Il y a maintenant un peu plus treize ans sortait en exclusivité Xbox 360 un jeu qui allait faire couler beaucoup d’encre, un certain Alan Wake. Développé par le studio finlandais Remedy, qui sortait alors de ce qui était encore une dilogie, Max Payne, le titre était très, mais alors très attendu par les joueurs. Il divisa et connut des ventes en deçà des attentes, mais obtint néanmoins une belle seconde vie grâce à sa sortie deux ans plus tard sur PC. Fort heureusement pour nous et pour l’espoir de voir paraître un Alan Wake 2 un jour.
Et il nous a donc fallu attendre longtemps avant d’enfin pouvoir goûter aux nouvelles aventures de l’écrivain le plus torturé de l’histoire de notre média favori. Remedy a pris le temps de mûrir et de grandir, d’affiner sa formule et de tester différentes choses, notamment au travers de ses deux derniers jeux : Quantum Break et Control. Mettant en chantier aussi le Remedy Connected Universe, dans lequel s’inscrit Alan Wake 2, objet de cette critique et qui nous a totalement conquis.
(Test Alan Wake 2 sur Xbox Series X réalisée à partir d’une version commerciale du jeu)
Chapitre 1 – Ceci est une histoire d’horreur
Alan Wake 2 débute plus d’une décennie après le premier, et passé le choc du prologue (que l’on éclipse sciemment), on fait connaissance avec l’héroïne qui partage l’affiche avec Alan, l’agent du FBI Saga Anderson. Accompagnée de son coéquipier Alex Casey (oui, vous avez bien lu), ils font route vers la ville de Brigth Falls pour enquêter sur un meurtre rituel ayant eu lieu à Cauldron Lake qui semble relié à une affaire bien plus ancienne.
Du scénario, nous n’en dévoilerons pas beaucoup plus et ceci est un choix totalement assumé de notre part. Alan Wake 2 est un thriller horrifique et psychologique, porté principalement par son histoire. Trop en dire serait vous gâcher le plaisir de la découverte. Sachez juste que l’enquête que va mener Saga la mettra non seulement sur la piste d’une secte meurtrière, mais aussi sur celle d’un Alan Wake porté disparu depuis sa confrontation avec l’Ombre Noire.
Ce dernier fait d’ailleurs assez rapidement son apparition aux côtés de Saga. Confus et désorienté, il mentionne une menace capable de dévorer le monde et à laquelle il serait lié par ses écrits, bien qu’il ne s’en souvienne pas. Tour à tour, nos deux protagonistes vont prendre en main l’enquête et tout faire pour tenter de stopper une destinée qui semble inéluctable.
Chapitre 2 – Il faut écrire
Alan Wake 2 est, comme son prédécesseur, avant tout un jeu qui brille de par sa narration et son écriture, sans pour autant en être une copie carbone puisqu’ici, on abandonne le côté serial du précédent jeu pour quelque chose de bien plus cinématographique.
Dès le départ, on voit bien que Remedy cherche à proposer autre chose que ce que l’on avait dans le premier jeu, qui s’ouvrait sur une citation de Stephen King. Une influence majeure d’Alan Wake qui, si elle n’est pas abandonnée, comme les autres d’ailleurs (Twin Peaks et La Quatrième Dimension en tête), se retrouve ici renforcée par d’autres, dont True Detective ou Seven. Ici, il ne s’agit plus de fuir vers l’avant, mais bien de vivre une véritable enquête policière jalonnée de fantastique et à l’ambiance glaçante. Le titre est plus violent, plus graphique, plus cérébral même.
Le récit reste néanmoins narré par Alan Wake lui-même. On n’échappe pas alors à la célèbre voix off de l’écrivain qui continue de guider le joueur et Saga par l’écriture via les pages de manuscrits. Tout du moins au début, car les choses changent bien vite, et même ses écrits inspirent la méfiance, son auteur semblant perdu, incertain et courant après une chimère. De là intervient le côté méta du jeu, qui se questionne constamment sur ce qu’il fut, est, et représente au travers d’un questionnement intelligent de l’artiste et de son art.
La narration, elle, est morcelée, non linéaire, et aussi brisée que le narrateur. Le récit est un méli-mélo de fausses pistes brouillant toujours plus les tenants et aboutissants de l’intrigue. C’est passionnant à suivre, parce que Remedy parle à l’intelligence même du joueur, lui offrant différents niveaux de lecture, sans jamais le désorienter ou presque. Car il faut néanmoins s’accrocher pour ne pas perdre le fil de cette somptueuse toile d’araignée faite d’idées qui se tissent sous nos yeux.
Une toile composée de divers éléments qui forment un tout assez singulier, aux nombreuses fulgurances, comme ce chapitre « We Sing » qui hante encore nos rêves. L’immersion est au beau fixe, ne faiblit jamais, car le récit est mené de main de maître ; la plume de Sam Lake et ses équipes se montre particulièrement juste. Aussi, pour écrire une bonne histoire, il nous faut des protagonistes et seconds couteaux travaillés, ainsi qu’une intrigue qui se renouvelle sans cesse via des climax cohérents, afin qu’aucune monotonie ne vienne perturber les débats.
Et c’est ce qui est fait ici, d’autant plus que le studio utilise chaque corde à son arc pour y parvenir, insistant grandement sur la narration visuelle, tout en donnant corps à un monde en constante évolution, bien aidé par une excellente direction artistique qui fonctionne de concert avec la narration elle-même. Chaque lieu est l’occasion de vérifier toute l’application qu’a mise le studio dans la création de son univers, tant c’est recherché et détaillé. D’ailleurs, on pourrait même dire de « ses univers », puisque l’affiliation avec Control est bel et bien assumée.
Chapitre 3 – Reste dans la lumière
Alors oui, tout ceci rend l’expérience vécue euphorisante. Mais qu’en est-il du gameplay ? On l’a dit, le jeu est non linéaire, dans le sens où il nous permet d’incarner à tour de rôle et dans l’ordre que l’on souhaite (la majeure partie du temps) Alan ou Saga. Chacun menant son enquête de son côté. Le premier dans l’Antre Noir qui se matérialise comme un petit quartier bien dark de New York, et la seconde dans Bright Falls et ses environs. Chacun amène ainsi des mécaniques de jeu qui lui sont propres.
Tous deux ont accès à une sorte d’antre mentale qui se matérialise sous la forme d’une pièce les définissant et dans laquelle ils peuvent se réfugier pour analyser les indices qu’ils glanent durant leurs enquêtes. C’est un peu plus vrai avec Saga qui a accès à une sorte de tableau des preuves sur lequel on intervient directement pour boucler des affaires en cours qui elles-mêmes ouvrent sur de nouvelles pistes à suivre. Cependant, bien que cela soit une très bonne idée sur le papier, dans les faits, et encore une fois surtout avec l’héroïne, ce n’est pas très ludique et cela hache quelque peu le rythme du jeu.
Pour ce qui est d’Alan, cela lui permettra surtout de changer l’histoire qui se joue sous nos yeux avec une intervention directe de sa personne sur cette dernière, en en réécrivant des parties. Cela se traduit par la possibilité pour le joueur de transformer en temps réel les lieux d’intrigues qu’il visite, afin d’atteindre son objectif en cours. Comprenez par là que l’on change ici l’ambiance, les couleurs, l’agencement et la symbolique même du « niveaux » dans lequel on se trouve.
Quelle belle trouvaille, à la fois déstabilisante et admirablement bien conçue qui amène à des casse-tête environnementaux d’une belle intelligence. Ceci grâce au fameux « Rupteur » (Mcgufin du premier jeu) que l’on récupère bien vite et qui permet de capturer la lumière de différentes sources lumineuses pour en créer d’autres (ou pas), afin de là encore jouer avec le level design de l’endroit où l’on se trouve et le transformer afin de s’ouvrir de nouveaux chemins.
Quant à Saga, elle possède aussi un pouvoir d’omniscience assez particulier lié au profilage, ce qui va de pair avec l’enquête policière, puisqu’elle peut interroger ce que l’on pourrait comprendre comme étant le subconscient d’une personne en se concentrant sur elle. Ceci est faisable dans son antre mentale, et cela lui permet de récolter des informations, voire même de deviner les intentions des individus en question. Il est dommage que l’on n’intervienne jamais dans ce procédé, plus narratif qu’autre chose.
Chapitre 4 – Dark Shadows
Rien ne surprendra vraiment l’initié lorsqu’il se verra confronté aux horreurs qui tentent de lui nuire. Il s’agit là toujours d’affronter des possédés et de les défaire en brisant leur « bouclier » d’ombre en les éclairant avec notre lampe torche pour ensuite leur loger quelques bastos dans le buffet. Moins nombreuses, mieux équilibrées, tout en étant plus tendues, bien que l’on déplore un bestiaire assez pauvre (mais qualitatif), nos rencontres armées se montrent bien plus modernes et efficaces que par le passé.
Et si Alan Wake 2 ne fait pas réellement peur, quoiqu’il abuse parfois de jumpscares assez malvenus malheureusement, il nous plonge dans un univers ténébreux des plus dérangeants, nous plaçant constamment en alerte, tant on ne se sent quasiment jamais en sécurité. Et cela peu importe où l’on évolue, que ce soit dans la forêt entourant Cauldron Lake, dans un vieil hospice, en passant par des stations de métros abandonnées et autre cinéma, l’urgence est toujours absolue, surtout que la lumière n’est plus gage de sécurité…
Le jeu se veut aussi plus ouvert, divisé en zones diverses et variées, sa proposition artistique est si folle qu’elle incite à l’exploration. Cette dernière permet de récupérer divers objets utiles liés aux ressources, mais aussi de compléter quelques quêtes annexes, pas toutes très intéressantes, mais apportant là encore les prérequis à l’amélioration des capacités de nos héros ou de nos armes.
Il se dégage aussi un petit côté old school dans les mécaniques de jeu qui devraient ravir les fans de survival-horror de la première heure, sans pour autant que la modernité du jeu ne soit niée.
Si l’on perçoit une certaine limite à tout cela, puisque nos capacités d’explorateur sont bien souvent bridées par notre avancée dans l’histoire principale, il faut reconnaître que cela s’accorde bien avec les côtés plus linéaires du jeu, même si le syndrome de la chasse à l’objet bête et méchant pointe parfois le bout de son nez, tant il y a de choses à récupérer. Sans omettre les émissions de radio, de télé, ainsi que les pages de manuscrits disséminées un peu partout.
Chapitre final – Champion of the light
Ceci étant dit, s’il nous est impossible ici de tout traiter, il nous faut tout de même aborder un point précis. Le jeu est un réel mètre étalon visuel tant il est techniquement irréprochable et véritablement nouvelle génération. Immersif à l’extrême, tant il est réaliste dans son approche technique, Alan Wake 2 en impose et s’impose comme une vitrine technologique bluffante. Alors si quelques bugs demeurent, on les lui pardonnera aisément, car ils n’entachent en rien l’expérience globale.
Enfin, un mot sur la VF. Elle est de très bonne facture, et c’est tant mieux, car dans un jeu du genre, c’est un impératif. On note cependant quelques soucis de synchronisation labiale qui sont absents de la VO, que l’on conseille tout de même très fortement. La bande-son du jeu est aussi une belle réussite, tant au niveau des thèmes musicaux, des morceaux présents (Old Gods of Asgaard rocks !) que des bruitages d’ambiance qui participent très grandement à l’immersion.
Alan Wake 2 est un véritable chef-d’œuvre. Il n’y a aucun autre qualificatif possible pour le définir. Il résout la majorité des problèmes présents dans le premier jeu, tout en approfondissant la mythologie même de ce dernier. L’histoire proposée est passionnante, l’écriture est incroyable et la narration aussi unique que réussie.
Certes, tout n’est pas parfait, mais qu’est-ce qui l’est dans ce bas monde ? Le gameplay est meilleur, l’exploration améliorée, et surtout la proposition de la double enquête avec deux héros différents fonctionne à merveille. La mise en scène est léchée et le jeu ne cesse de surprendre toujours plus, plaçant le joueur face à des situations inattendues, permettant au jeu de se renouveler continuellement.
En plus de tout cela, il est d’une beauté sidérante et est un tour de force technique qui donne un sens au terme « nouvelle génération ». Alors oui, il n’est clairement pas fait pour tous, n’est pas un modèle d’accessibilité non plus, car il demande un véritable investissement intellectuel et de temps. Il ne vous demandera qu’entre 15 et 20 heures pour être bouclé, mais possède suffisamment de niveaux de lecture pour être rejoué. Un incontournable qui est à ce jour le jeu le plus abouti de Remedy et vu le pédigrée du studio, ce n’est pas rien.