois proposant eux aussi de jolis disques et cartouches pour des titres généralement de moindre envergure que les doubles ou triple A (voire quadruple A maintenant) qu’on est habitués à retrouver sur les étals de nos magasins. C’est en effet sous la bannière de Pix’n Love, Red Art Games ou Just For Games que sortent maintenant une grande partie des jeux indépendants paraissant sur les consoles actuelles.
Le dernier cité dispose même d’une très bonne cote aux yeux des studios et du public puisqu’on retrouve à son catalogue des titres de plus en plus importants. C’est en effet à Just For Games que l’on doit les éditions physiques de Kena: Bridge of Spirit ou de Stray. Les équipes de Red Art Games, quant à elles, ne disposent pas d’un catalogue aussi flamboyant, mais se spécialisent plutôt dans les titres passés sous le radar de la plupart des joueurs, avec par exemple la version matérialisée du très sympathique metroidvania Record of Lodoss War: Deedlit in Wonder Labyrinth.
Du côté de Pix’n Love, il faut plutôt y voir une extension de leur activité dans l’édition de livres autour du jeu vidéo. Profitant de ses relations privilégiées avec différents studios de renom, l’éditeur crée des éditions collectors bien à lui, mettant en avant ses ouvrages aux côtés d’une nouvelle sortie vidéoludique, et pourquoi pas même dédicacés par le créateur du titre. Chacun de ces acteurs se partage donc de manière très complémentaire le marché vidéoludique en France des laissés pour compte.
Avec autant de nouvelles entreprises intéressées par l’édition de jeux physiques, en petites ou grandes quantités, on en vient à se demander si la dématérialisation totale du jeu vidéo est vraiment tant à l’ordre du jour. Ou bien, ne sont-ce pas là les derniers soubresauts d’une bête en train de se faire asséner de coups par un Xbox et un PlayStation complices de ces coups de butoirs devant des spectateurs trop occupés à se noyer sous un torrent de GaaS (Game as a Service, pour lesquels du contenu est très régulièrement ajouté) et de Free-to-Play (et notamment du jeu sur mobile, très largement majoritaire de nos jours) ?
D’aucuns aiment bien comparer la tendance au tout numérique du jeu vidéo aux trajectoires qu’a connues le marché de la musique ou du cinéma. Et il est vrai que, poussées par les abonnements de type Game Pass ou PlayStation Plus, les habitudes de consommation du grand public sont en pleine mutation. Pourtant, aujourd’hui encore, il est très facilement possible de s’approvisionner en CD ou BluRay. Même les vinyles, quasiment disparus pendant des années, reviennent en force depuis de nombreux mois. Alors, pourquoi n’en serait-il pas de même pour les jeux physiques ?