Passé, avec une version d’essai, par le Néo Fest de Steam, The Bookwalker ne nous a pas laissé attendre très longtemps, puisqu’à peine le carrousel de démos fermé, le jeu est déjà sorti. Mettant en scène un mystérieux homme à tête de livre (« Je ne suis pas un numéro, je suis un homme-livre ! », pourrait s’écrier le héros, paraphrasant le Numéro 6 de la série Le Prisonnier), le jeu est sous-titré Thief of Tales, le Voleur de Conte.
Avec un concept narratif très fort, le petit studios finlandais Do My Best (constitué de seulement deux personnes !) développe un point’n’click qui vise à nous faire voyager dans les livres… au premier degré ! Mais une très bonne idée comme celle de The Bookwalker est-elle suffisante pour que le jeu se repose entièrement sur elle ?
(Test de The Bookwalker réalisée sur Xbox Series X et PC via une copie commerciale du jeu)
Auteur, Hauteur
Quand un scénario est réussi, dans un livre, dans un film, ou même dans un jeu, on dit souvent qu’on est « rentré dans l’histoire ». En jeu vidéo, on parle même d’immersion : un monde crédible, cohérent, bien écrit, on s’y immerge. Dans The Bookwalker, ces expressions n’ont rien de métaphoriques : le héros de l’aventure est un Bookwalker, un Marcheur de Livre, ce qui signifie qu’il a le pouvoir de littéralement (c’est plus que jamais le cas de le dire) rentrer dans les livres. Point de métaphore ici, il visite physiquement des romans comme nous visitons des villes.
Pour ce faire, il suffit qu’il s’y plonge. Encore une fois, même si « se plonger dans un bon bouquin » signifie se consacrer complètement à sa lecture, pour notre bonhomme, il s’agira, au premier degré, de sauter entre les pages de l’ouvrage pour atterrir dans le monde qui y est raconté. Et si on ajoute à cela que le héros en question, Etienne Quist (on n’est pas très loin de Quest, « quête » en français), est lui-même écrivain, on voit à quel point le jeu s’annonce méta.
L’aventure démarre dans un univers dystopique assez proche du nôtre, à une époque presque contemporaine, peut-être quelque part entre les années 60 et les années 80. On incarne donc Etienne Quist, écrivain, qui vient de prendre trente ans d’interdiction de pratiquer son métier. On ne le verra pas puisqu’il est juste évoqué, mais un bracelet d’un genre un peu spécial l’empêchera d’écrire pendant le temps de la peine. Comme le bracelet électronique de notre société empêche les mouvements, le bracelet d’Etienne Quist l’empêche d’écrire. « J’écris ton nom », disait, justement, Paul Eluard dans « Liberté » : « Et par le pouvoir d’un mot/ Je recommence ma vie ». Mais quand on ne peut pas écrire, la vie n’est pas près de recommencer…
Emprunt littéraire
Alors, Etienne ne va pas rester les bras croisés pendant trente ans. D’autant qu’à tous les coups, ses menottes l’en empêchent. Pour se débarrasser de ses bracelets, il va conclure un pacte avec un trafiquant : en utilisant son pouvoir de Bookwalker, il devra récupérer certains objets décrits dans des romans… Imaginez qu’on puisse aller chercher l’Anneau dans un livre de Tolkien, le Nécronomicon de Lovecraft, ou la Lampe d’Aladdin dans un volume des 1001 nuits… ? Combien pourrait valoir chacun de ces objets dans notre monde à nous ?
Mais aussi, qu’arriverait-il aux romans eux-mêmes si on en extrayait ces objets clés, et qu’ils disparaissaient vraiment des histoires concernées ? Le jeu aborde ce sujet vertigineux, mais ne fait hélas que l’effleurer. De même pour le destin des personnages de romans. Certains seront maltraités, voire tués au cours de l’aventure. Comment les considérer ? Comme des êtres à part entière ? Ou peut-on se comporter sans aucune limite morale face à des personnages qui ne sont donc pas des personnes ?
La question est là encore clairement posée par le jeu qui, malheureusement, ne propose pas tellement d’éléments de réponse : nous n’aurons pas vraiment le choix de nos actions, et donc n’aurons pas à assumer les conséquences de nos actes… Pourtant la question prend encore plus d’ampleur quand elle est posée dans un jeu vidéo ; car finalement, nous, en tant que joueur conduisant un avatar, nous intervenons aussi dans une histoire préécrite, et réservons un certain traitement, pas toujours des plus agréables, aux personages que nous croisons. Dommage, on aurait aimé que le jeu se penche un peu plus profondément sur ces thèmes.
Là où le titre se montre plus loquace, c’est sur la diversité des œuvres qu’il nous propose de visiter. C’est aussi l’un des gros avantages du concept du Bookwalker : il n’y a aucune limite aux décors et aux univers que l’on pourra visiter – fantasy, science-fiction, dystopie, drame historique… Chaque niveau est un livre à visiter et un nouvel environnement. Une nouvelle micro-histoire aussi.
Les deux premières sont assez basiques, servant plus ou moins de tutoriel – avec quand même une ouverture intéressante dans le premier scénario, qui présente une histoire de savant fou dans une sorte de château, qui ne serait en fait qu’une drôle de mise en scène organisée à une époque plus moderne ; on ne saura pas grand-chose de plus que ce qu’une narration environnementale savamment distillée voudra bien laisser paraître. Les niveaux suivants sont variés, bien pensés, avec des propos originaux, qui seraient de très bons démarrages pour de véritables romans !
On ne dira rien des différentes installations, dont la découverte est l’un des intérêts majeurs du jeu, juste qu’on a particulièrement apprécié la réécriture façon science-fiction des années 80 d’un immense classique de la littérature médiévale, et toutes ces idées comme celles de faire voyager le Bookwalker dans un livre lui-même situé dans un livre (ce qui ne sera pas sans conséquences).
Un mot sur les couvertures des livres qu’on visite, aussi, toutes magnifiques, dans un style très pulp 70-80, et assez peu détaillées, finalement, ce qui laisse autant de place à l’imagination.
Point and twist
Comme le héros du jeu est une sorte de gros twist vivant, modifiant de façon inattendue les histoires qu’il visite (Etienne Quist/ Etienne Twist ?), le jeu possède lui aussi son gros twist, qu’il vient nous présenter dès les premières minutes (attention spoiler… mais pas vraiment, donc) : alors que le jeu commence en vue subjective dans un environnement en 3D temps réel, il passe en vue à la troisième personne dans des décors en vue isométrique une fois plongé dans le premier livre. On pense ainsi à l’inattendu dans Inscryption (Tiens ! Encore une histoire d’écriture).
En ce qui concerne le gameplay « pur », par contre, on sera peu surpris : il s’agit d’un point’n’click assez classique, dans lequel on récupèrera des objets qu’on utilisera dans les environnements pour avoir accès à d’autres objets, etc. Avec peu de choix dans les dialogues, et, on l’a vu, peu de conséquences quant à nos actes. Pur point’n’click, le jeu l’est aussi dans ses contrôles, pensés pour la souris. Les contrôles au pad sont assez pénibles, et on a des difficultés à bien placer le personnage devant les éléments cliquables.
Le jeu n’opposera pas une grande résistance, les énigmes étant assez évidentes, et on est de plus aidé par un personnage secondaire, qui n’est autre qu’un personnage amnésique enlevé à un autre roman avant qu’Etienne n’arrive dans le jeu. Si son identité sera révélée dans un clin d’œil bienvenu en fin d’aventure, on pense beaucoup à Clef, le personnage-clef (littéralement, une clef qui parle) de la trilogie de romans Foundryside (Les Maîtres Enlumineurs en V.F.) de Robert Jackson Bennett, qui, lui aussi, d’une certaine manière, jouait avec les genres, et le pouvoir de l’écriture.
The Bookwalker part d’un concept qu’on n’hésitera pas à qualifier de génial, et dont il sait tirer le meilleur narrativement. Hélas, cela ne se traduit pas exactement en termes de gameplay, et le jeu reste un point’n’click assez classique. De même, le jeu reste assez limité dans la liberté qu’il offre, on aurait aimé pouvoir explorer différentes voies, avoir des choix et voir leurs conséquences. Un concept également parfait pour accueillir des DLC et du nouveau contenu : à travers de nouvelles œuvres à visiter, les univers sont potentiellement infinis… Une option dont se coupe néanmoins le jeu, proposant une véritable conclusion à son arc narratif (ce qui est à saluer). On pourrait néanmoins rencontrer un autre Bookwalker qui viendrait remplacer Etienne…
Finalement, The Bookwalker est peut-être victime de son positionnement indé, qui le priverait des moyens d’aller au bout de sa proposition (il faut aussi garder en tête l’exploit que représente l’édition d’un tel jeu, développé par un studio de deux personnes seulement !). Mais ne boudons pas notre plaisir de découvrir cet univers particulièrement riche, surtout si l’on est abonné au Game Pass, puisque le jeu figure déjà au catalogue du service de Microsoft.