Quelques notes de synthétiseur pour commencer. Des accords simples, mais jouissifs, qui vous embarquent en dix petites secondes. Puis les instruments (électroniques) s’ajoutent : BASS – CLAP – BASS – CLAP, et enfin une voix robotique. L’écran d’accueil de Bomb Rush Cyberfunk (BRC, pour faire court) est volontairement hypnotique, et quoi de mieux pour commencer un jeu ?
Plus de vingt ans après Jet Set Radio Future, le jeu que beaucoup considèrent comme son successeur spirituel (a contrario de Dion Koster, le directeur de BRC) est sorti le mois dernier, et les amateurs de jeux de glisse l’attendaient de pied ferme.
Il faut avouer que l’âge d’or du genre nous paraît lointain : alors que les années 90-2000 ont été riches en séries à l’identité forte (Tony Hawk, Skate, SSX, 1080° Snowboarding, Wave Race,…), Skate 3 (2010) a marqué la fin d’une époque. Sans parler de chute en disgrâce des jeux de glisse depuis lors, la qualité de certains titres étant à saluer (Olli Olli en tête, et les efforts d’Ubisoft Annecy avec Steep et le récent Riders Republic), rares sont ceux à avoir eu le même impact.
À la place de grosses productions, des jeux indépendants ont toutefois su s’attirer l’attention des joueurs amateurs de glisse, comme Rollerdrome l’année dernière, et Skate Story que l’on attend pour 2024.
Bomb Rush Cyberfunk fait partie de ces pépites indés qui méritent l’attention des joueurs. Après plusieurs heures de jeu, les notes d’introduction restent toujours aussi délectables et sont à l’image de la dernière œuvre de la Team Reptile : un plaisir permanent.
(Test de Bomb Rush Cyberfunk réalisée sur PS5 à partir d’une copie fournie par l’éditeur)
Cyberfun – Press Start to Kiff
Pas besoin de rollers pour slider : des baskets bien stylées suffiront. Ça, vous le découvrez avec Faux, le personnage que vous incarnez : un graffeur qui se retrouve en prison pour une raison inconnue, et qui profite de l’aide d’un autre street artist vandale pour s’évader. Après un combat face à une policière « augmentée », dont l’issue était attendue, vous parvenez à échapper aux forces de l’ordre juste avant de… vous faire décapiter par un vinyle volant. Surprenant.
Heureusement, Tryce, votre nouvelle connaissance carcérale, ne manque pas de ressources et vous dote d’une cybertête flambant neuve, et vous affuble du surnom de Red, en référence à la couleur pimpante de votre nouvelle augmentation.
Le scénario de Bomb Rush Cyberfunk tient de la quête initiatique : Red souhaite retrouver sa mémoire, ou plutôt celle de Faux, afin de comprendre pourquoi il a été assassiné. Heureusement, son meurtrier, DJ Cyber, est un graffeur notoire, légendaire même : il fait partie des Big 3, les graffeurs les plus connus en ville.
Il viendra rapidement proposer à Red un marché afin de lui rendre la tête qu’il a perdue : s’il parvient à s’imposer dans les cinq quartiers de New Amsterdam comme le meilleur rider/graffeur, il obtiendra le titre de « All City » et aura le droit de le défier en duel pour obtenir ce qu’il souhaite, s’il s’impose.
Derrière son pitch simpliste, BRC déploie une véritable mythologie urbaine parfaitement réussie. L’essence du jeu, c’est le style, et la « rule of cool » s’impose à nous que ce soit dans l’histoire, l’esthétique ou le gameplay.
Ce dernier, totalement orienté arcade, se distingue par son côté aérien et flottant, qui rappelle celui de Jet Set Radio, avec un aspect plutôt limité concernant les tricks. En effet, une fois en l’air, vous n’aurez que trois possibilités de tricks, correspondant à vos trois touches (en dehors de celle du saut), et les directions que vous pourrez donner avec le joystick n’influeront en rien les figures.
Frustrant dans un premier temps, on comprend néanmoins au fur et à mesure de notre progression que des subtilités sont à découvrir, et que cette simplicité apparente du gameplay permet de s’affranchir du carcan habituel des tricks (les traditionnelles combinaisons de touches et de directions) pour embrasser pleinement la sensation de fluidité du jeu. Plutôt que de penser à votre figure, il s’agira de se concentrer sur comment continuer à grinder en profitant un maximum de l’architecture de New Amsterdam, conçue idéalement pour cela.
SEGA’s Legacy ?
Bomb Rush Cyberfunk est un jeu aux inspirations multiples. Impossible, par exemple, de ne pas voir les parallèles avec Ghost in the Shell que ce soit dans le design de certains personnages, certains boss, ou les thématiques de l’augmentation humaine.
Du côté vidéoludique, Jet Set Radio est une inspiration évidente, mais (des propos de Dion Koster) il serait plus juste de le considérer comme un hommage à celui-ci que comme son successeur. Et force est d’admettre que, par-delà certaines mécaniques, le jeu regorge de clins d’œil à la belle époque Sega qui donnent envie de fouiller la ville.
Benni – le chauffeur de taxi que vous aurez l’occasion de secourir – semble tout droit issu de Crazy Taxi, les sessions de Breakdance nous auront rappelé au doux souvenir de Space Channel 5, et les moments de grind surréalistes ont un petit air de Sonic Adventures. Impossible de ne pas voir l’empreinte de Sega dans l’univers de BRC, jusque dans certains petits détails qui auront stimulé l’imagination des fans.
Toutefois, le jeu déploie sa propre touche psychédélique qui lui confère une identité unique. Dans des moments particulièrement inspirés visuellement, Red se retrouve en effet projeté dans son subconscient pour découvrir les méandres de sa mémoire.
Dans ces phases de jeu justement dosées, l’esthétique est tout aussi libérée que le gameplay, et les tricks importent moins que l’immersion totale dans ce monde imaginaire.
Malgré l’opposition entre ces deux réalités, l’ensemble de l’univers reste cohérent, notamment par le choix du cel-shading. L’esthétique choisie fait sens, mais ce qui rend tout aussi palpable la richesse de Bomb Rush Cyberfunk, c’est sa mise en avant des artistes ayant participé à la création de l’univers, et pour lesquels ce jeu a tout d’une véritable galerie de street-art.
DJ, Breaker, B-boy, Graffeur
Sachez avant tout qu’au cœur du projet, il y a un certain Dion Koster. Le co-fondateur du studio hollandais est à la fois directeur du jeu, au design des personnages, au gameplay et au scénario. Ces multiples casquettes se comprennent mieux lorsqu’on sait que la Team Reptile compte moins de dix employés dans ses rangs, ce qui force d’autant plus le respect quand on voit la qualité de leur jeu.
Dion Koster infuse dans Bomb Rush Cyberfunk sa passion pour les arts de rue, à commencer par le hip-hop. Il a même participé à la conception des chorégraphies et de certains graffs.
Mais il aura surtout eu la bonne idée d’aller chercher des street-artists pour les graffitis, des breakers pour les danses, des DJ pour les pistes du jeu, et même un certain Hideki Naganuma. Si vous ne connaissez pas le monsieur, qui nous gâte ici avec trois excellentes créations originales, sachez qu’il a notamment composé pour SEGA (Jet Set Radio, Sonic Rush, Super Monkey Ball 3D), et a aussi travaillé sur l’animé Air Gear et bien d’autres jeux dont Yakuza 5 et Persona 3: Dancing in Moonlight.
En parallèle, Dion Koster aura aussi décidé de s’appuyer sur sa communauté de fans et d’intégrer leurs créations dans le jeu en les créditant. Plus de 700 personnes ont ainsi participé à une battle de graffitis, parmi lesquels une trentaine ont été intégrés dans le jeu.
En plus d’être une belle façon de mettre ces artistes en avant, toutes ces créations donnent une tangibilité inattendue à Bomb Rush Cyberfunk et lui permettent de dépasser son statut de simple jeu vidéo pour devenir une porte ouverte à tous les arts de rue.
À la fin d’une partie, vous n’aurez qu’une envie : chausser vos rollers et partir à la conquête de votre quartier pour en découvrir ses secrets et y laisser votre empreinte, tout en écoutant du hip hop sur une bonne vieille chaîne stéréo.
Derrière ses graphismes old-school titillant la fibre nostalgique des amoureux de SEGA, et des fans de Jet Set Radio avant tout, Bomb Rush Cyberfunk s’avère être une œuvre hétéroclite et bien plus riche qu’elle n’y paraît.
Vibrant hommage à l’âge d’or des jeux de glisse, la Team Reptile parvient avec sa dernière création à nous livrer tout à la fois un jeu au gameplay grisant malgré sa simplicité, un univers rempli de clins d’œil à d’autres œuvres et de secrets qui font mouche, et une véritable ode aux arts de la rue. La Cyberfonky Family a trouvé son nouveau rejeton.