The Eternal Castle [REMASTERED] est comme son nom le sous-entend une version retravaillée d’un obscur titre de 1987. Enfin, « obscur »… La page Steam du jeu évoque le remake d’un chef d’œuvre de 1987 dont vous n’avez pourtant, probablement, jamais entendu parler. Normal : il n’a jamais existé.
(Test de The Eternal Castle [REMASTERED] réalisé sur PC via une copie commerciale du jeu)
Documenteur
L’histoire est bien montée. Dès 2016, des données sont postées sur des forums consacrés au retrogaming : captures d’écrans et fichiers d’un jeu intitulé The Eternal Castle. Malheureusement (ou évidemment, plutôt ! ), on n’arrive pas à faire fonctionner ces fichiers. Un événement semblable se reproduit quelques mois plus tard sur d’autres forums, notamment sur les forums du tout premier Prince Of Persia.
En y regardant de plus près, des passionnés découvrent la supercherie grâce à des indices probablement laissés à dessein par les développeurs. Mais la légende Eternal Castle était née. Encore très discrète, elle avait commencé à laisser quelques traces sur internet.
The Eternal Castle [REMASTERED] n’a pas l’ambition de vous berner, mais a besoin pour fonctionner de créer un léger trouble, de façon à ce qu’on finisse par se demander tout en connaissant la réponse si, vraiment, le jeu n’a jamais existé ? C’est le pendant jeu vidéo de ce que le cinéma appelle mockumentary, souvent traduit par documenteur en français.
This is Spinal Tap est le plus célèbre du genre. Dans ce documentaire de 1984, on suit le groupe de hard culte Spinal Tap qui… n’a jamais existé !
The Eternal Castle [REMASTERED] va de la même manière tout faire pour nous servir une expérience la plus proche possible de celle dont les développeurs ont rêvé à travers ce classique de 1987 fantasmé.
Ultra low-def
Le jeu se présente donc devant nous dans un incroyable CGA 4 couleurs. Le CGA, pour Color Graphic Adapter, est une norme d’affichage permettant un mode graphique à 320 x 200 pixels. C’est la résolution du Commodore C64 ou de l’Amstrad 1512, tout un pan de l’histoire du « personal computing ». Un style graphique totalement dépouillé donc, et très contrasté, qui frappe immédiatement.
Des gros pixels et des couleurs flashy. Et avec ce parti pris esthétique radical, les développeurs nous racontent la magie des pixels : comment quelques petits rectangles de couleur bien placés réussissent à nous montrer autant de choses, autant de détails.
Comme avec tous les tours de magie, il y a un truc. Ici, c’est la rotoscopie, cette technique centenaire qui consiste à décomposer image par image une séquence filmée en vidéo pour en reproduire les mouvements dans une séquence animée. Disney a beaucoup utilisé cette technique, dès Blanche Neige et les Sept Nains en 1937.
Dans le documentaire Par le Pouvoir du Crâne Ancestral : L’Histoire Complète de Musclor et les Maîtres de l’Univers, visible sur Netflix, on voit les animateurs des studios Filmation utiliser cette technique, ancêtre de la motion capture. Il est très frappant de voir à quel point ces acteurs filmés avec des repères maquillés sur le visage préfigurent des dizaines d’années auparavant les capteurs utilisés aujourd’hui en motion capture !
En jeu vidéo, Prince of Persia ou Another World sont entre autres choses célèbres pour avoir utilisé cette technique d’animation. Et la filiation de The Eternal Castle avec ces deux titres est évidente. Le résultat de la rotoscopie utilisée en jeu vidéo, c’est une animation réaliste et d’une fluidité incroyable, une qualité d’animation qui vient compenser l’austérité graphique et le faible nombre de pixels disponibles pour rendre les détails.
L’Histoire du jeu vidéo
On l’a vu, à la fois dans sa technique, mais aussi dans son parti pris graphique, et jusque dans sa communication, avec ce [REMASTERED] trompeur, The Eternal Castle [REMASTERED] convoque toute une histoire du jeu vidéo. Si on pense au C64 pour les spécifications techniques ou à Prince Of Persia (le premier épisode de 1989) pour les mouvements du personnage, c’est aussi et surtout Another World, le jeu d’Eric Chahi sorti en 1991, qui nous vient à l’esprit.
En effet, même si les techniques choisies par les deux titres sont complètement différente (Another World est développé en polygones), aussi bien leur scénario, que leur mise en scène ou leur gameplay sont comparables.
Dans The Eternal Castle [REMASTERED], le joueur incarne un (ou une, le jeu nous laisse le choix) pilote écrasé(e) dans un monde inconnu. Venu chercher quelqu’un qui lui est cher, le protagoniste devra récupérer des modules d’énergie dans différents endroits du monde pour faire redémarrer son vaisseau avant de se rendre à l’Eternal Castle du titre pour découvrir ce qui est arrivé à celle qu’il recherche.
On est donc sur des bases scénaristiques classiques, proches de celles d’Another World, et cette histoire sera d’ailleurs racontée de la même manière : on avance un écran à la fois, découvrant au coup par coup les dangers qui nous attendent. Les étages, ponts ou tunnels à emprunter rappellent également beaucoup le titre d’Eric Chahi, comme les affrontements. Le gameplay enfin, est également très similaire, avec une importance fondamentale du timing, due entre autres à l’animation rotoscopique.
Il faut ainsi attendre que la routine d’animation se finisse avant de pouvoir lancer un autre mouvement. Cela implique de maîtriser ce timing pour réussir à sauter au-dessus d’un précipice, ou pour éliminer un ennemi au corps à corps après avoir effectué une roulade en évitant ses tirs.
Un design 80’s, un gameplay tout à fait 2019
Le gameplay très « timé » du jeu sera la première difficulté à maîtriser. La seconde prend racine dans le parti pris graphique du titre : c’est l’affichage parfois brouillon entraîné par le manque de couleurs et de détails. Dans une scène à la fois géniale et ratée, il s’agira de progresser dans un couloir en éliminant à coups de marteau les ennemis, des dizaines, qui se dressent devant nous. On pense à cette scène du film Old Boy (2003), de Park Chan Wook, qui faisait elle-même référence au jeu vidéo.
Hélas, une fois dans la foule, impossible de distinguer où est notre personnage, ni ce qui lui arrive. On essaie donc de finir le tableau en spammant la touche CTRL, qui sert à frapper, sans réelle conscience de ce qui se passe à l’écran. Et ça marche.
Ces problèmes entachent un peu la qualité du jeu, et l’éloignent aussi légèrement de son objectif initial : proposer une expérience de jeu telle qu’on l’aurait vécue en 1987. Parce qu’alors, les jeux étaient difficiles, nécessitaient un véritable entrainement, une connaissance souvent « par cœur » des différents niveaux, et reposaient à peu près tous sur le concept de die & retry, mourir et réessayer.
The Eternal Castle [REMASTERED] de ce point de vue est bien un jeu de 2019. Rien ne vous bloquera vraiment dans votre progression. Les check-points sont nombreux et rapprochés. Les boss vous donneront peut être un peu de fil à retordre, mais rien dont on ne viendra à bout après 3 ou 4 essais. Le seul vrai défi arrivera à la toute fin du jeu, au château.
Enfin, il faut là évoquer la musique de Kiiro, alias Giacomo Langella, Strasbourgeois, et responsable de la bande originale très réussie de The Eternal Castle [REMASTERED]. Si la musique se fait le plus souvent discrète dans le jeu, elle accompagne avec brio les moments de plus grande intensité, comme l’arrivée d’un boss, par exemple.
Et évidemment, avec un jeu mettant l’année 87 en avant, c’est du côté de la synthwave qu’on va aller puiser l’inspiration. 1987, c’est l’année de la sortie de Just Like Heaven, de The Cure ; c’est le single It’s a Sin, des Pet Shop Boys, ou l’imparable Blue Monday de New Order. Mais c’est surtout Music for the Masses, de Depeche Mode (et Bad, évidemment, mais cela nous concerne moins ici !). Kiiro louche du côté du travail de Perturbator pour Hotline Miami, ou de Power Glove pour Far Cry: Blood Dragons. On se satisferait de comparaisons moins flatteuses.
Petite virée façon Retour vers le Futur, The Eternal Castle [REMASTERED] nous propose de revisiter l’An 01 du jeu vidéo, qui se relevait alors du crash de 1983. Il démontre aussi que les avancées technologiques ne sont pas les seuls ingrédients dont on a besoin pour réaliser un bon jeu (coucou Tetris !). Si le titre est effectivement magnifique dans ses limitations techniques (la fameuse contrainte créative), il se perd un peu dans le prétendu « remaster ». En effet, on aurait aimé une difficulté plus importante rappelant celle des jeux de l’époque, sans la frustration, grâce à un contrôle revu, plus dynamique, avec un meilleur répondant. Cependant, The Eternal Castle [REMASTERED] est une aventure sympa à vivre, d’une façon nostalgique pour les anciens, ou avec une curiosité historique pour les plus jeunes.
The Eternal Castle [REMASTERED] est un jeu de Leonard Menchiari, Daniele Vicinanzo et Giulio Perrone, distribué par Playsaurus, et disponible sur PC pour moins de 10€ depuis le 5 janvier 2019.