Il avait créé une petite surprise, parce qu’on ne l’attendait pas du tout là, lors du Nintendo Direct de février 2023 : Tron Identity est désormais disponible. Inattendu lors de son annonce, sa sortie reste elle aussi un peu surprenante, parce qu’en dehors de toute actualité de la franchise.
Néanmoins, on ne boudera pas notre plaisir de pouvoir retrouver l’univers de Flynn créé par Steven Lisberger en 1983. Et quoi de plus cohérent qu’un jeu vidéo pour raconter une histoire de Tron ?
(Test de Tron Identity réalisée sur PC via une version commerciale du jeu)
Les androïdes, les moutons électriques, etc.
Raconter une histoire, car le jeu est un visual novel. Un contrepied qui peut paraître étonnant – les habitants de The Grid, des programmes informatiques, n’ayant pas a priori un pouvoir narratif énorme. C’est d’ailleurs l’anomalie que représentent dans leur univers les humains qui créera les histoires des deux films. Néanmoins, quand on jette un œil au générique du jeu, finalement, on se dit qu’on devait s’y attendre. Celui-ci est en effet signé Mike Bithell, devenu un développeur important dès le début de sa carrière avec Thomas Was Alone,
Le jeu, sorti en 2010, était un platformer minimaliste dans lequel le joueur contrôlait de gros pixels dont un narrateur contait extraordinairement les histoires. Une narration à contrepied, déjà, puisque quasiment sans personnage, sans décors, et dont les péripéties principales consistaient en des mouvements de jeu de plateforme : des chutes et des sauts. Bithell continua ensuite les expérimentations en prenant John Wick à revers avec le jeu John Wick Hex qui, plutôt que de se soumettre à l’évidence du jeu d’action ininterrompu qu’on imaginerait, fut un jeu de stratégie au tour par tour. Narration expérimentale toujours avec son avant-dernier jeu, The Solitaire Conspiracy, qui acceptait le challenge d’ajouter un scénario à un jeu de… solitaire, tout ce qu’il y a de plus classique, redonnant au passage un petit coup de neuf au genre.
Dans les décors, il est possible de chasser les points d’intérêt pour remplir un codex.
Tron Identity représente donc une suite logique de son travail sur la narration, voire une sorte de cycle, puisque dans Thomas Was Alone, les pixels représentaient déjà des intelligences artificielles comme celles qui évoluent sur The Grid de Tron. À ceci près que d’un jeu minimaliste et dépouillé, Bithell est passé à un titre sous licence Disney. Une toute autre échelle.
Grid de lecture
Une autre échelle que Thomas Was Alone, mais pas non plus un AAAA sous RTX… Le jeu reste modeste, tout comme son ambition. À vrai dire, il n’est même pas vraiment en 3D, contrairement à ce que nous ont montré les premiers visuels en trompe-l’œil. Tron Identity se déroule via une suite de vignettes quasiment fixes, accompagnées de textes. On lira beaucoup et on ne fera presque que cela, ce qui sera déjà un premier frein pour qui n’aime pas l’exercice ou le genre. C’est du pur visual novel, ni plus, ni moins.
Les séquences de narration sont entrecoupées de phases de puzzle games à la mécanique très inspirée des solitaires (on disait que la ludographie de l’auteur était cohérente…) : le fameux disque de Tron est représenté par des « dominos » possédant un symbole et un chiffre. Un domino peut en éliminer un autre (situé juste à côté de lui ou trois dominos plus loin) à condition que cette autre pièce possède le même symbole ou le même chiffre.
Au fur et à mesure, quelques petites mécaniques supplémentaires (des dominos intervertissent leurs places, des dominos supplémentaires apparaissent…) vont venir enrichir les défis, qui ne seront jamais (hélas ?) trop difficiles. Et pour les amateurs de ce mini-jeu, des parties de ce « solitaire » sont accessibles immédiatement depuis le menu du jeu, sans passer par l’aventure narrative.
Le Faucon MalTRON
L’histoire en elle-même est un portage très efficace de roman noir dans l’univers de The Grid. On y interprète un détective dépêché dans un complexe après qu’un attentat y ait eu lieu. Une explosion a éventré un coffre-fort qui contenait… Quoi au juste ? Ce sera à nous de le découvrir.
Une histoire qui reprend pas mal de codes du polar – le détective, la police traditionnelle qui n’en veut pas dans ses pattes, le suspect dont la culpabilité serait un peu trop évidente et même, en quelque sorte, la figure de la demoiselle en détresse. Et la pluie permanente, évidemment. Des codes qui collent étonnamment bien à l’univers de Tron, et qui permettent même d’en explorer de nouvelles facettes.
C’est un Tron « Univers Etendu » que nous découvrons. L’action se déroule après le second film, et les Concepteurs (les humains à l’origine du système dans lequel les programmes évoluent) ne sont plus qu’un mythe, une religion, à laquelle certains Programmes croient et d’autres, non. On découvre aussi que différentes nations sont nées au sein des Programmes…
On regrettera simplement de ne pas avoir assez de matière pour être rassasié : le jeu est en effet très court, et il suffira d’un peu moins de deux heures pour boucler l’histoire. Néanmoins, il possède une belle composante de rejouabilité par la grâce de ses différentes branches narratives : nos choix ont un impact, et quasiment tous les personnages ont fini par être tués lors de notre premier run (!) ; on a bien envie d’essayer de leur offrir un autre destin !
Tron Identity est à la fois un bon visual novel et une histoire de Tron sympa. Si vous êtes sensible aux deux, vous tiendrez là un excellent jeu pour vous accompagner le temps d’un week-end. L’univers est à la fois développé et respecté, les personnages, bien écrits, sont intéressants…
Il faut aussi mentionner la musique, qui, si elle n’a pas la classe et l’efficacité du Derezzed des Daft Punk, ne fait absolument pas tache. Elle est signée Dan Le Sac, autre petite surprise du générique, qui avait déjà signé la B.O. de Quarantine Circular pour Bithell, et a aussi connu son heure de gloire en vidéoclip avec son comparse de l’époque, Scroobius Pip, sur le morceau Get Better (2009).
Si on regrettera peut-être simplement d’en finir trop vite avec cette histoire, une info, tombée juste après la sortie du jeu, devrait nous réconforter : d’autres jeux Tron signés Mike Bithell devraient suivre prochainement. Signe que nous n’avons pas été les seuls à apprécier l’aventure !