On l’attendait de pied ferme. Non seulement parce que The Medium se présente comme la première exclusivité console Xbox Series X|S, mais aussi parce qu’il est le projet le plus ambitieux de son studio de développement, Bloober Team, depuis sa création. Et pourtant, les Polonais en ont pondu des œuvres ambitieuses, avec entre autres Blair Witch ou encore la duologie Layers of Fear, mais surtout avec un certain Observer.
The Medium s’annonçait donc comme un survival-horror hommage aux jeux du genre sortis entre la fin des années 90 et le début des années 2000, avec comme inspiration principale la licence Silent Hill. Dualité d’univers, Akira Yamaoka à la composition, système de caméra fixe et direction artistique léchée allaient en effet dans ce sens.
L’heure est donc venue pour nous de coucher dans les quelques lignes qui vont suivre notre ressenti sur l’expérience que propose le jeu de Bloober Team et si on en ressort avec le sourire, on ne peut nier le fait que The Medium va diviser les foules et plaira autant qu’il mécontentera.
(Test de The Medium réalisé sur Xbox Series X à partir d’une version commerciale du jeu)
Se déroulant en 1999 dans une Pologne qui se remet doucement des affres de décennies de soviétisme, The Medium a la bonne idée de s’inscrire dans une certaine réalité historique et de faits. Il nous dépeint un pays libéré en plein essor économique et qui se modernise, abandonnant les idées de l’ancien régime pour adopter et embrasser le capitalisme/libéralisme.
La Bloober Team s’attache alors à nous présenter aussi l’envers de la médaille, avec par exemple l’effondrement du bassin minier du pays durant cette transformation en profondeur de la région. Les développeurs n’oublient pas de traiter les conséquences de l’occupation nazie durant la seconde guerre mondiale et plus de quarante ans de régime soviétique, choses qui revêtent ici aussi une grande importance dans l’histoire qui nous est contée.
L’une des leçons données par The Medium est que l’on n’échappe pas à son passé, que tôt ou tard il nous rattrape, et c’est autant le cas pour l’héroïne, Marianne, que pour le pays accueillant le récit, un état qui a souffert et s’est offert une nouvelle liberté pour dernièrement tomber dans le marasme du conservatisme.
Tout commence avec la mort d’une petite fille
Oui, tout commence avec la mort d’une petite fille. Un rêve que fait Marianne depuis sa plus tendre enfance. Celui dans lequel une fillette court dans les bois, poursuivie par une silhouette méconnue pour finir sur un ponton au bord d’un lac, avant que ne résonne dans un froid absolu un coup de feu brutal et meurtrier. C’est là le point de départ de l’histoire.
C’est dans la ville de Cracovie que l’on découvre Marianne endeuillée par la mort de son père de cœur, Jack, avec qui elle travaille dans son entreprise de pompe funèbre. La jeune femme est spéciale, elle est médium : elle peut interagir avec le plan spirituel, une sorte d’entre-deux faisant le pont entre notre réalité et l’au-delà.
Dans ce monde torturé gisent les âmes en peine, celles qui ne peuvent traverser et tourner la page de leur existence physique bloquée par quelques considérations qui n’ont plus lieu d’être à ce point. Marianne a le pouvoir de les aider, d’apaiser leur peine et les guider vers l’au-delà. C’est d’ailleurs ce qu’elle est forcée d’entreprendre avec Jack, avant qu’un simple coup de téléphone ne vienne perturber encore plus sa réalité.
Un certain Thomas, paniqué, affolé, lui intime de venir la rejoindre à l’hôtel Niwa. Il affirme savoir qui elle est, ce qu’elle est et réussit à la convaincre avec cette simple phrase : Tout commence avec la mort d’une petite fille.
La puissance de la plume
Du scénario, il ne faut pas trop en dire, The Medium trouvant une grande partie de sa raison d’être dans son écriture et sa narration. L’histoire elle-même est passionnante et même si elle met du temps à démarrer, le jeu se faisant un malin plaisir de maximiser son temps d’exposition, le rendant peut-être un peu plus lent que nécessaire sur son début, elle nous permet de découvrir son personnage, son pouvoir et ses motivations de manière à ce que l’on sache où l’on va et pourquoi.
Notre arrivée à l’hôtel Niwa ne se fait d’ailleurs pas sans parcourir un long chemin boisé et à mesure que l’on approche de notre objectif, un épais brouillard se lève. On semble comme déconnecté du monde réel pour arriver dans un lieu abandonné et massif, semblant comme mort. Si bien qu’au rythme des sonorités d’un Akira Yamaoka au sommet de son art, on fait l’effort de persévérer pour finir par s’engouffrer dans ce lieu macabre et glauque, nous rappelant que cet effort était celui que l’on avait aussi effectué dans un certain Silent Hill 2.
Le contrat est signé, on accepte de se faire promener dans ce gigantesque complexe hôtelier, témoin d’une Pologne en pleine transformation. Les réponses aux questions sont proches. Qui est cette petite fille ? Pourquoi ce cauchemar ? Qui est Thomas ? En quoi cela concerne-t-il Marianne ? Un jeu de piste dans lequel on est amené à voyager entre les mondes, aidé par les journaux écrits qui parsèment notre route, les échos d’un lointain passé qui nous parle ou encore par une présence en ces lieux sombres.
Plus torturé que jamais, l’endroit est plongé dans une souffrance et une rage qui se personnifient en une entité appelée The Maw qui tentera coûte que coûte de nous arrêter dans notre quête de la vérité. Elle s’oppose à cette enfant masquée, Sadness, une petite fille décédée qui habite dans l’hôtel ou en tout cas dans le plan spirituel de ce dernier et qui nous guidera dans les entrailles du complexe, qui nous apportera des éléments de réponse et nous mettra sur la voie de cette vérité.
On ne peut pas parler concrètement de ce que raconte The Medium, car son scénario, son écriture quasi parfaite nous envoyant sur d’innombrables fausses pistes, brassant de nombreux thèmes forts et ancrés dans une réalité perturbante, est l’un de ses atouts majeurs. Marianne est un personnage fort, attachant, et son histoire se doit d’être vécue comme les développeurs ont voulu qu’elle le soit et non au travers d’une critique aussi bienveillante soit-elle.
Un jeu hommage
The Medium est avant tout une aventure narrative, sur rail, et même si on peut explorer quelque peu, ce n’est jamais là son but. Ni celui d’être un vrai survival-horror, car il ne fait d’ailleurs pas très peur. Il ne nous balance pas à la tronche des montagnes d’ennemis desquels il faut se défaire tant bien que mal ou d’innombrables screamers. Non, il pose une atmosphère et une ambiance transpirant la malsanité. En cela, il est plus qu’un hommage au genre de l’horreur psychologique, il en est l’héritier.
Le jeu mise sur ses inspirations, Silent Hill en tête, pour déranger. On y retrouve un glauque propre à la saga de Konami, mais sans ce côté gore qui en est aussi l’une des particularités. Point de monstres, hormis The Maw (ou presque…) dont le design est étroitement lié à ce que l’on apprend des événements terribles qui se sont produits – bien plus qu’il n’y paraît au premier abord – nous renvoyant à un certain massacre qui aurait eu lieu.
Sa direction artistique, fabuleuse, maîtrisée et inspirée par les œuvres du peintre Zdzislaw Beksinski dont l’imagerie macabre et morbide dégouline de chaque décor du plan astral, est d’une rare justesse. Les environnements seuls suffisent à distiller la part d’ombre et d’angoisse qu’un jeu du genre se doit de proposer. Mais cela fonctionne aussi dans le monde réel, l’hôtel Niwa faisant très clairement son petit effet tant il semble habité par la mort et le désordre.
Ceci est bien aidé par une réalisation technique jouant à fond la carte de l’immersion en nous proposant des jeux de lumière somptueux, un choix des couleurs toujours juste, et on est alors immergé dans un gris froid de toute vie dans notre monde, ce qui tranche radicalement avec la couleur sable, très orangée, du plan astral qui se montre bien plus abscons et torturé dans sa proposition visuelle, en témoignent les statues de visages déformés par la douleur qui hantent un peu chaque lieu que nous visitons.
Alors oui, The Medium est loin d’être un jeu incroyable d’un point de vue technique, les modèles de personnages et surtout leurs animations en témoignent parfois, mais le reste, des effets volumétriques en passant par la fluidité avec laquelle est rendue la violence du vent sur une végétation hostile à la physique impeccable, a fini par nous convaincre. Le ray-tracing, assez discret comparé à nombre d’autres titres utilisant la feature de Nvidia, est ici savamment utilisé qui plus est.
Mais encore une fois, malgré ses inspirations, le nouveau-né de Bloober Team parvient à trouver son propre sens artistique et sa propre âme, le rendant de ce fait unique en son genre. La bande sonore, issue de l’association entre Yamaoka et Arkadiusz Reikowski, en est la meilleure preuve, navigant entre des thèmes et des sonorités nous renvoyant à notre propre nostalgie et d’autres plus modernes, apportant alors une touche plus singulière au titre.
Et que dire des doublages et du jeu des acteurs ! Toujours dans le ton, ils apportent énormément au récit, Marianne étant narratrice elle prend le pas sur les autres, mais The Maw sort clairement du lot. Doublé par Troy Baker, la bête enragée et affamée fait froid dans le dos et c’est aussi grâce à la performance du monsieur qui sort là un peu de son registre habituel. Chapeau.
Et c’est là que ça coince
Depuis quelques minutes, vous lisez une critique dithyrambique d’un jeu qui aura su nous happer dans son univers dont nous ne vous dévoilons pas tous les secrets intentionnellement. Or, et bien malheureusement, le rôle d’un critique est aussi de mettre en lumière ce qui ne va pas dans l’objet de ses écrits. Et là, il est clair que l’on se heurte à ce qui pourrait en rebuter beaucoup : le gameplay.
Parce qu’on nous le vendait comme un survival-horror et on est plus sur un jeu d’aventure dirigiste aux forts élans narratifs (et non un walking simulator pur, ne mélangeons pas tout) qu’autre chose. Notre visite des différents lieux, aussi bien en intérieur qu’en extérieur, est un peu sur rail et même si on nous invite parfois à fouiller ou revenir sur nos pas pour trouver quelques objets et/ou résoudre une énigme assez simple malheureusement, le constat que l’on en tire est sans appel.
The Medium manque d’ambition dans son gameplay, et ce malgré quelques très bonnes idées. On parle là de l’utilisation de nos pouvoirs pour révéler des éléments importants et avec lesquels on peut interagir pour la résolution d’une énigme par exemple, nous apportant aussi des réponses scénaristiques puisqu’ils nous permettent de ressentir l’écho du passé d’un objet ou encore de reconstituer des événements passés pour les visionner.
La feature star reste cependant la possibilité d’évoluer sur les plans astral et réel au même moment. Elle demande de prendre en compte le fait que l’on ne peut passer une porte si elle est fermée dans l’un ou l’autre des univers. Car Marianne effectue les mêmes déplacements et actions des deux côtés, ce qui rend parfois l’avancée plus compliquée qu’elle n’en a l’air. On peut aussi utiliser un pouvoir spirituel dans cet ailleurs, ce qui sert à se débarrasser la plupart du temps de quelques insectes encombrants ou encore remettre l’électricité en marche.
Ne vous attendez pas par contre à pouvoir jongler d’un monde à l’autre quand vous le désirez, tout ceci est scripté et n’intervient qu’à des moments précis. On peut parfois même naviguer dans l’autre monde sans se soucier de notre enveloppe charnelle restant dans notre réalité, ce qui apporte des séquences plus longues dans cet endroit maudit (via des miroirs) et nous demande souvent de sauver l’esprit perdu de personnes mortes en trouvant leur nom. Une sorte d’exorcisme en somme.
Le moteur du jeu gère admirablement bien ces passages en temps réel et c’est plutôt bluffant. Ce qui n’est pas forcément le cas du reste. Entre des énigmes un brin simplistes, une progression un poil trop linéaire, bien que pas désagréable, ou encore des séquences de courses-poursuites ou d’infiltration face à The Maw un brin classiques, on peine à trouver là de l’originalité.
C’est bien exécuté, quoiqu’un peu lourd parfois. C’est voulu et assumé histoire d’insuffler un style old-school au gameplay, mais ça manque de mordant. Cependant, quelques surprises dans la deuxième partie de The Medium sont au programme et cela permet au titre de sortir son épingle du jeu tout de même, mais cela, on vous laisse le découvrir par vous-même.
The Medium est une réussite qui n’arrivera pas à mettre tout le monde d’accord. Il va diviser, faire parler, tout en trouvant son public et en laissant une autre partie sur le côté. S’il est artistiquement incroyable, techniquement solide et propose un scénario frôlant parfois une certaine perfection narrative, malgré son classicisme, il n’est pas dénué de défauts.
Et c’est là que notre rôle est important, car il nous faut vous parler de sentiment et de ressenti pour vous guider dans notre processus de réflexion. The Medium aura su nous atteindre et nous faire ressentir diverses émotions, nous happer dans un univers riche et sans concession. Il nous a littéralement pris aux tripes en nous faisant oublier ses quelques défauts parce que notre expérience visuelle, auditive et sentimentale aura pris le pas sur le reste.
Alors oui, il souffre de problèmes de rythme dans sa première partie, s’exposant trop longuement, et peine à convaincre au niveau de son gameplay, trop dirigiste parfois, mais servant l’histoire, et il oublie souvent qu’un joueur est aux manettes et se déroule parfois sans que l’on ait le temps de profiter d’un environnement. Mais on est avant tout en présence d’un jeu narratif angoissant et malsain qui tente d’établir un dialogue avec nous. Alors oui on a aimé et on s’est laissé prendre au jeu.
À vous maintenant de savoir si oui ou non The Medium est fait pour vous, car il faut savoir de quoi il retourne réellement avant de se lancer dans l’aventure, au risque d’en sortir bredouille et déçu. Encore une fois, Bloober Team sort des sentiers battus et apporte sa propre griffe à un genre que le studio aime profondément et cela se voit.