Chez New Game Plus, on parle de jeux vidéo. Parfois aussi de pop culture, mais en essayant de garder toujours un lien avec notre médium de prédilection. Alors forcément, quand débarque un film s’appellant Until Dawn, on se sent forcément concernés. En 2015, le jeu éponyme avait emballé des millions de joueurs, par son hommage assumé au slasher, ses choix cornéliens, et son gameplay narratif maîtrisé. Mais ici, après un remake risible, nous avons droit à un film d’horreur… ne reprenant ni l’histoire, ni les personnages, ni le cœur même de ce qu’était le jeu.
Nous voilà face à un léger paradoxe : pas question de faire ici une critique purement cinématographique sur un site dédié au jeu vidéo, mais en même temps, difficile d’ignorer à quel point cette adaptation semble éloignée de son matériau d’origine. La vraie question devient alors : pourquoi ce film s’appelle Until Dawn ? Et surtout, a-t-il encore quoi que ce soit à voir avec le jeu vidéo ?
ATTENTION : Ça va trancher, et spoiler.
Quand l’impossibilité de l’interactivité tue l’adaptation
Avant de parler du film, il faut revenir à ce qui faisait la force du jeu. Until Dawn, c’était un hommage vibrant aux slashers des années 80-90, un vrai film d’horreur interactif. On incarnait des jeunes adultes clichés (mais attachants) dans un chalet isolé, avec un scénario digne d’un Halloween. Mais là où le jeu brillait, c’était dans sa dimension interactive : chaque choix comptait. On pouvait sauver tout le monde, ou bien voir tous les personnages périr. Et cette mécanique donnait du poids aux relations, à la tension, à l’émotion.
Ce concept interactif apportait une richesse et une profondeur à l’expérience, qui, hélas, se perdent dans l’adaptation cinématographique. En effet, un film, par définition, se prive de cette dimension interactive. Or, sans ce lien actif entre le spectateur et l’histoire, le métrage peine à capter la magie qui faisait le charme du jeu. On se retrouve avec un produit qui semble se contenter d’une version bien plus faible de ce qui fonctionnait dans le jeu. Et c’est bien là que le bât blesse ; Until Dawn repose sur l’interactivité. En faire un film, c’est déjà lui retirer son essence. Adapter le jeu stricto sensu n’aurait pas marché non plus (le scénario seul étant un peu léger une fois l’interaction retirée). Mais partir dans une direction totalement différente tout en gardant le nom, c’est trahir également la promesse du titre.
Car c’est bel et bien une histoire originale, qui n’a plus rien à voir (ou presque) avec le matériau d’origine. Mais cette licence n’est pas comme The Dark Pictures Anthology ; Until Dawn n’a jamais été pensé comme une saga à chapitres multiples ou à univers étendu. C’est un jeu solo, auto-contenu, avec son propre début, dénouement (multiples), et une identité bien marquée. Une œuvre bouclée, qu’on associe immédiatement à une cabane enneigée, des ados en panique, et un twist façon série B. En voyant ce titre s’afficher sur un film, on s’attend logiquement à retrouver, au minimum, cet ADN-là. Pas simplement un nom plaqué pour cocher une case marketing.
Des personnages aussi transparents que les esprits de Blackwood
Until Dawn (le jeu) brillait par ses personnages volontairement archétypaux, à la croisée de Scream et Vendredi 13. Chacun avait une silhouette reconnaissable, une posture, une couleur, une attitude. Sam la brave avec sa toque en fourrure, Matt le sportif à la veste large, la peste Emily tout de noir vêtue, Chris le parfait intello à lunettes, Ahsley la timide, Josh le frère perturbé… tous affichaient une direction artistique claire, un chara-design pensé, et une écriture taillée pour jouer avec les clichés du genre, tout en apportant suffisamment de nuances pour susciter l’attachement. On les sauvait, on les perdait, on s’en voulait. Leurs destins nous marquaient.
Dans le film ? Aucun de ces personnages n’a été conservé. À la place, une brochette d’ados génériques, habillés sans style, sans intention, aux dialogues plats, qui récitent leurs traumas comme des fiches personnages lues à voix haute. La narration ne montre rien : elle dit tout. Sans finesse, sans tension. Ils n’inspirent rien. Pas même de la haine. Juste de l’indifférence, et c’est bien malheureux. Côté casting, difficile pour de jeunes inconnus manquant un poil de charisme de rivaliser avec les géniaux Hayden Panettiere ou Rami Malek du jeu. Ici, pas de personnalité vraiment marquée, pas de codes visuels mémorables. Juste des jeunes adultes interchangeables, dont on peinera à se souvenir du nom une fois le générique lancé.
Résultat : on ne retrouve ni vraiment le sel, ni l’esprit d’Until Dawn. Il y a bien quelques rares clins d’œil (un tueur arborant un masque qui rappelle celui de Josh, Peter Stormare qui revient dans le rôle du Dr Hill, quelques décors et noms jetés comme ça) mais tout sonne creux.
Un scénario à rebours de l’esprit du jeu
Le titre de 2015 reposait sur une mécanique simple : chaque choix comptait, chaque mort était définitive. Le joueur vivait avec ses erreurs, recomposait le groupe, et forgeait ainsi sa propre histoire. Là où il aurait pu traduire cette sensation de conséquences irréversibles, le film fait exactement l’inverse : le scénario introduit une mécanique de boucle temporelle mortelle, façon Happy Birthdead ou Edge of Tomorrow, où les personnages revivent la même nuit encore et encore jusqu’à trouver un moyen de survivre jusqu’à l’aube.
C’est une idée qui, sur le papier, aurait pu fonctionner dans une autre franchise. Pour une adaptation de Dark Souls, cette idée de mort en boucle, évoquant du die and retry, pourrait avoir un intérêt par exemple. Mais ici ? C’est un contresens total. Until Dawn, c’est l’irréversibilité. C’est accepter l’échec d’une mauvaise décision. Pas appuyer sur “Retry” jusqu’à réussir la séquence.
On a donc l’impression que le film a été pensé par quelqu’un qui n’a pas forcément saisi ce qui faisait la force de l’œuvre originale. Comme si “jeu vidéo” rimait forcément avec “mourir et recommencer”, peu importe le matériau d’origine. Le scénario tente néanmoins malgré tout de poser des limites à cette mécanique, en rendant chaque nouvelle boucle mortelle un peu plus éprouvante pour les personnages, leur santé se dégradant à chaque tentative. Une idée bienvenue, mais qui ne parvient pas à recréer la tension irréversible du jeu.
Un Wendigo qui a perdu ses racines
Autre carton rouge : l’invention d’un nouveau folklore surnaturel, qui parasite et dénature l’univers de celui du jeu. Dans Until Dawn, le surnaturel se concentrait autour d’une seule entité : le Wendigo. Inspirée du mythe algonquin, cette créature se révélait après un retournement de situation marquant, qui faisait basculer le récit du slasher classique vers une horreur plus inattendue. Sa représentation glaçante, tout en sons stridents et design émacié, était extrêmement marquante. Ici, ces créatures sont reléguées au second plan, mais qui plus est, le film invente un bestiaire complètement absent du titre original, à base de sorcières, géants, vers nécrosants, ou encore de possessions spectrales.
Le résultat est un gloubi-boulga ésotérico-horrifique sans direction, où les monstres se succèdent sans lien, sans code, sans cohérence. Même les Wendigos, pourtant bien réalisés sans CGI (un bon point qu’il faut souligner), sont bien plus anecdotiques que dans le jeu. Ce qui faisait l’identité du titre vidéoludique (un surnaturel qui se dévoilait peu à peu, avec une menace unique et terrifiante) est complètement écrasé par cette surenchère. Là où le jeu cultivait l’attente et l’intrigue, le film, lui, se perd dans une série de créatures et phénomènes distillant l’impact de ses Wendigos, annihilant tout ce qui avait fait l’efficacité du thriller horrifique de Supermassive.
Un totem sans vision
David F. Sandberg, le metteur en scène, est loin d’être un incompétent. Il sait correctement gérer la lumière, créer une ambiance et filmer l’horreur avec une certaine maîtrise. Mais ici, dans cette adaptation, sa mise en scène manque de personnalité. Elle est trop propre, trop lisse, trop télévisuelle. Les visages sont trop visibles même dans les scènes sombres, et l’absence de véritable atmosphère visuelle forte contraste fortement avec l’esthétique du jeu, qui se caractérisait par une ambiance froide, bleutée, nocturne, et enneigée.
Pourtant, Sandberg sait, par moments, donner de l’attention à ses scènes, et il réussit à gérer certains instants de gore et d’effroi de manière on ne peut plus décente. Il a des moments d’éclat gores et horrifiques, ainsi que tout de même quelques frissons mémorables. Certains jumpscares parviennent à surprendre grâce à leur spontanéité bien dosée et à un jeu habile entre accalmie et relance de la tension. D’autres, en revanche, tombent à plat. Et globalement, l’image reste trop claire, sans véritable travail de contraste. L’ensemble est assez lisse, et même si le travail est soigné, rendant le tout agréable à regarder, il manque de profondeur et de caractère.
Dr Hill – D’un esprit fracturé à un méchant de pacotille
Pour finir, abordons ce qui constitue le lien le plus évident entre le film et le titre vidéoludique dont il s’inspire. Dans le jeu de 2015, Peter Stormare incarne le docteur Hill, psychiatre de Josh ; un personnage marquant par sa façon d’interroger le joueur directement. Ses questions dérangeantes et son attitude troublante installent un malaise grandissant, d’autant plus palpable que le joueur, en vue subjective, est invité à lui répondre directement, manette en main. Le rôle de ce docteur, qui semble de plus en plus irréel au fur et à mesure de l’avancement du jeu, est finalement révélé comme une hallucination de Josh lui-même. C’est un personnage ambigu, qui laisse planer un doute sur son existence réelle, et qui participe à l’aspect psychologique et mystérieux du jeu.
Dans le film, la réinvention de ce personnage en antagoniste omnipotent, quasiment à l’origine de la création des Wendigos, frôle l’absurde. Là où il n’était, dans le jeu, qu’une manifestation troublante de l’esprit fracturé de Josh, il devient ici une figure maléfique, tirant les ficelles dans l’ombre. Ce retournement vide cette figure mystérieuse de toute sa complexité, annihile le malaise psychologique qu’il inspirait, en piétinant l’ambiguïté qui faisait sa force.
Pire encore : ce personnage culte pour les fans, se fait exploser (littéralement) par l’héroïne dans un final brutal et expédié. Le métrage se débarrasse ainsi, sans subtilité, de l’un des symboles les plus marquants du jeu original, sans parler de ce happy end total juste après, expédié en trente secondes, sur fond de musique joyeuse, où il ne manque plus qu’un coucher de soleil pour couronner le tout. Là où le jeu, lui, proposait une conclusion bien plus âpre, même lorsque tous les personnages s’en sortaient.
Le film, vers la fin, tente aussi maladroitement de lier à tout prix son histoire à celle du jeu, notamment avec un gros plan sur un dossier de Hill, incluant une photo de Josh, incarné par Rami Malek. Cependant, l’incohérence de la mort du psychiatre complique tout : si le film se déroule avant le jeu, pourquoi le tuer de manière aussi brutale ici ? Quant à la scène finale, elle tente d’établir un pont entre les deux œuvres en suggérant, de manière bancale, que le psychiatre aurait survécu à son explosion et observait, depuis son bureau et ses caméras, le chalet du jeu lors des événements qui s’y déroulent.
Pourtant, dans le Until Dawn de 2015, ce docteur n’était qu’une illusion, un reflet déformé de l’esprit tourmenté de Josh. Ce twist, dépourvu de toute cohérence, heurte rétroactivement de plein fouet le récit du jeu. Il transforme un personnage mystérieux et dont l’existence était proprement incertaine en un simple antagoniste oubliable, dénaturant ainsi tout ce qui faisait l’attrait de cette figure.
Ni l’aube, ni la nuit
Until Dawn, le film, n’est ni un désastre total, ni une réussite éclatante. C’est un divertissement tout à fait regardable, parfois efficace, parfois plat, sans jamais réinventer la roue (avec en prime des personnages qui peinent à susciter la moindre empathie). En tant que série B d’épouvante gore, il se visionne sans mal. En tant qu’adaptation du jeu, il n’a pas grand chose d’intéressant à proposer.
Ce qui est certain, c’est que ce film ne prend pas son public pour des imbéciles, à la façon de Minecraft ou Borderlands, mais il ne le fera pas non plus vibrer comme Fallout ou The Last of Us. C’est une adaptation comme on en a malheureusement l’habitude, tout juste moyenne, avec quelques coups d’éclats. Malgré quelques contre exemples récents, les œuvres réussies inspirées de jeux vidéo restent encore l’exception, tandis que les adaptations tièdes, comme celle-ci, demeurent la norme; et vite oubliables.
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