Ces derniers temps, difficile de passer à côté : des jeunes filles mignonnes, affublées d’oreilles et de queues de cheval, ont pris d’assaut internet. La cause ? La version mondiale du jeu mobile de Cygames, Uma Musume: Pretty Derby, récemment sortie sur Steam, Android et iOS.
Sorti il y a quelques semaines dans nos contrées, le titre fait grand bruit. Il faut dire qu’il ne sort pas de nul part, puisque depuis 2021, Uma Musume: Pretty Derby fait partie des licences multimédias les plus populaires au Japon. Sous sa version japonaise, le jeu est déjà parmi les titres les plus rentables des différents e-shops depuis sa sortie.
Cependant, tout n’était pas gagné pour autant. Tant dans le concep du jeu, mélanger course de chevaux et idols, n’était pas une mince affaire, que dans la technique, le jeu montre régulièrement son âge. La version mondiale accuse un retard de quatre ans, dans une industrie mobile qui n’attend pas. Est-ce que, face à l’offre actuelle, alors que les fans les plus férus de la licence ont déjà fait le pas vers la version japonaise, la sortie mondiale d’Uma Musume: Pretty Derby apporte réellement quelque chose ?
(Test de Uma Musume: Pretty Derby réalisé sur une version iOS du jeu)
Mettre le pied à l’étrier…
Ne passons pas par quatre chemins : Uma Musume: Pretty Derby est un pur gacha. Cygames est déjà passé maître dans cet art avec Grandblue Fantasy, Uma Musume: Pretty Derby est un jeu auquel il faut jouer quotidiennement, très chronophage. Il faudra forcément un temps pour s’acclimater et naviguer les très (trop) nombreux menus du jeu. L’objectif est simple et évident avant même d’avoir lancé le jeu : choisir sa jument-idol, l’entrainer, et gagner des courses, qu’elles soient contre l’ordinateur ou des équipes entraînées par d’autres joueurs.
Dans les faits, c’est plus compliqué. Selon votre habitude des jeux à gacha japonais, cette prise en main peut être plus ou moins complexe. Fort heureusement, rapidement, le joueur est dirigé vers le mode « carrière », où il faudra entrainer sa première jument-idol. Dès lors, exit les écrans surchargés en menus et en notifications.
Uma Musume: Pretty Derby se montre sous le jour d’un jeu de gestion des plus classiques, pouvant rappeler les premiers épisodes d’Idolm@ster. Il faut organiser la journée de son athlète, jongler entre entraînements, moments de repos et de jeux pour améliorer les compétences tout en maintenant un niveau satisfaisant d’énergie et de moral. Pour cette première boucle de gameplay très guidée, Cygames prend grand soin de limiter au maximum les aspects plus complexes de gameplay et de gestion statistique qui seront importants plus tard.
Car, dès la première course, le joueur découvre le système de simulation mis en place par le studio pour répliquer le suspense d’une course de chevaux. Un simulateur relativement complexe, qui prend en compte non seulement les statistiques des différents athlètes participant à la course, mais également le temps, le type de sol, la longueur et les compétences spéciales pouvant se déclencher pendant la course.
Après la première course réussie vient l’heure du concert de victoire. C’est l’occasion de voir sa Uma Musume favorite danser au rythme d’une chanson choisie pour célébrer. Bien sûr, difficile d’apprécier la pleine richesse de la Carrière dès les premières boucles. Elles représentent le coeur du jeu. À chaque fin de cycle, le jeu fait le bilan du niveau de l’Uma Musume entrainée et l’enregistre.
La boucle de jeu est relativement fluide, elle est déjà améliorée par rapport à ce que le public japonais avait pu connaître il y a quatre ans. Sur ce point, Cygames garantie que la version globale rattrapera la version japonaise rapidement.
… mais on finit désarçonné par un système de gacha indigeste
Une fois la boucle du mode Carrière bien en main, on se tourne vers les autres modes de jeu. Jonché au milieu des différents modes d’événements temporaires, qui s’enchaîneront rapidement, Cygames souhaitant rattraper son retard, se trouve un mode de PvP. Pour y participer, il faut réunir les meilleurs athlètes obtenus à la clé des différentes carrières.
Et c’est là que la sournoiserie du modèle économique rattrape le titre. Finalement, la plupart des défauts du jeu proviennent et proviendront de son modèle économique. Comme tout jeu ayant un gacha, Uma Musume place des barrières de difficulté artificielles, insurmontables par la seule compréhension et maîtrise de son gameplay. Le joueur ne sera pas poussé à s’améliorer et être fier de ses progrès, il sera poussé à passer à la caisse afin d’obtenir les dernières cartes de soutien sorties.
En réalité, ces cartes de soutien définissent le niveau atteignable par les athlètes bien plus que leurs propres statistiques. Reste qu’il nous a paru relativement forcé. Avec le recul des joueurs habitués de la version japonaise, il est déjà possible de voir que ces cartes sont l’instrument de powercreep principal du jeu.
Alors que les gachas Cygames sont réputés pour avoir des gachas onéreux et peu généreux, Uma Musume se paie le luxe d’en avoir deux. Pour l’instant, ce n’est pas forcément pénalisant. Les cartes de soutien complexifient le jeu, mais il y en a relativement peu et les nombreux cadeaux offerts par Cygames pour le lancement du jeu mitigent cet aspect.
Il faudra voir sur le long terme comment l’économie du jeu se stabilisera. C’est un enjeu d’autant plus important que le titre est partiellement composé de PvP : ceux souhaitant avoir l’équipe la mieux entrainée, avec les meilleurs soutiens, devront forcément mettre la main au porte monnaie.
Le cheval, une superstar !
En se concentrant sur le mode Carrière lors des premières parties, Cygames permet aux joueurs d’entrevoir le potentiel du titre. Une accroche rapide et efficace est d’autant plus nécessaire que la licence ne dispose pas des appuis dont elle bénéficie au Japon.
Uma Musume: Pretty Derby, c’est le mélange de deux cultures très populaires au Japon : la course hippique et les idols. Gold Ship, Silence Suzuka, Oguri Cap, Special Week… Des noms qui ne nous disaient pas grand chose avant de lancer le jeu. Pourtant, au Japon, ce ne sont pas seulement le nom de juments-idols. Ce sont de véritables chevaux de course, qui sont célébrés. S’il est vrai qu’en France, les courses hippiques font surtout penser aux paris du PMU, l’industrie de la course hippique japonaise a choisi de promouvoir ses chevaux comme les véritables stars des courses, à grand coup de marketing.
En a résulté une culture de la course hippique largement différente de la culture occidentale. Elle attire tellement que l’industrie occidentale, notamment australienne, se demande comment importer son modèle. Graham Pavey, spécialiste de la discipline l’explique bien :
« Ce que l’industrie de la course hippique au Japon a bien fait, c’est de créer des fans du sport, plutôt que de créer des parieurs ayant un intérêt pour le sport. Les campagnes marketing de la Japanese Racing Association ne mentionnent jamais les paris. Elle préfère promouvoir l’aspect sportif, surtout les héros de ce sport, d’abord les chevaux, puis les jockeys. »
Alors, derrière cette manière de faire, il y a bien entendu la loi japonaise, qui ne permet pas de faire la publicité des paris sportifs. Pour autant, cette manière de faire a eu pour conséquence de créer un environnement où le cheval est roi, où le public vient pour soutenir son cheval favori en famille.
Oui, l’industrie de la course hippique exploite ses animaux, oui, le parallèle avec les idols, ces jeunes filles aux carrières très courtes et difficiles tant elles sont exploitées est évident. Bien entendu, Uma Musume: Pretty Derby ne met pas cet aspect en valeur. En même temps, est-ce réellement ce qu’on lui demande ? Non, ni le jeu, ni la série ne mettront en scène la mort tragique de Silence Suzuka lors d’une course.
Évidemment qu’un jeu empruntant tous ses codes au jeu d’idol va se heurter aux mêmes limites. Cependant, c’est en jouant au jeu, et nous renseignant, que ce soit par curiosité ou au détour d’une discussion expliquant comment entraîner au mieux le personnage, que nous avons pu découvrir la réelle histoire du cheval ayant inspiré Silence Suzuka.
Cygames a bien fait les choses, ceux qui arrivent dans la licence en connaissant déjà les différents chevaux transformés en coureuses comprendront les références. Ceux qui ne connaissent pas, mais sont curieux de connaitre, seront récompensés, puisqu’en se renseignant sur le cheval réel, ils pourront comprendre les références faites à sa vie, à son caractère dans les différentes courses.
Lorsque nous lancions Uma Musume: Pretty Derby pour la première fois, nous n’étions pas certain de ce que nous allions trouver. Cygames a su tirer son épingle du jeu. La version globale jeu sort dans un contexte bien différent : Uma Musume: Pretty Derby est une licence bien installée dans le paysage de la pop culture japonaise déclinée en séries animées, mangas que le public cible aura certainement déjà croisé.
Alors, oui, le jeu se heurte aux limites de son genre et de son modèle économique. Il ne réinvente pas la roue, c’est un gacha dans tout ce qu’il a de chronophage et cliché. Ses histoires sont simples et ses personnages clichés. Cependant, cette version du jeu s’adresse toujours à un public qui connait le genre et qui cherche ce contenu. Dans son genre, la formule est relativement efficace, et Cygames réussit le tour de force de mettre en lumière un loisir populaire. S’il le dévoie ou non, c’est à chacun de juger…