Lorsque le petit studio portugais (eh oui !) Camel 101 nous propose un jeu, on ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre. Capable du pire comme du meilleur, il nous propose aujourd’hui ce qui est probablement leur projet le plus ambitieux jamais sorti jusqu’alors. Pourquoi ? Parce que Those Who Remain l’est, sur le papier tout de moins, et propose un univers original, des mécaniques de jeu recherchées, ainsi qu’une histoire à choix qui influent sur le destin de notre personnage.
Il faut dire que la globalité du jeu, si ce ne sont les assets sonores, le doublage et la partie musicale, est réalisée par trois personnes passionnées qui essaient tant bien que mal de rendre concrètes leurs idées. Annoncé en 2018, le titre a depuis eu le temps de se voir peaufiné au maximum par sa petite équipe et se présente donc à nous en ce mois de mai 2020 avec quelques arguments à faire valoir.
(Test de Those Who Remain sur PC à partir d’un code fourni par l’éditeur)
Those Who Remain, c’est un peu l’hommage ultime au cinéma, à la littérature et au jeu vidéo de genre. Celui qui tente le mash-up parfait en réunissant des éléments venant de ces trois univers pour tenter de créer un objet incroyable de frayeur à l’ambiance aussi sombre qu’un bon Dean Koontz.
De l’auteur, il est question avec une ville fantôme en toile de fond qui peut faire penser à l’une de ses œuvres les plus connues, à savoir Phantoms. Le jeu est d’ailleurs plus une sorte de thriller psychologique à la Alan Wake qu’une pure œuvre horrifique.
Mais ce n’est pas là la seule source d’inspiration du jeu. Des auteurs comme Stephen King, Lovecraft et des réalisateurs tels que Carpenter et Cronenberg ou encore Lynch sont d’autres noms qui ont influencé Those Who Remain.
Côté jeu vidéo, Outlast, Silent Hill, The Evil Within ou encore quelques jeux de Bloober Team et un certain Amnesia semblent être pris en exemple ici, mais sans jamais que cela vire au plagiat. Et c’est l’une des réussites de Camel 101, on parle là plus d’hommage que de copie et les trois développeurs ont su créer leur propre univers, qui est pour le coup assez unique en son genre.
Un alcoolo à Silent Hill
On y incarne un certain Edward, alcoolique notoire, qui ne semble plus que vivre plongé dans un verre de whiskey culpabilisé par un passé douloureux. Au bord du suicide, il se rend finalement dans la bourgade de Dormont pour y retrouver une « amie » l’attendant dans un motel en périphérie de la ville. Après avoir trouvé les lieux déserts et s’être fait voler sa voiture, il se retrouve propulsé dans un monde cauchemardesque dans lequel la lumière sera son meilleur allié.
Au-delà du personnage qui possède son propre arc narratif, malheureusement ultra cliché, c’est bien la ville de Dormont, ses habitants et un drame s’y étant déroulé qui sont au centre de l’histoire. Une tragédie qui a vu cette petite bourgade comme frappée par une malédiction l’ayant plongée dans une nuit éternelle durant laquelle tous les habitants ont fini par disparaître ou presque. Edward se doit alors de faire la lumière sur les événements qui ont amené à cette situation, tout en essayant de fuir pour sauver sa propre vie.
Loin d’être manichéen, le scénario de Those Who Remain ne peut en revanche pas éviter le déjà-vu. L’histoire est sans surprise et on peine à lui trouver un quelconque intérêt autre que celui de prétexte à une ambiance horrifique très réussie qui trouve sa force dans son visuel sombre et son silence glacial. Les différents lieux visités sont suffisamment inspirés pour nous donner quelque peu les chocottes, même si ce n’est jamais au point de nous faire trembler de peur.
On est loin des œuvres vidéoludiques les plus effrayantes, mais le jeu évite l’écueil du jumpscare pour nous proposer une atmosphère pesante et surnaturelle qui fonctionne dans l’ensemble.
Mis à part cela, le jeu a tout de même la particularité de nous proposer deux fins différentes, chacune découlant des choix que l’on réalise pendant l’aventure. En effet, chaque endroit que l’on visite, ou presque, se termine par notre rencontre avec une figure masquée nous laissant le choix de condamner (à la damnation) ou de pardonner une âme en peine coupable en partie de ce qui est arrivé à Dormont.
On est face à de véritables dilemmes moraux souvent difficiles qui brouillent notre vision du bien et du mal, faisant de Those Who Remain un jeu qui évite tout manichéisme et qui a finalement quelque chose à dire.
On aurait cependant aimé deux fins dans le même ton. Car trop simples, elles sont à l’opposé de ce que le jeu nous avait proposé jusqu’alors, retombant dans une simplicité navrante. Aussi, pas moyen de rejouer le jeu par chapitre pour expérimenter rapidement les différentes conclusions.
Puzzle horrific game
Ceci dit, la question que vous vous posez sûrement maintenant est probablement de savoir ce que nous propose en termes de gameplay ce Those Who Remain. Eh bien, pas grand-chose en réalité, car ses bonnes idées peinent à nous tenir en haleine sur la durée. D’ailleurs, il nous a fallu un peu plus de six heures pour voir le bout de l’histoire et il faut forcément compter un peu plus si on compte voir les deux fins.
Cela reste tout de même de la durée de vie quelque peu artificielle. Ce qui est assez dommageable, parce que l’on n’a pas forcément envie d’y retourner une fois le jeu bouclé.
Those Who Remain n’est pas un Outlast-like, il ne propose que quelques séquences de course-poursuite et encore, c’est plus du cache-cache à la Alien Isolation contre une entité monstrueuse assez stupide et aveugle que de l’action pure.
Le gros du jeu et de la progression consiste à trouver des indices sur le drame qui a frappé Dormont et sur les personnes que nous devons juger. Ainsi, le titre est découpé en plusieurs lieux qu’il nous faut visiter pour trouver des réponses à nos questions et ne vous y trompez pas, ce n’est ni un open-world, ni un openfield, mais plus un walking simulator qui fait semblant de ne pas l’être.
Il ne fait aucun doute que le titre aurait dû nous proposer une ville que l’on aurait pu visiter plus ou moins librement, mais ce n’est pas le cas, probablement parce que Camel 101 n’avait pas les moyens de ses ambitions.
Alors, on se fait téléporter de zone en zone, ce qui a un impact certain sur la narration et l’écriture qui deviennent par la même occasion très mécaniques et prévisibles. Poste de police, diner, ferme, caserne de pompier, bureau de poste et ainsi de suite seront le théâtre de nos investigations paranormales. Classique, mais efficace.
Malgré tout, la bonne idée réside en l’utilisation de deux univers différents, l’un normal, si tant est qu’il le soit, et l’autre éthéré et dans lequel vivent d’étranges créatures qui ne représentent pas, la plupart du temps, une menace. Et il faut souvent jongler, via des portes spécifiques, entre les deux mondes pour résoudre des puzzles malheureusement très simples, sans pourtant être ratés, et aussi pour trouver des documents et objets importants.
Il y a de très bonnes idées de gameplay qui en découlent, seulement le schéma de jeu se répète inlassablement du début à la fin et finit par ennuyer jusqu’à une dernière partie plutôt réussie, il faut le reconnaître.
Ensuite, un petit mot se doit d’être donné sur les silhouettes de l’ombre, comme on aime à les appeler. La lumière, avec laquelle il faut jouer pour se débloquer des chemins aussi bien en intérieur qu’en extérieur, est la seule arme que l’on aura en jeu. Elle nous permet donc de faire disparaître les formes humaines aux yeux argentés armés de haches et autres objets contondants qui nous attendent dans la pénombre.
Aucun autre moyen de s’en débarrasser et il faut parfois bien chercher pour réussir à trouver son chemin sans se faire avoir. Seulement là encore, une fois que l’on a compris le truc, il est très rare que ces ombres deviennent une menace et on a plus l’impression qu’elles font office de délimitation de la zone jouable plus qu’autre chose.
Cependant, elle participe à l’ambiance que l’on répète réussie du jeu. Elles font leur petit effet et sont pas mal effrayantes, nous ramenant à l’une de nos peurs les plus primaires, celle du noir. En cela, Those Who Remain sait y faire. On se retrouve dans des lieux clos qu’il nous faut visiter et qui semblent figés dans le temps dans un bordel monstre, comme si tous les habitants étaient partis dans une précipitation générale et soudaine.
Et on se doute que ces ombres sont ce qui reste des habitants, leurs yeux transpirant la lumière qu’ils ne supportent plus, comme aveuglés par leur propre culpabilité.
PC Master Race
Un point technique s’impose avant de nous quitter et de conclure. Nous avons pu voir ce que donne le jeu sur deux supports différents. Le test a été réalisé sur une version PC qui tient la route techniquement. Nous n’avons pas rencontré de bugs majeurs ou bloquants.
Cependant, il est clair que le moteur n’est pas au niveau des productions actuelles. Les jeux de lumière sont certes bien rendus, comme les clair-obscurs, le contraire aurait été un comble pour un jeu misant énormément sur l’ambivalence entre ombre et lumière, mais on ne peut pas en dire autant du reste.
Artistiquement, c’est très/trop classique et le moteur affiche quelques belles choses, mais on ne peut s’empêcher de penser que la pénombre est un peu l’arbre qui cache la forêt. On apprécie par contre le délire un peu éthéré de l’autre univers, ainsi que certaines trouvailles visuelles servant à déranger le joueur.
Le jeu n’est pas gore et se sert d’un macabre assumé pour créer un sentiment de malaise et d’inquiétude omniprésent. Aussi, Those Who Remain reste un petit jeu indépendant réalisé par trois personnes et en ce sens, c’est plutôt du bon boulot. Même si certaines textures sont un peu vilaine, globalement on ne peut pas dire que c’est moche, loin de là.
Sauf que voilà, la version PlayStation 4 que nous avons aussi pu tester est, elle, diablement moins bonne. Bugs en pagaille, mauvaise gestion de la manette et autres lags incroyables accompagneront votre aventure sur ce support. Privilégiez la version PC sans aucun scrupule et ne vous tournez pas pour le moment vers la console, il en va de votre bien-être oculaire.
Enfin, on se demande encore comment il est possible de rater autant les modèles des différents personnages que l’on croise. On n’avait pas vu telle chiasse (désolé du mot) visuelle depuis très longtemps. Pour tout vous dire, on s’est cru devant un épisode de DKTV tellement c’était horrible.
De même qu’il y a de gros soucis de mise en scène à cause du moteur qui est très statique et peine à proposer des animations convaincantes, c’est criant lorsque l’on croise les deux entités qui nous courent après durant tout le jeu. Censés être des passages tendus, ils en perdent en saveur à cause de cela et tombent parfois à l’eau, malgré de bonnes idées de mise en scène. Eh oui, un fantôme de bonne femme qui gueule animé à la truelle n’effraie pas le moins du monde.
Enfin, notons aussi des soucis de traduction, même si on est très content d’avoir le droit à une version sous-titrée en français, car c’est plutôt rare pour les petits jeux d’horreur. Quant aux doublages anglais, ils sont corrects, sans plus, alors que l’ambiance sonore est plutôt réussie.
Those Who Remain n’est pas un mauvais jeu ni une mauvaise expérience, mais il reste très moyen. Trop peut-être pour se démarquer des propositions horrifiques actuelles. Quand on voit le niveau des titres de la Bloober Team par exemple, on se demande bien comment celui de Camel 101 compte nous pousser à l’achat. Alors oui, le jeu a quelques arguments à faire valoir, comme ses deux univers, son système de choix ou encore une ambiance très réussie, mais ne parvient jamais à s’émanciper de son statut de petit jeu indépendant et de ses mécaniques de gameplay qui tournent en rond.
Il aurait fallu se montrer un peu plus ambitieux encore et proposer des puzzles peut-être mieux pensés et plus difficiles pour vraiment nous tenir en haleine tout du long. Dommage aussi que les deux fins cassent grandement le côté non manichéen de ce Those Who Remain qui se montrait, malgré un scénario finalement assez convenu, plutôt surprenant sur ce point. Aussi, évitez la version PlayStation 4 comme la peste. Vous pouvez d’ailleurs retirer un ou deux points sur la note finale tant elle est frustrante.