On le sait, le jeu vidéo fut longtemps considéré comme un média abrutissant, destiné à détourner l’attention et lessiver le cerveau des enfants du monde entier. Heureusement, ce n’est aujourd’hui plus le cas et la grande majorité des gens, même non joueurs, ont accepté ce média comme une forme d’art à part entière au même titre que le cinéma.
Mais cela ne s’est pas fait en un jour, et il aura fallu que certaines œuvres vidéoludiques pavent cette voie. Et le fer de lance dans ce domaine n’est autre que Journey, développé par Thatgamecompany. Sorti en 2012, il démocratisera un nouveau genre. Celui des expériences plus que des jeux vidéo à proprement parler. Une multitude d’autres titres dans la même veine lui emboîteront le pas, et ce encore aujourd’hui.
Notamment Abzû, qui, avant sa sortie en août 2016, portait sur ses épaules les attentes de bon nombre de personnes, tant il était vu comme la suite spirituelle de Journey, devenu culte entretemps pour ces joueurs. Et pour cause, Abzû est développé par le studio Giant Squid, co-fondé par Matt Nava, auparavant directeur artistique chez Thatgamecompany, ayant œuvré sur Flower et, on y revient, Journey.
Beaucoup de pression donc pour Abzû qui, au final, s’en sort très bien, notamment grâce à une direction artistique épatante et une OST envoûtante qui entraînèrent joueurs et joueuses dans cette plongée onirique.
Quatre années se sont depuis écoulées et Giant Squid nous présente sa deuxième création, The Pathless. Si Abzû avait été critiqué pour manquer de fond dans son gameplay, quitte à se reposer uniquement sur son atmosphère, The Pathless, lui, est bien plus diversifié en proposant à la foi de l’exploration, de la résolution d’énigmes et des affrontements face à des boss colossaux. Pour autant, on est toujours face à une production Giant Squid, descendante de Journey, dont l’objectif est de faire vivre aux joueurs une expérience empreinte de poésie.
Alors ? Avec The Pathless, Giant Squid a-t-il trouvé sa voie ?
(Test The Pathless réalisé sur PlayStation 4 Pro via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Il y a longtemps, les grands anciens régnaient sur le monde en paix. Et puis un jour, un mal toucha les cinq grands esprits de la nature, entraînant l’avènement des ténèbres. Une chasseuse fait maintenant route vers l’île où résident les grands anciens, déterminée à lever la malédiction qui pèse sur le monde. Voilà pour le pitch de base.
Le jeu commence in medias res avec la chasseuse arrivant par bateau sur l’île où prendra place la totalité de l’aventure. Peut-être cette arrivée de la mer vers la terre est-elle une métaphore de la transition entre les deux titres du studio Giant Squid, Abzû prenant place sous l’eau. Mais les références d’entrée de jeu ne s’arrêtent pas là.
En effet, dès le début du jeu, nous sommes seul, sur une plage, avec au-dessus de notre personnage une île flottante, sorte de Mordor inversé, la source du mal que l’on va chercher à éradiquer. Et là, forcément, c’est Journey qui refait surface. L’aventure n’a même pas encore commencé que Giant Squid nous assure subtilement que The Pathless s’inscrit dans la continuité de ses illustres aînés.
Un vent de liberté
Notre objectif désormais en vue, l’exploration peut commencer. L’île est découpée en plateaux qu’il faudra atteindre les uns après les autres. Ces plateaux sont de véritables zones ouvertes qu’il est possible d’explorer à loisir une fois débloquées. Chacune de ces zones est vaste et s’y promener à pied deviendrait rapidement d’un ennui mortel.
Entre alors en compte la première mécanique de jeu à laquelle l’on est introduit. En pressant une touche (la gâchette de gauche), on peut lancer la chasseuse dans une course effrénée, mais de courte durée, ce « sprint » consommant goulument une barre de force. Il faudra alors, en pressant une autre touche (la gâchette de droite), viser puis tirer sur de petites cibles appelées talismans, réparties sur l’intégralité de l’île.
Toucher l’un des ces talismans transfère à la chasseuse de l’énergie rechargeant sa barre de force en plus de lui octroyer un boost. On va alors vouloir enchaîner les tirs sur les talismans alentour pour tenter de gagner toujours plus de vitesse sans jamais s’arrêter, apparentant de fait The Pathless aux jeux Sonic en 3D. Surtout lorsque l’on enchaîne les boosts aériens, rappelant les Air boosts introduits dans Sonic Adventure. Se déplacer à travers les vastes étendues des plateaux devient alors un véritable plaisir tant ce système est fluide, donnant à l’expérience un aspect à la fois dynamique et apaisant.
On se laisse donc porter au gré de nos envies à travers la zone. De toute manière, il n’y a ni carte ni boussole. On est lâché dans les environnements sauvages sans aucune indication, et ça fait un bien fou. Pas de journal de quête rempli à ras bord ou de carte mitraillée de symboles en tous genres, The Pathless épure au maximum.
Il faudra se contenter d’une vision de l’aigle des esprits que l’on peut activer d’une touche, afin de faire apparaître, sous forme de code couleur, les endroits clés, d’une manière des plus agréables. De même, le hud est réduit au strict minimum afin de laisser les joueurs profiter de la direction artistique du jeu.
Une brise apaisée
Une direction artistique s’inscrivant dans la droite lignée de Abzû, épurée et colorée. Seulement, cette fois, ce ne sont pas les fonds marins, mais de vastes plaines, d’épaisses forêts de séquoias et de hautes montagnes qui sont dépeintes. De grands espaces naturels se mélangent avec les ruines d’une civilisation disparue. Un mélange de culture amérindienne, aztèque et asiatique qui, ensemble, donne quelque chose de mystique aux lieux explorés. Et que dire des squelettes gigantesques d’animaux que l’on croise un peu partout. Là encore, les réponses ne sont pas données telles quelles.
Car la mécanique de soustraction se retrouve également dans la narration et la mise en place de l’univers. À l’instar de Dark Souls ou des œuvres de Fumito Ueda (ICO, Shadow of The Colossus), c’est au joueur de fouiller pour espérer reconstituer la mythologie du jeu. Dans The Pathless, cela passe par les âmes de défunts vous racontant leurs derniers instants et des stèles décrivant les lieux qu’elles gardent ou bien les témoignages d’anciens habitants de l’île. Il faut donc reconstituer ce puzzle narratif pour tout connaître de l’histoire du jeu.
Globalement, tout est fait pour pousser le joueur à l’exploration, et celui qui se prêtera au jeu en sera récompensé, The Pathless regorgeant d’énigmes. Certaines certes évidentes, mais aussi d’autres qu’un œil non attentif pourrait louper.
Ainsi donc, ce jeu qui dans son système de déplacement nous incite à foncer à cent à l’heure nous demande de prendre notre temps et de bien fouiller. Les énigmes sont d’ailleurs plaisantes à résoudre bien que manquant de difficulté une fois les différentes mécaniques maîtrisées. Des mécaniques reposant exclusivement sur l’utilisation de votre arc et la coopération avec l’aigle.
Il est le second protagoniste et viendra rejoindre rapidement la chasseuse dans sa quête. Un véritable compagnon avec qui l’on va nouer un lien fort, et ceux via le gameplay. Car le gentil volatile va représenter la deuxième mécanique majeure du titre de Giant Squid. Servant à la fois de planeur et pouvant effectuer des impulsions vers le haut, c’est à travers lui que nos déplacements gagneront en verticalité. De plus, il formera, avec l’utilisation de l’arc, le nerf de la guerre concernant les énigmes.
Un souffle épique
Enfin, il sera un allié de taille lors des affrontements de boss. Chacun de ces affrontements est la condition sine qua non pour pouvoir accéder à la zone suivante. Chaque boss nous est présenté à l’arrivée sur le plateau sous la forme d’une mini-zone mobile. Il faudra alors remplir des objectifs afin de pouvoir engager l’affrontement.
Aller à sa rencontre sans avoir rempli les objectifs au préalable, ou rentrer malgré soi en contact avec cette mini-zone, déclenchera une phase d’infiltration où l’on doit retrouver notre aigle sans se faire repérer par le colosse de feu et de ténèbres qui rôde. Se faire prendre résultera en la perte d’une partie de l’expérience nécessaire pour améliorer la capacité de vol de l’aigle.
Une perte au final plutôt minime qui illustre le manque de difficulté général du jeu. Il en va de même durant l’affrontement contre le boss à proprement parler, qui est peu difficile à vaincre si l’on maîtrise un tant soit peu les commandes. Néanmoins, ces affrontements restent plaisants grâce à une mise en scène impressionnante donnant à chaque combat de boss un souffle épique que Shadow of the Colossus n’aurait pas renié.
Ces trois grandes voies que The Pathless nous invite à emprunter, à savoir un vent de liberté, une brise apaisée et un souffle épique, toutes les trois résonnent dans la musique du jeu. Elle est le travail d’Austin Wintory qui, à 36 ans à peine, s’est déjà imposé comme un cador dans la composition musicale de jeux vidéo. Étant déjà le compositeur de Journey et Abzû, c’est donc sans surprise qu’on le retrouve ici.
Il livre une fois de plus une bande originale sublime et envoûtante, soulignant avec justesse les différents sentiments que le titre souhaite transmettre. D’ailleurs, à l’instar des architectures que l’on croise, la musique nous perd en mélangeant des sonorités propres à différentes cultures afin de former quelque chose qui sonne ancien et, encore une fois, mystique.
Arpenter votre voie dans The Pathless vous demandera environ 12 heures si vous décidez d’explorer à fond chacune des zones. À l’inverse, il est aussi possible de terminer le jeu en ligne droite en cinq ou six heures seulement, mais ce serait se priver des plaisirs que le titre a à offrir.
En mélangeant exploration, résolution d’énigmes en monde ouvert et combats de boss titanesques, The Pathless peut, au premier abord, avoir des airs de patchwork peu inspiré. Pourtant, avec son système de déplacement novateur, sans oublier sa direction artistique impeccable, le jeu est un véritable plaisir une fois la manette en main. À la fois emprunt d’un vent liberté, d’une brise apaisé et d’un souffle épique, le titre de Giant Squid délivre tout ce que l’on pouvait attendre de lui.
Patrick Quah, producteur chez Giant Squid, a d’ailleurs déclaré que le titre avait été choisi pour illustrer la liberté laissée au joueur. Eh bien, c’est réussi. On est bien là face à un héritier de Journey et Abzû, qui décide de s’ouvrir (littéralement) en empruntant au meilleur de l’open world, Breath of the Wild.
Bien sûr, on pourrait lui reprocher son manque de difficulté, mais ce serait presque un non-sens, car le challenge n’est pas l’objectif recherché par Giant Squid sur ce titre. Avec The Pathless, Giant Squid nous propose de vivre un conte, une légende, un mythe, qui aurait sa place gravée sur les murs d’un temple en ruine dans leur prochaine création. Telle est leur voie.