On imagine bien les responsables de chez Xbox mourir d’envie de proposer dans le catalogue Game Pass un Souls-like majeur de FromSoftware. Hélas pour eux, le studio paraît bien trop proche de Sony pour qu’un deal du genre puisse s’opérer. Qu’à cela ne tienne, il n’y a qu’à toquer à la porte d’un autre studio qui a su lui aussi trouver son public dans le genre : Team Ninja.
Nouvelle déconvenue, la duologie Nioh, exclusive à la console de PlayStation, semble irrémédiablement vouée à cette machine. Mais bon, Microsoft n’est pas à quelques millions près et compte bien adjoindre une nouvelle expérience d’action « soulsesque » adulte et exigeante à son offre d’abonnement. Et ainsi naquit Wo Long: Fallen Dynasty, disponible depuis le 3 mars dernier sur les consoles Xbox et PlayStation, PC, mais aussi et surtout dans le Game Pass de la console américaine.
Alors que la Team Ninja est déjà en plein développement de Rise of the Ronin en exclusivité pour la PS5, relecture à la sauce Nioh de Ghost of Tsushima et dont le trailer a su marquer les esprits lors du State of Play d’il y a quelques mois, on est en droit de se demander si le studio dispose des ressources suffisantes pour développer en parallèle deux projets majeurs. Ne risque-t-on pas de voir débarquer en Wo Long: Fallen Dynasty un titre opportuniste, produit à la va-vite, sans idées ni identité propre ?
(Test de Wo Long: Fallen Dynasty sur PS5 réalisée à partir d’une copie commerciale du jeu)
Comme un air de déjà-vu
Quand on a besoin d’être rapide et efficace dans son travail, il est naturel de se servir des outils déjà présents et fonctionnels au sein du groupe. Ainsi, on imagine aisément que les échanges ont dû être nombreux entre les studios Omega Force et Team Ninja, tous deux étant sous la houlette de l’éditeur Koei Tecmo. Si le premier a pu ainsi nous proposer Wild Hearts, un Monster Hunter bien plus dynamique, en se servant de l’expertise dans les jeux d’action du second, la Team Ninja quant à elle a récupéré le lore et les personnages issus de la guerre des trois royaumes de Chine utilisés dans la saga des Dynasty Warriors, développés par Omega Force.
D’autant qu’au-delà de cette série de musô, c’est un cadre que nous avons peu l’habitude de côtoyer dans le jeu vidéo. Cela aurait pu s’arrêter là, mais avec Team Ninja, il faut toujours qu’il y ait des vieux et du mystique dans leurs histoires, sans doute parce que les vieux, c’est hyper mystérieux. Du coup, on ne comprend plus rien, ces ajouts alourdissant et complexifiant grandement un scénario déjà pas évident à aborder de prime abord pour nous autres Occidentaux.
On se retrouve alors à assister à un scénario décousu, sans queue ni tête, alors que les différentes cinématiques, et notamment celles d’action, sont plutôt plaisantes à suivre. Car jusqu’au bout de l’aventure, nous n’aurons pas compris grand-chose de plus, que ce soit au niveau des alliances, trahisons ou ambitions des personnages. Mais en avions-nous vraiment envie finalement ? Car ce qui compte surtout dans ce type de jeu, c’est de taper du gros monstre et des boss impressionnants, et sur ce point, Wo Long: Fallen Dynasty ne déroge pas à la règle.
Restant fidèles à leur logique de niveaux à explorer, les développeurs ont assis la tête de leur gameplay sur le corps encore chaud de leur précédente production. Et si nous utilisons cette analogie peu ragoûtante, ce n’est pas sans raison tant l’affiliation à Nioh est omniprésente, et ce dès l’introduction. Cette première partie est même presque une copie carbone de celle du premier épisode de la duologie, un tutoriel qui avance les premiers pions d’un scénario mystique à base d’esprits protecteurs capturés par un méchant très méchant qui veut méchamment dominer le monde.
Lorsque l’on est familier des dernières œuvres du studio, nous sommes clairement en terrain connu avec Wo Long: Fallen Dynasty. Que ce soit en termes de technique graphique, d’habillage sonore ou d’interface, tout est repris presque tel quel. Peut-on parler de plagiat lorsque l’on est soi-même l’auteur de l’œuvre spoliée ? La question mérite d’être posée et si nous n’avons pas vraiment de réponse claire à exposer (nous la soumettrons à l’épreuve de philosophie du baccalauréat de l’an prochain), force est de constater qu’elle a été le socle d’une déception grandissante au fil de nos heures sur le titre.
Simple, mais (très) efficace
Si nous avons bien dit que de nombreux éléments ont été repris presque tels quels, le mot important à noter était « presque », et nous ne l’employons pas de manière positive ici. En effet, on a plutôt l’impression que l’objectif du studio était de proposer un titre fonctionnel le plus rapidement possible, et, de fait, s’embêter avec de nombreux systèmes n’était pas compatible avec cet objectif. Ainsi, c’est Nioh qui a été découpé en morceaux pour n’en garder que sa base. On peut donc oublier le système de posture, l’arbre de compétence martial, la reforge d’équipement, certes pas très accueillante mais bigrement efficace, ou les pierres tombales d’autres joueurs à affronter pour récupérer leurs pièces d’équipement.
Le boucher a même eu la main un peu lourde sur sa découpe par moment, en retirant des fonctionnalités basiques du jeu d’origine. Pour ne citer que cet exemple, il est impossible dans Wo Long: Fallen Dynasty de comparer l’un des nombreux équipements glanés au cours des missions avec celui que l’on porte actuellement, rendant l’optimisation de ses statistiques pénible à réaliser. C’est peut-être un détail, pris individuellement, mais dans la globalité du titre, cela nous est apparu comme très révélateur du manque d’ambition voire d’attention apporté au titre.
Pourtant, manette en main, le jeu reste très bon. Fortement inspirée de Sekiro: Shadows die Twice, la mécanique de contre à employer au rythme des attaques des monstres et boss est redoutablement efficace et le design sonore rend la pratique particulièrement plaisante. S’il y a un point d’ailleurs sur lequel Wo Long: Fallen Dynasty est irréprochable, exemplaire même, c’est bien sûr la qualité de son bestiaire. Chaque ennemi a été créé avec soin et ses mouvements sont un réel plaisir à apprendre, la quintessence du travail des développeurs se retrouvant dans les combats de boss de fin de niveau (à une ou deux exceptions près).
D’ailleurs, toujours au rang des reprises du titres de FromSoftware, Wo Long: Fallen Dynasty utilise un système de dégâts de posture, ici appelé dégâts d’esprit. Plus on inflige de blessures à l’ennemi ou que l’on réussit des contres parfaits, plus on a de chance de réduire à peau de chagrin l’endurance de l’ennemi et ainsi lui infliger une attaque dévastatrice. Mais bien sûr, si c’est nous qui abusons d’esquives ou de contres mal placés, alors nous nous exposerons nous-même à une attaque fatale. Rien de neuf sous les cocotiers, mais un système éprouvé qui reste toujours efficace en nous mettant face au dilemme classique du « j’attaque pour le tuer ou je recule pour me soigner, laissant alors à l’ennemi l’opportunité de reprendre du poil de la bête ? ».
Là où néanmoins le titre a fait preuve d’une belle originalité, c’est dans son système de moral. Chaque personnage allié ou ennemi, nous inclus, dispose d’un niveau de moral qui fluctue selon notre performance. Plus nous vainquons d’ennemis dans la zone, ou trouvons des socles de drapeaux à planter (représentant en quelque sorte la conquête d’un espace et faisant office pour les plus importants de checkpoint), et plus notre jauge de moral augmente.
Si notre niveau de jauge est supérieur à celui de notre opposant, alors notre attaque et notre défense seront boostés. À l’inverse, si c’est l’ennemi qui nous est supérieur, alors l’affrontement sera plus complexe puisque c’est lui qui sera boosté, et il conviendra, au besoin, de faire preuve de discrétion pour lui asséner un coup critique surprise et de se servir des quelques sorts magiques à disposition. Une manière astucieuse donc pour nous pousser à explorer de fond en comble des niveaux particulièrement bien construits tout en offrant à ceux qui le souhaitent un challenge à la hauteur de leurs exigences en les parcourant sans détours.
Un jeu si difficile ?
On ne va pas retourner dans le sempiternel débat du « les Souls-like, c’est juste des jeux difficiles » pour plutôt essayer de comprendre si Wo Long: Fallen Dynasty est vraiment un titre aussi insurmontable que certains « experts » peuvent le laisser entendre. Comme nous l’avons évoqué, le jeu offre plusieurs approches dans le challenge qu’il propose. Au-delà des trésors que l’on pourra trouver ici et là, l’exploration récompensera le joueur curieux en lui boostant sa jauge de moral qui reste basiquement un système de bonus-malus face aux ennemis.
L’une des autres possibilités offertes est celle de se faire accompagner par deux autres acolytes pour parcourir les niveaux. Ceux-ci peuvent être des joueurs bien réels, évidemment, mais également les héros que l’on rencontrera au fil du scénario qui seront alors contrôlés par la machine. S’ils sont souvent présents par défaut, il reste toutefois possible de les congédier grâce à un objet automatiquement récupéré dans l’option « en ligne » des drapeaux principaux pour soit explorer seul, soit simplement changer ou ajouter un compagnon.
Le dernier point concernant le challenge proposé n’est malheureusement pas volontaire de la part des équipes de Team Ninja, et c’est même l’un des principaux reproches que l’on pourrait faire au jeu. En effet, si le bestiaire de Wo Long: Fallen Dynasty est remarquable, celui-ci ne comporte hélas que très peu de monstres différents, au points que leur nombre pourrait se compter sur les doigts de notre corps. De fait, si l’on reconnaît bien volontiers que les premiers affrontements sont retors, au dixième tigre en trois niveaux, il nous paraît déjà beaucoup moins impressionnant et devient même presque une formalité tant on aura pu bien apprendre à contrer chacun de ses mouvements à force de le croiser toutes les cinq minutes.
Ce nombre très faible d’ennemis différents est d’autant moins excusable qu’avec le nombre hallucinant de réutilisation d’éléments déjà développés depuis des années, le contenu inédit aurait pu, voire dû, être bien plus conséquent. Ainsi, le joueur moins habitué aux mécaniques des Souls-like pourrait se retrouver face à un mur de prime abord, mais c’est surtout sa patience et sa capacité à lire les mouvements adverses qui sera mise à l’épreuve plus que ses compétences vidéoludiques pures.
Wo Long: Fallen Dynasty s’apprend par la répétition afin de devenir presque instinctif, un peu comme quand on apprend une nouvelle partition de musique, presque illisible les premières fois, puis de plus en plus naturelle au fil des entraînements. Mais encore faut-il avoir le temps et l’envie de s’y investir.
« It’s alive ». Voilà ce que l’on pourrait hurler face au Frankenstein vidéoludique qu’est ce Wo Long: Fallen Dynasty. Un (très) gros morceau de Nioh par-ci, un bout de Sekiro: Shadows die Twice par-là, on saupoudre le tout de scénario à la Dynasty Warriors et nous voici face à une production vite faite bien faite à destination première du Game Pass, et des PlayStation en passant. Car si ce gloubi-boulga aurait pu finir en création indigeste et informe, c’était sans compter sur l’expertise des équipes de Team Ninja qui nous ont pondu un système de combat extrêmement efficace couplé à une science du level design en net progrès par rapport à leurs précédents titres, et des monstres et boss que rêveraient de pouvoir proposer dans leurs jeux de nombreux studios.
Pourtant, quand on est familier avec les deux Nioh proposés par le même studio, on ne peut s’empêcher de voir en Wo Long: Fallen Dynasty un net retour en arrière. Moins riche sur à peu près tous les points, on regrette que le temps dégagé par l’absence de création scénaristique, technique, d’interface, d’habillage sonore ou d’IA (d’I-Aveugle comme on aime la nommer) n’ait pas été mis à profit pour créer plus de contenu inédit, et sur ce point, malgré ses immenses qualités ludiques, Wo Long: Fallen Dynasty nous a laissés avec une grosse pointe de déception. Sans doute que la plupart des créatifs étaient assignés au développement de Rise of the Ronin attendu pour 2024 qui, on l’espère, sera à la hauteur de nos attentes.