C’est un véritable drama auquel on a assisté ce dimanche autour de la licence Bayonetta, et il aura fallu les révélations d’Amouranth sur les abus dont elle a été victime pour que le public passe à autre chose. Tout a commencé par une courte vidéo postée par Hellena Taylor, l’actrice qui double la sorcière Bayonetta dans les deux premiers jeux. Elle y explique qu’elle ne sera pas au générique du troisième titre, s’étant vue proposer un salaire qu’elle juge trop inférieur à ses compétences.
La production lui avait ainsi proposé un cachet de 4 000$ pour l’ensemble du travail sur le jeu. On ne statuera pas sur le fait que 4 000$, ce serait « déjà beaucoup » ou « vraiment insuffisant ». D’abord parce qu’on n’a pas tous les détails qui permettraient d’avoir un avis tranché (combien d’heures de travail ? brut ou net ? et combien avait-elle touché pour les épisodes précédents ?). Mais aussi, et surtout, parce qu’on n’a aucune idée des prix pratiqués dans ces superproductions.
Friends, Worldlings, Bayonutters. Hear ye!#PlatinumGames #Nintendo #Bayonetta #Bayonetta3 #Bayonutters #Boycott #NintendoEurope #NintendoAmerica #NintendoJapan pic.twitter.com/h9lwiX2bBt
— Hellena Taylor (@hellenataylor) October 15, 2022
Ce qui est certain, et Hellena Taylor le rappelle, c’est que la franchise Bayonetta a rapporté beaucoup, beaucoup d’argent à ses producteurs. Taylor évoque la somme de 450 millions de dollars, sans compter les produits dérivés. Et il serait tout à fait juste qu’elle puisse prendre sa part dans ce succès, y ayant participé. Pour se convaincre de l’importance du travail des doubleurs, il suffit de voir le bruit qu’a fait la bande-annonce du film Super Mario, pour lequel les producteurs ont fait le choix de se passer du doubleur « historique » du personnage…
Ainsi, Hellena Taylor appelle au boycott du jeu, et c’est là où l’on a un peu plus de mal à la suivre. On ne répètera pas ici (on le fait assez régulièrement) combien les conditions de travail dans de nombreux studios de jeux vidéo peuvent être difficiles, voire violentes. Mais faire porter la responsabilité de la situation aux consommateurs ne nous semble pas tout à fait juste. Certes, si le boycott était massivement suivi, et de façon régulière, sur plusieurs titres, les dirigeants de studios reverraient peut-être leur comportement et la culture d’entreprise – non pas par empathie pour leurs équipes, mais pour faire redécoller les ventes, évidemment.
Mais est-ce aux consommateurs, aux joueurs, qu’il revient de réguler le management abusif ou la culture d’entreprise toxique ? N’est-ce pas, de la part de l’industrie, se défausser un peu trop vite que de déclarer « Vous n’avez qu’à pas l’acheter » ? Cela signifierait aussi que si un jeu se vend bien, le public « valide » les méthodes du studio. Sauf qu’il ne revient pas au public de dire ce qu’une entreprise peut, ou ne peut pas, imposer à ses salariés. C’est au droit de le faire.
À l’inverse, on peut aussi comprendre la réaction des joueurs qui se refuseront à acheter un jeu pour ne pas soutenir un studio dont ils désapprouvent les méthodes (astuce : visez alors l’occase, vous pourrez jouer au jeu sans soutenir sa production !).
Se priver volontairement d’un jeu – ici, Bayonetta 3 – pour militer contre les abus d’un studio ? L’acheter malgré tout et se voir accusé de participer à perpétuer des comportements toxiques ? Renvoyer chacun à ses responsabilités, dirigeants et salariés en premier lieu ? En appeler au régulateur (l’État ?), qui ferme parfois un peu les yeux, pour arbitrer ces questions ? Le problème est un peu plus complexe que de simplement soutenir ou refuser le boycott.
L’issue viendra peut-être des syndicats, dont la vocation est de servir d’intermédiaire entre les patrons, les salariés, et la loi. Malheureusement, on voit avec ce qui se passe chez Raven Software que ces derniers sont déjà très compliqués à mettre en place aux États-Unis (voir notre article ci-dessus), et pas très loin d’être inimaginables au Japon. Parce que les dirigeants se satisfont très bien de la situation actuelle ? Toujours est-il que suite à la vidéo d’Hellena Taylor, plutôt que de répondre à ses détracteurs (très nombreux, c’est vrai), Hideki Kamiya a préféré fermer son compte Twitter. Comme quoi, un intermédiaire aurait sûrement eu son rôle à jouer…