Le temps est une ressource précieuse (et cruelle). On en manque toujours, et même quand on en a, il nous glisse entre les doigts. La nouvelle expérience introspective de Deconstructeam capture avec justesse cette lutte silencieuse contre l’inertie du quotidien, où chaque action pèse sur l’équilibre fragile entre responsabilité, bien-être et désir.
Vendrán Las Aves est le fruit d’une game jam de janvier dernier, collaboration entre Deconstructeam, Francisco Riolobos et Chuso Montero, il est donc disponible gratuitement sur itch.io. Mais alors, comment, en seulement une vingtaine de minutes, peut-on réussir à cristalliser et porter un propos sur des questionnements dont beaucoup de gens souffrent, la plupart du temps dans un silence assourdissant ?
Vivre, mais à quel prix ?
L’aventure, qui prend la forme d’un visual novel, s’ouvre sur les mots suivants :
« Vous avez acheté une guitare avec vos indemnités de départ.
Et vous avez suffisamment d’économies pour rester sans emploi pendant un an.
Vous avez donc décidé de consacrer du temps à vous-même. »
On comprend rapidement que notre héroïne fut victime d’un burn-out qui a laissé sa part de traumatismes. Marquée par l’épuisement, elle s’enferme dans une routine dans laquelle chaque action devient une épreuve. Son appartement accumule la saleté, elle saute des repas, et surtout, elle évite de sortir. L’extérieur lui semble oppressant, chaque invitation de sa mère est repoussée sous prétexte de fatigue ou d’obligations fictives. L’isolation sociale devient une prison auto-imposée, où le confort du chez-soi se transforme peu à peu en isolement pesant.
Dans Vendrán Las Aves, chaque jour est une gestion minutieuse de l’énergie. Nous avons une jauge d’énergie, conditionnée par nos actions de la veille, qui nous permet d’effectuer plusieurs tâches : faire le ménage, cuisiner ou commander à manger, prendre une douche… Rien ne demande un effort colossal en soi, mais tout mis bout à bout, l’épuisement s’installe vite. L’auto-sabotage n’est jamais loin : la culpabilité d’une assiette laissée s’ajoute à celle d’avoir repoussé une sortie avec sa mère, et bientôt, c’est tout l’appartement qui devient un champ de bataille contre soi-même.
Ce n’est pas tant une question de fainéantise que de charge mentale. Le simple fait d’exister est une pression, et chaque décision semble nous éloigner d’une autre, tout aussi importante. Manger sain ou commander ? Lire ou faire son sport ? Chaque choix a ses conséquences sur notre énergie le lendemain, et la frustration d’un temps limité se fait vite sentir. Même avec un emploi du temps totalement libre, on n’a jamais assez de temps pour tout faire.
La passion comme libération | Sincèrement vôtre
Mais Vendrán Las Aves ne se contente pas de nous enfermer dans cette spirale asphyxiante. Il nous donne aussi une porte de sortie : la passion et la volonté. Nos actions viendront augmenter, ou non, une jauge de désir. L’ultime objectif est d’arriver à avoir l’envie d’apprendre à jouer de cette fameuse guitare évoquée dans l’introduction. Une bouffée d’oxygène qui nous redonnera l’énergie d’affronter le reste.
C’est là que le jeu touche quelque chose de profondément humain : ce n’est pas une checklist de tâches à accomplir qui nous sort de notre apathie, mais un véritable équilibre entre ce qu’on doit faire et ce qu’on aime faire. En nourrissant notre désir, on récupère l’énergie de prendre soin de soi.
Et c’est ainsi qu’on finit par franchir le seuil de l’appartement, pour affronter la ville et ce monde extérieur qui semblait si lointain. Le jeu usera de plans en prises de vue réelles pour briser le quatrième mur, et renforcer un peu plus la porosité entre l’œuvre et la réalité. Un uppercut réfléchi, qui provoque une prise de conscience chez le joueur et qui n’est pas sans rappeler la scène de fin du film d’animation « The End of Evangelion », où Hideaki Anno filme une salle de cinéma bondée, mettant le public face à lui-même, obligé de regarder droit dans les yeux la critique désagréable faite à son égard.
Vendrán Las Aves est une œuvre brutale et sincère. En quelques minutes, il nous rappelle ce que l’on sait déjà trop bien : la vie est un équilibre précaire entre obligations et envies, où chaque minute compte. Il ne nous offre pas de solutions miracles, mais un miroir où l’on se reconnaît amèrement.
Car oui, on va encore repousser cette sortie, encore ignorer cette assiette sale, et même s’abîmer en devenant son propre martyr. Mais peut-être, demain, nous trouverons l’énergie d’ouvrir la porte et de sortir.