Orphelin de Game of Thrones depuis la fin de la série ? Et puis ce George R. R. Martin qui n’en finit pas de traîner à terminer les derniers volumes du roman… Il y a bien les aventures du Sorceleur qui viendraient combler le manque, mais le format “nouvelles” empêche un peu l’immersion, et la série Netflix n’arrivera pas avant quelques mois. Alors en attendant, on peut toujours relire l’exceptionnelle trilogie Blood Song, d’Anthony Ryan (sérieusement, si vous ne connaissez pas, jetez-vous sur ce monument de la fantasy ! Vous viendrez nous remercier dans les commentaires). Mais pour celui qui aimerait autant lire quelque chose d’inédit, on a ce qu’il vous faut : La Marque du Corbeau, le tome 1 de Blackwing, d’Ed McDonald.
« Les soldats sur la murailles émergèrent de leur abri pour venir scruter l’horizon. J’entendis des jurons, des hoquets stupéfaits et quelques ricanements. Ceux-là pensaient sans doute qu’ils s’apprêtaient à être témoins de la puissance de la Machine. Leurs camarades qui s’étaient chargés d’empiler les barils de poudre comprenaient probablement mieux ce qui se tramait.
– Les bêtes sont là ? demanda Ezabeth.
– Ça y ressemble foutrement, grommelai-je.
La fin venait de commencer » – p.360
« Jusqu’à ce que le de profundis de son Espérance eût pris ce mélancolique refrain… » – E.A. Poe, Le Corbeau
Blackwing est en effet un roman à la croisée des références ci-dessus. Violent, peuplé de héros mutilés, ponctué d’intrigues et de twists inattendus, on pensera évidemment à la saga de G.R.R. Martin. Les créatures monstrueuses que le héros est parfois payé pour chasser, ainsi que l’espèce de magie maîtrisée par ceux qu’on appelle “fileurs” nous rappelleront bien entendu les quêtes de Geralt De Riv. Enfin, le héros, épéiste hors pair, dur comme le cuir d’une armure de monteur de dragon (mais toutefois amoureux !), possédant un destin auquel il semble ne pas pouvoir échapper, a quelque chose de Vaelin Al Sorna, le héros prophétique de Blood Song. Autant de références prestigieuses dont Blackwing n’a pas à rougir ! Le quatrième de couverture arbore d’ailleurs comme une médaille une citation d’Anthony Ryan (Blood Song) qui se montre tout à fait enthousiaste à propos du livre.
Croisant les références, le roman croise aussi les univers. En effet, de prime abord, Blackwing est encore un roman de fantasy de plus. On combat à l’épée en armure, on voyage à cheval, on établit son plan d’attaque à la taverne, on paie en poignées de pièces d’or… Cependant, à y regarder de plus près, on n’est pas exactement dans les Terres Du Milieu. En effet, le monde de Blackwing possède une technologie un peu spéciale, basée sur la récolte de lumière par des “fileurs”, qui possèdent le don de leur art et la réutilisation de celle-ci comme source d’énergie – à la fois pour le quotidien, mais aussi pour la guerre. C’est une sorte d’univers steampunk un peu alternatif (pas de machines à vapeur), une société médiévale éclairée au néon.
Et puis, surtout, la société humaine est menacée par la Désolation des terres post-apocalyptiques où règnent des mutants effrayants : sorciers vicieux à l’apparence innocente de jeunes enfants, créatures monstrueuses possédant des dizaines d’yeux ou encore ogres de 2,50m maniant la hache de combat. C’est Mad Max, c’est Ken Le Survivant. Sans parler des Rois des Profondeurs, ces dieux éternels dont la seule présence peut faire perdre la raison (toute référence Cthulienne ne serait pas complètement fortuite, même si l’auteur se défend d’avoir jamais lu Lovecraft…).
« Sometimes, just sometimes, the crow can bring that soul back to put the wrong things right » – The Crow (1994)
« Certains hommes sont nés pour charmer les dames et répandre leur semence irresponsable sur cette terre. D’autres existent pour façonner de formidables œuvres d’art qui inspirent les rêves et développent la créativité sur des générations. D’autres encore sont là pour labourer les champs, poser du pain sur la table, et apprendre à leur propres fils à labourer les champs, poser du pain sur la table, et éduquer leurs propres fils.
Personnellement, j’étais né pour tuer. » – p. 459
Il y a quelques années, les Rois des Profondeurs se sont réveillés d’un sommeil séculaire avec l’idée d’en découdre. Si la société humaine est toujours debout, elle ne le doit qu’à la Machine de Nall, l’arme la plus puissante jamais conçue, utilisant des quantités faramineuses de lumière (pour vaincre des créatures des ombres, rien de tel…!).
Cependant, la Machine a laissé derrière elle la Désolation : une terre viciée, où le temps et l’espace ne répondent pas aux mêmes règles qu’ailleurs, où l’air est toxique, et désormais territoire des Rois des Profondeurs. Entre les hommes et la Désolation, le Cordon. Une série de postes de garde équipés de relais de la Machine, prêts à l’activer si les créatures de l’autre côté se montraient à nouveau belligérantes. Et tôt ou tard, ça va arriver.
Malheureusement, c’est lors d’une mission de routine qui lui demandera d’aller jusque dans la Désolation que Ryhalt Galharrow, soldat déshonoré devenu chasseur de primes, sent que quelque chose ne va pas… Et si la Machine ne fonctionnait plus ? Et si des traîtres à la solde des Rois des Profondeurs agissait sous le nez des dirigeants de Valengrad ? Et si les Rois étaient déjà à nos portes… ?
« Hi ho to the carrion crow… » – The Grateful Dead, Mountains of the Moon
Direct et brutal, le roman est à l’image de son héros et de l’univers qu’il nous narre. Ne s’encombrant que de peu de poésie, les phrases sont courtes et charrient leur pendant de punchlines.
» Je pensais en avoir fini avec tout ça. Les rêves d’honneur et de gloire militaires, l’adulation de la noblesse. Ce tas de conneries avait été enterré avec ma femme et mes enfants il y a bien longtemps auparavant. J’avais passé dix ans à ramper dans la boue avec des hommes que j’aurais préféré planter que féliciter, à effectuer les tâches les plus simples et fastidieuses. J’avais gratté un salaire juste suffisant pour rester en permanence dans un léger état d’ébriété sous un toit percé. Je ne voulais pas être mêlé aux grands projets des généraux, aux complots de la bourgeoisie, ou aux combats sanglants du front contre les bêtes.
On n’obtient pas toujours ce qu’on veut. Rarement même. Dans mon cas, à peu près jamais. » – p.305
Ce style rend le roman facile à lire ; et c’est tant mieux car il va falloir apprivoiser la galerie de personnages et cet ordre nouveau qui règne à Valengrad.
Racontée à la première personne, c’est par les yeux même de Galharrow que l’histoire nous est contée. À l’occasion d’une session de AMA (Ask Me Anything – Demande-moi ce que tu veux) sur Reddit, Ed McDonald s’est exprimé sur ce choix, glissant au passage quelques références qui ne doivent pas être totalement étrangère à l’écriture de Blackwing.
“ J’ai toujours aimé les histoires à la première personne, et parmi mes bouquins préférés, il y a L’Apprenti Assassin (Robin Hobb), La Compagnie Noire (Glen Cook), Le Roi de l’Hiver (Bernard Cornwell) et Basse Fosse (Daniel Polansky). Je trouve que l’écriture à la première personne vous emmène plus profondément dans un personnage en vous permettant de vraiment explorer sa personnalité de plein de manières différentes. ”
Avec, on l’a dit, la fin de Game of Thrones, et l’arrivée du Sorceleur et du Seigneur des Anneaux sur les plateformes de VOD, on se dit que Blackwing aurait sa carte à jouer du côté des adaptations… Et nous ne devons pas être les seuls à y penser. L’auteur lui-même a peut-être eu cette idée derrière la tête quand il s’est mis à rédiger la version finale de son texte. En effet, l’histoire est très clairement découpée en arcs narratifs, certes tous très liés, mais dont on imagine très facilement l’adaptation sur petit écran, avec son lot de cliffhangers et de plot-twists. Si jamais cela arrive, vous vous souviendrez l’avoir lu ici en premier !
Blackwing est un très bon roman d’heroic-fantasy, qui plaira sans doute aucun aux amateurs du genre, mais aussi aux amateurs d’univers fantastiques de manière plus générale, grâce à son univers hybride. Si les références parsemées dans notre critique, du Sorceleur à Robin Hobb en passant par Blood Song, vous parlent et vous plaisent, alors vous pouvez aller acheter Blackwing les yeux fermés ! Trilogie à venir dont La Marque du Corbeau est le premier tome, le deuxième, Le Cri Du Corbeau, vient d’être traduit en français. Cependant, on appréciera aussi la fin de ce volume, qui conclut l’arc narratif qu’il entame. Sa lecture n’est donc pas forcément un engagement à long terme comme peuvent parfois l’être les sagas fantastiques. Toutefois, on est à peu près sûr que si vous vous aventurez sur les terres de Valengrad pendant ces 480 pages, vous aurez très vite envie d’y retourner !
Blackwing, Tome 1 – La Marque du Corbeau, d’Ed McDonald
Un format poche édité par Bragelonne, 480 pages, 8,20€.
Le Tome 2 est déjà disponible, toujours chez Bragelonne, en grand format.
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