YIIK: A Postmodern RPG (que l’on appellera par convenance YIIK dans la suite de ce test ) est le deuxième jeu des studios Ackk, après le plutôt décevant Two Brothers, un jeu en simili-Game Boy qui avait eu peine à convaincre. Pour YIIK (prononciation : ouaille-tou-kay), on nous promet une aventure surréaliste à bases de 90’s, de donjons remplis de puzzles, un système de combat inédit, des musiques de superstars et un casting 4 étoiles. Alors, qu’en est-il vraiment ?
(test de YIIK: A postmodern RPG réalisé sur PlayStation 4 via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
« Tonight I’m gonna party like it’s 1999 » (Prince)
1999. Alex rentre chez lui dans la petite ville de Frankton après avoir brillamment obtenu son diplôme universitaire (même s’il a mis un peu plus de temps que prévu…). Alex, c’est le hipster type : barbe fournie, lunettes à monture épaisse, chemise à carreaux ouverte sur son t-shirt. Un personnage un peu agaçant, pas du tout destiné à devenir un héros. C’est pourtant celui de cette histoire, incarné par le joueur.
Une série d’événements à priori anodins (bon, on peut le dire : un chat lui pique sa liste de courses ! Ça non plus, ça ne fait pas très chevaleresque !) emmènera Alex vers une usine abandonnée en périphérie de Frankton. Il y fera la connaissance de Samy, une jeune fille énigmatique qui prétend vivre là, dans les ruines de l’usine. Malheureusement, Alex n’aura pas le temps d’en savoir beaucoup plus : la jeune fille sera enlevée par des créatures semblant tout droit sorties d’un autre monde…
C’est là que commence la quête d’Alex pour retrouver Samy, une quête faite de rencontres, de réalités alternatives et d’introspections.
Quelque part entre clins d’œil et manque d’inspiration
Malgré un titre un peu ronflant, YIIK est un RPG, un J-RPG même, plutôt classique dans son gameplay (ce qui n’est pas foncièrement un défaut). On contrôle Alex, qui peut dès le début du jeu se balader à sa guise sur la carte. Bien entendu, certaines zones ne seront rendues accessibles qu’en fonction des avancées du scénario.
Comme dans tout bon J-RPG (et même dans les mauvais, en fait), et ce depuis 30 ans, le personnage principal pourra au cours de l’aventure se trouver des compagnons de voyage. Compagnons qui apparaîtront à l’écran pour les cutscenes et les combats, mais qui seront confondus avec Alex et contrôlés comme un seul homme par le joueur lors des déplacements.
La carte propose des environnements suffisamment variés. On visite ainsi plusieurs villes et villages où l’on mènera l’enquête, et, puisqu’il s’agit d’un RPG, des donjons. Si les zones à explorer sont plutôt safe, pour voyager entre deux villes, le jeu passe en mode « carte » – là encore, rien de très original – et des rencontres aléatoires peuvent se produire, donnant lieu à des affrontements.
Les combats se jouent au tour par tour. Quel que soit le nombre de personnages qui accompagnent Alex, le joueur ne pourra sélectionner qu’un maximum de quatre compagnons qui participeront au combat.
Pour chacun des combattants, à chaque tour, le joueur aura le choix entre quatre actions : attaquer, utiliser une compétence spéciale, défendre, ou fuir. L’action choisie déclenchera un mini-jeu (tournant souvent autour du principe de QTE), dont l’issue déterminera la réussite ou non de l’action.
Cette idée est à la fois fun et originale, mais trouve ses limites dans la répétitivité. Si chaque personnage possède des actions propres, et donc des mini-jeux différents, par souci d’efficacité, le joueur aura tendance à se concentrer sur ce qui fonctionne pour lui. Et donc plus ou moins se cantonner aux quatre actions qui lui réussissent. Cela signifie repasser des dizaines et des dizaines de fois par les mini-jeux correspondants, et ça finit par lasser.
Le joueur est plutôt assisté dans sa progression dans l’enquête et dans l’aventure, et en suivant bien les dialogues, on sait toujours où aller ensuite. Au passage, le jeu est entièrement en anglais, textes et voix. Si un Master 2 en littérature anglaise n’est pas forcément nécessaire pour suivre l’aventure, il faut tout de même noter une certaine importance des textes et de la narration.
En dehors de l’aventure principale, si le joueur est libre de ses mouvements, pas grand-chose à faire. On regrettera par exemple que la salle d’arcade de Frankston, avec son Time Crisis et son Dance Dance Revolution, ne donne pas lieu à des mini-jeux… La série des Yakuza nous a peut-être donné de mauvaises habitudes !
Les donjons sont la bonne surprise de YIIK. Ils ne se contentent pas d’aligner couloirs et créatures à combattre, mais proposent des petites énigmes façon puzzle-platformer qui viennent casser un peu la routine RPG du titre. Ainsi, au fur et à mesure de ses rencontres, Alex obtient des nouvelles capacités qui lui donneront accès à de nouvelles zones : une guitare électrique dont la puissance brise les rochers, un chat qu’il peut balancer au loin pour actionner des leviers à distance, le mouvement secret du headbanger lui permettant de couper les arbres qui lui barrent le passage avec ses cheveux ( ??!)… Ces capacités, qu’on a trop vite tendance à oublier, sont mises à profit dans les énigmes des donjons, qui renferment néanmoins quand même leur lot d’ennemis à abattre.
On voit les fils
Si vous avez déjà assisté à l’une des parades de la compagnie nantaise Royal Deluxe, avec leurs marionnettes gigantesques, vous avez très probablement été impressionné par le savoir-faire des artistes. Dans ce genre de spectacle, il ne s’agit pas de tromper l’observateur en lui cachant le fonctionnement des pantins. Au contraire. Les manipulateurs sont partie intégrante de la performance.
Dans YIIK, un peu comme dans un spectacle de marionnettes, on voit les fils. Ackk Studios nous propose un J-RPG comme on en fait depuis des dizaines d’années. De ce fait, on sait comment ça fonctionne, on connait la chanson. Ainsi, le personnage s’adressera directement au joueur pour lui dire « inutile de la rappeler avant d’avoir atteint le niveau 5 ». On ne masque pas la contrainte par un transparent « je ne suis pas encore assez entraîné». Ce faisant, on sort de la narration pour en arriver aux mécaniques pures du jeu.
De même, on le sait, un bon moyen de vaincre un ennemi un peu trop puissant, c’est de farmer. C’est à dire enchaîner des combats contre des monstres un peu moins puissants pour accumuler des points d’expérience, et faire monter ses caractéristiques jusqu’à être en mesure de s’en sortir avec l’ennemi qui nous gênait. Ici aussi, le jeu ne s’encombre pas d’oripeaux, et propose carrément des zones de farm. Soit des endroits bien identifiés sur la carte où il sera possible d’éliminer des séries d’ennemis pour progresser plus rapidement.
Les points d’expérience, justement, se dépensent de manière tout à fait classique entre des caractéristiques comme la force, la défense, les points de magie, la chance… Cependant, YIIK donne une couleur un peu différente à l’exercice en le faisant faire de manière graphique : c’est le Mind Dungeon. Un donjon mental, représenté comme étant dans la tête, littéralement, du héros. Plus on gagne d’expérience, plus on descend profondément dans le donjon. On voit ce qu’il y a derrière cette idée : en avançant dans l’aventure, Alex apprend à se connaître. YIIK serait donc aussi un roman d’apprentissage. Mouais…
Méta pas méga
En se plaçant dans l’histoire récente, à la veille du bug de l’an 2000, l’un des tous premiers gros mythes de l’informatique (peut être le premier), en donnant une place particulière à internet et aux jeux vidéo dans son scénario, et en révélant ses propres coutures, on sent que le jeu a des ambitions méta. Cependant, il ne va jamais au bout. Alors la partie sera truffée de moments où l’on brise le quatrième mur, Alex n’aura de cesse de livrer ses pensées directement au joueur, et les références à la culture pop sont légions (Scott Pilgrim et les point’n’click LucasArts, de manière générale, mais aussi des détails comme les disques qui servent d’arme au personnage principal), comme si le YIIK voulait parler de son époque. Ce qu’il ne fera jamais vraiment. Tout reste à l’état de petits clins d’œil, un peu vains.
Attention, le jeu n’est pas dénué d’humour, et recevoir ces références tout au long de l’aventure est plutôt fun. Mais on a quand même l’impression de passer à côté de quelque chose.
Le titre se prétend postmoderne. À nouveau, on peut voir l’intention. Les philosophes postmodernes veulent (en gros) s’éloigner du tout raisonnable (au sens de la raison), où la science et le rationnel seraient toujours supérieurs à tout autre discours. Les mondes parallèles et les entités de YIIK figurent peut-être cet irrationnel postmoderne… Mais c’est un peu léger. De même, parmi les concepts essentiels de la philosophie postmoderne on trouve celui de différance (avec un « a ») de Jacques Derrida. Pour un titre si conforme à son genre, on peut dire que YIIK rate le coche.
Le jeu est disponible sur PC, PlayStation 4, et Switch. Le site officiel le liste aussi sur PS Vita. A voir dans les heures (jours) qui suivent si cette dernière sortie se confirme…
YIIK: A Postmodern RPG est plutôt bon sur bien des points. On a évoqué les donjons très réussis, les idées originales en termes de gameplay glissées ici ou là. On n’a pas évoqué les choix esthétiques du jeu, assez malins, tout en aplat de couleurs, qui réussissent avec le peu de moyens dont disposent les développeurs (on n’est clairement pas dans un AAA, et les décors en souffrent parfois) à donner une identité visuelle sympa et colorée à l’univers. La durée de vie du jeu est aussi l’une des bonnes surprises. Comptez 25 à 30 heures minimum pour en venir à bout. On peut pousser jusqu’à une bonne quarantaine d’heures si certains moments vous donnaient un peu de fil à retordre. Cependant, le vrai gros défaut de YIIK: A Postmodern RPG, c’est son classicisme. On a l’impression d’avoir fait des dizaines de jeux qui lui ressemblent. Le titre ne nous fait quasiment aucune proposition, et se contente des acquis de son genre. Au moins, on est en terrain connu, et on sait ce qu’on achète. Le revers de la médaille, c’est qu’on s’ennuie un peu.