Visuel époustouflant, casting 4 étoiles, et une édition Annapurna qui n’est jamais anodine, c’est le cocktail que nous proposait les bandes annonces de The Artful Escape. La promesse portée par le titre de voir de l’art jusqu’à plus soif, aussi. Le jeu est désormais sorti, et on a pu se frotter à son univers métal, funk et psyché. Que le titre sorte quelques jours avant le retour en kiosque de la revue culte Métal Hurlant est peut-être un hasard. Ou un signe du temps.
(Test de The Artful Escape réalisée sur Xbox Series X depuis la version commerciale du jeu)
Ça commence par un blues
Ce qui frappe immédiatement, dans The Artful Escape, ce sont ses tableaux graphiques. En utilisant une technique en 2D qui rappellera les jeux de Vanillaware, la direction artistique est, elle, complètement différente. Peut-être un peu convenue – bien que déjà très jolie – lors de l’introduction, rien ne nous prépare à ce à quoi on va assister quand le jeu démarre vraiment (enfin, “rien” à part cette critique, puisqu’on vient quand même de vous alerter, là).
Parce qu’au début, on est dans tout ce qu’on attend d’un jeu Annapurna : des personnages évoluant dans une Amérique rurale au son d’une musique folk semblant tout droit venue de San Francisco…
On y incarne Francis Vendetti, qui porte la malédiction d’être le neveu d’une sorte de Bob Dylan local, légende du folk. Francis doit se produire pour son premier concert, et tout le monde espère retrouver l’oncle dans le neveu… Sauf que Francis ne se sent pas du tout l’âme d’un joueur de folk… Se lamentant sur sa loose, il aura alors une épiphanie : devenir quelqu’un d’autre, se créer une persona à travers laquelle il pourra exprimer ce qu’il est vraiment.
C’est, comme de par hasard, à ce moment qu’il rencontrera une drôle de créature qui l’emmènera pour le voyage d’une vie et lui permettra enfin de devenir celui qu’il est vraiment… À condition qu’il réussisse son audition devant le Glamourgonn, un exercice dont un seul guitariste à ce jour est revenu…
Ziggy played guitar…
La suite des aventures de Francis sera un trip halluciné des plus colorés qu’on n’ait jamais vu. Véritable épopée S-F ou voyage mental dans l’esprit de Francis, chacun décidera du sens à donner à cette croisière galactique, même si les transitions entre les niveaux ressemblent à s’y méprendre à la façon qu’on a en général d’illustrer un trip sous acide…
Dans tous les cas, on ne peut ignorer l’hommage à la culture LSD née dans les années 50, mais qui explosa surtout dans les années 60. Le personnage de Francis peut évoquer David Bowie, qui, lui aussi a connu des débuts un peu décevants dans la musique folk avant de créer le personnage de Ziggy Stardust qui lancera définitivement sa carrière.
Cependant, à la “naissance” de Ziggy, la culture LSD avait déjà vécu ses grandes années, même si on peut en apercevoir l’héritage sur une pochette comme celle du 45 tour de Space Oddity, ou dans la vidéo d’Ashes to Ashes.
Les tableaux fous qu’on explorera avec Francis, les créatures difficilement descriptibles, parfois monumentales qu’on croisera sur notre chemin semblent comme directement extrait des œuvres psychédéliques de SergeX, Rick Griffin, ou Victor Moscoso.
Ci-dessus, les tableaux hallucinés de The Artful Escape, ci-dessous, le travail de l’artiste psyché contemporain Cameron Gray
Le cinéma d’animation du début des années 80 (René Laloux ou Ralph Bakshi) n’est jamais très loin non plus (cinéma d’animation qui doit à l’époque beaucoup à la revue Metal Hurlant), tout comme Jimi Hendrix, directement convoqué par le personnage de Lightman, guitariste de légende dans le jeu…
Violetta, quant à elle, est un autre personnage du jeu qui permet également que convoquer les années psychédéliques. Techos de la tournée de Francis, elle est responsable de la scène holographique de ce dernier, et nous accompagnera pour la fin du jeu avec un spectacle laser encore jamais vu dans la galaxie !
Or, la scène rock psychédélique, qui accordait beaucoup d’importance au visuel, tentant de mettre le son en image (et l’inverse) dans une grande synesthésie, est celle qui vit naître les éclairages grands spectacles pour les concerts. On pense ainsi à la Brotherhood of Light, groupe d’artistes qui accompagna des performances cultes de The Jimi Hendrix Experience, The Doors, Led Zeppelin ou The Grateful Dead, avant d’inspirer les shows monumentaux de Pink Floyd…
Renverser la table
Cette culture du rock des 60’s a été, comme souvent le rock à travers les âges, depuis les “blousons noirs” des origines au grunge des années 90, une contre-culture, contestataire. Si le jeu ne semble pas particulièrement engagé, il semble pourtant venir s’opposer, paradoxalement, à sa propre condition de jeu indé.
Après tout, l’histoire est celle d’un jeune homme enfermé dans une identité qu’on lui a collé, et qui traversera la galaxie pour s’en affranchir. Annapurna est peut-être un label lui aussi enfermé dans une certaine image : on attend d’un jeu de l’éditeur qu’il soit original, étonnant, à contre-courant de la production actuelle, plutôt pour un public adulte, avec des trucs forts à raconter… Bref, des jeux comme Telling Lies ou Kentucky Route Zero.
Alors, avec The Artful Escape, Annapurna envoie-t-il, à la manière de son héros, tout valser ? On peut se le demander. Le jeu se déroule comme un platformer narratif, mais ne propose aucun défi, ne met devant nous aucune difficulté. On va courir, sauter, double sauter, escalader, mais juste pour progresser dans les tableaux colorés que nous offre le jeu. Il est assez compliqué de “mourir”, et quand bien même cela arriverait, le jeu nous renvoie quelques secondes à peine avant la faute.
Dans le même esprit, le titre propose des phases de jeu de rythme, à la manière d’un Simon, le jeu électronique MB des années 80 qui demandait au joueur de reproduire à l’identique des séquences musicales. L’interface graphique réussit même à réunir le design des touches d’une manette Xbox et celui du Simon, avec ses boutons en forme de parenthèses. Mais, là où le jeu de rythme traditionnel (Project Diva…) exige un respect strict des séquences à imiter, ici, The Artful Escape nous demande explicitement de mettre notre propre rythme dans nos interprétations ! Les séquences sont de plus très permissives, et encore une fois, on n’y restera jamais bloqué, quel que soit la qualité de notre exécution…
Un gameplay nié, donc, contredit, pour mieux servir son propos. Sans parler de la musique folk, genre devenu inévitable dans la production indé, et même au-delà, qui accompagne le début du jeu, mais se révèle très vite être un vrai boulet pour le héros. Tout le but de son voyage sera de se défaire de ce genre qui ne lui ressemble pas… Alors s’il faut y voir une métaphore, on est impatient de découvrir les prochains projets portés par Annapurna…!
Un dernier mot, pour ajouter que “jeu indé” ne signifie pas “petit jeu” : The Artful Escape bénéficie d’un casting Hollywoodien digne d’un 12 Minutes, avec notamment Carl “Apollo Creed” Weathers, Lena “Cersei” Headey, Jason Schwartzmann (Scott Pilgrim, Fargo… ) et Mark Strong (Shazam!, Kingsmen…)
The Artful Escape est bien ce que son titre annonce, une échappée pleine d’images, de musique, et de rock. Son gameplay, faussement plateforme, cache en fait une œuvre narrative et picturale qui nous fait voyager de découverte en découverte. Le fond et la forme sont particulièrement raccords, avec un jeu aussi psychédélique dans son propos que dans ses décors.
On y perçoit (peut-être à tort ?) une sorte de remise en question du jeu indé, porté par la symbolique de la musique folk qui l’accompagne souvent, et dont il faudra se détacher. Dans tous les cas, c’est un jeu rare, audacieux, bourré de références de l’écran titre au générique de fin, et qui nous en met littéralement plein les yeux. À ne pas manquer, d’autant que le titre est au menu de l’imparable Game Pass…