Des jeux hommages à l’âge d’or du survival horror (années 90/2000), on en a eu un paquet entre les mains. Des plus réussis comme Song of Horror aux plus décevants comme Daymare 1998, on ne compte plus les studios indépendants qui ont tenté de renouer avec les meilleures heures du genre. Celui-ci n’a eu de cesse d’évoluer, perdant au passage nombre de joueurs qui ne se retrouvent plus dans ce qu’il est devenu.
Resident Evil, Silent Hill, Project Zero, Forbidden Siren, Alone in the Dark, Eternal Darkness ou encore Rule of Rose sont autant de noms ronflants qui font encore aujourd’hui rêver les fans d’une formule qui a viré de plus en plus dans l’action, histoire de s’ouvrir à un public plus large. Les gros studios ont pour la plupart délaissé l’horreur pur jus, et si on met de côté les remakes de Resident Evil 2 et 3, cela fait bien longtemps qu’un représentant original et à gros budget de cette formule n’a pas vu le jour.
Il faut alors se tourner vers les indépendants pour trouver de quoi rassasier sa soif nostalgique. Et nos yeux se sont plus qu’attardés ces derniers temps sur un titre en particulier. Répondant au nom de Tormented Souls, développé par Dual Effect Games et Abstract Digital, et édité par PQube, le jeu est un pur survival horror à l’ancienne qui rend hommage à ses illustres prédécesseurs, mais sans sacrifier son identité pour autant. Et vous savez quoi ? C’est une très belle surprise.
(Test du jeu Tourmented Souls sur PC via un code fourni par l’éditeur)
Autant ne pas vous le cacher plus longtemps, si nous avons plus qu’apprécié l’expérience proposée par Tormented Souls, on ne peut pas dire qu’elle soit singulière pour un sou. On y retrouve quasiment tous les poncifs habituels (ne voyez rien de péjoratif ici), du gameplay au scénario en passant par la progression elle-même. Les vieux routards du survival horror seront loin d’être dépaysés.
Et c’est là probablement le seul réel gros défaut du jeu. Il ne surprend jamais, ne prend pas de risques avérés et se contente de jouer sa partition avec une certaine maestria, mais sans essayer de voir plus loin que le bout de son nez. Il est clair que les faiseurs derrière cette œuvre sont de vrais passionnés, tant les codes sont respectés à la lettre. Mais le jeu perd parfois de son identité dans la multitude de titres à qui il rend hommage.
Cependant, cela ne veut pas dire que Tormented Souls est dénué d’intérêt et d’une quelconque vision, bien au contraire.
Un manoir, des monstres et des légendes
Très inspiré par le scénario de Silent Hill, celui de Tormented Souls nous conte une histoire tournant autour d’un gigantesque manoir transformé en hôpital. Un lieu d’expérimentations contre nature, où une secte occulte cherche à accomplir un rituel malsain et surnaturel. Pas inintéressant, et même plutôt bien écrit et documenté, son background étant étoffé par nombre de journaux à lire, il nous a pourtant laissé un arrière-goût amer.
Et cela parce que le titre n’a pas forcément le budget de toutes ses ambitions. Il reste un titre indé qui doit faire avec des limitations liées aux fonds disponibles, mais aussi à son moteur de jeu. La narration manque d’épaisseur, il y a trop peu de cut-scenes, de dialogues, la mise en scène est minime et de ce fait, on peine parfois à se laisser happer par l’histoire. D’autant plus que les quelques climax sont trop évidents pour être surprenants et que l’on devine dès le début les tenants et aboutissants de l’intrigue.
Mais mine de rien, Tormented Souls réussit tout de même à tirer son épingle du jeu grâce à sa direction artistique réussie. Ce manoir transformé en hôpital faisant office d’antichambre de l’Enfer fait son petit effet. C’est glauque, crade, bordélique, et le choix de la caméra fixe est tout à fait pertinent, les angles étant choisis avec soin. La gestion du hors-champ distille alors une peur de l’invisible qui nous avait tant manqué dans bon nombre de survival horror modernes.
Cette réussite visuelle est aussi due au moteur utilisé ou plutôt à l’application que les développeurs en ont fait. De la 2D pré-calculée aussi belle, on n’en avait pas vu depuis le remake de Resident Evil par Shinji Mikami sur le Game Cube, autant dire que cela fait un bail. On en retrouve d’ailleurs parfois la force horrifique, notamment grâce à un sound design affolant de virtuosité, et on parle là aussi bien des sons environnementaux que de l’OST. Quelle ambiance, quelle atmosphère, c’est effrayant et joliment mis en image.
L’endroit recèle aussi de nombreux secrets, de passages dérobés, de créatures toutes plus horribles les unes que les autres, témoins des atrocités commises sur les tables d’opération, qui n’auront qu’une chose en tête, vous envoyer manger les pissenlits par la racine. Il manque certes un peu de variété à ce bestiaire de l’horreur, de boss (il n’y en a qu’un, et encore, il est raté), et c’est fort dommage tant le design des monstres qui habitent les couloirs du manoir est tout simplement bon, ce qui est très loin d’être le cas des personnages humains par contre, l’héroïne en tête.
Alors oui, le titre puise son inspiration dans d’innombrables œuvres. Néanmoins, il possède ses propres démons et figures de l’horreur, s’est créé sa propre identité, noyée dans un océan de déjà-vu, mais lorsqu’elle émerge, elle brille de mille feux. Cela fait de cet objet, identifié comme trop vieux pour son temps, un formidable hommage à un genre qui s’est, lui, perdu dans les méandres du mercantilisme, s’oubliant au passage, et faisant de ses licences phares de simples objets ludiques.
A classic horror story
Et il n’y a pas que la direction artistique qui nous pousse à tirer ce constat. Le gameplay prouve à lui seul qu’il est possible en 2021 de pondre un survival horror à l’ancienne jouable, solide et prenant. Certes, la maniabilité est un brin lourde et rigide, notamment lors des combats, et on a parfois du mal à juger des distances au corps à corps. Mais au-delà de ces quelques « soucis » et d’autres, liés à la technique pure, comme les quelques problèmes de collision observés, le reste est quasiment parfait.
Des mécaniques de progression nous demandent de résoudre quelques énigmes et casse-têtes d’une belle intelligence, et obligent à une bonne gestion de l’inventaire et de ses ressources. Nous n’avons tout simplement rien trouvé de redondant, de malvenu ou de hors sujet. Nous sommes là face à un jeu qui utilise à la perfection les gimmicks du genre et cela sans qu’elles ne paraissent obsolètes.
Les salles de sauvegarde, l’obligation d’examiner des objets pour en percer les secrets, d’en combiner certains, de lire un journal pour s’aider à la résolution d’une énigme, ou devoir choisir entre la fuite et l’affrontement, sont autant de choses qui vous rappelleront des souvenirs. Le système de combat, de visée, est lui aussi calqué sur l’époque pré-Resident Evil 4, sans que cela ne soit choquant.
D’ailleurs, si vous n’êtes pas un adepte de la notion de backtracking, oubliez tout de suite ce titre. Car si vous ne suivez que le chemin établi, vous passerez sûrement à côté de soins, de munitions ou d’armes… Ces dernières sont d’ailleurs en nombre plus que limité, un chouïa trop selon nous, mais cela va de pair avec ce qui est proposé. On n’incarne pas une guerrière, elle se défend avec un pistolet à clou ou encore un fusil à pompe fait maison.
Il faut fouiller partout, se repérer à l’aide d’une carte des lieux dans ce labyrinthe de folie et tenter de survivre coûte que coûte. Il faut alors faire attention à notre santé, ne pas nous soigner trop souvent, quitte à souffrir un peu, et surtout bien gérer ses bandes de sauvegarde, car il y en a vraiment peu. Rien de bien compliqué en somme, car rien n’est réellement atypique, mais ce que Tormented Souls fait, il le fait très bien la plupart du temps.
Et il n’est pas qu’une simple redite, il sait aussi se montrer original. Par exemple, pendant toute une partie de notre exploration, nous sommes obligés de constamment switcher entre notre briquet et notre arme, mais nous ne pouvons tirer dans le noir. Il faut alors se montrer inventif pour réussir à descendre une vile créature ou l’éviter, car en plus, rester dans le noir nous tue à petit feu. Il y a aussi tout un délire autour d’un autre monde, écho du monde des ténèbres de Silent Hill. On n’y va que très peu, mais chaque escapade en ce lieu est promesse de frissons.
Mais on ne va pas tout dévoiler dans ces quelques lignes, et tenez-le pour acquis, le jeu a bien plus à offrir qu’il n’y paraît au cours de ses dix petites heures. Si son gameplay est un brin trop classique, que les combats sont lourds et notre avatar malhabile, on est tombé sous le charme de ce parfait objet horrifique qui en plus nous demande souvent de nous creuser la cervelle.
Tormented Souls est une réussite indéniable. Au-delà même d’être un fantastique hommage à l’âge d’or du survival horror, il propose une aventure passionnante, hors du temps et pourtant pertinente. On peut lui reprocher d’être parfois trop sage, trop respectueux de ses modèles, mais il réussit néanmoins à s’en émanciper quand il le faut pour s’affirmer et se montrer sous un très beau visage, malgré un léger retard technique.
Mais une chose est sûre, cette replongée au cœur de l’horreur et de la survie nous a conquis. On a apprécié chaque pas fait dans ce somptueux manoir, tout comme on a aimé retrouver des mécaniques de jeu soi-disant vieillissantes et qui nous ont pourtant paru à leur place en 2021. Si vous aimez le genre, vous pouvez y aller les yeux fermés et les ouvrir en grand une fois la première image apparue, parce qu’il y a à voir et à faire dans ce fantastique périple.