Square Enix sort des jeux à tout-va en ce moment. Déjà omniprésent lors du Nintendo Direct dernier avec les annonces entre autres des retours de Live a Live, Front Mission ou Chrono Cross, et dans le dernier State of Play avec Forspoken, The Diofield Chronicle et Valkyrie Elysium, l’éditeur japonais a encore de nombreux jeux dans sa besace pour les prochains mois, dont celui qui nous intéresse aujourd’hui : Stranger of Paradise Final Fantasy Origin.
Développé par la Team Ninja, auteurs des excellents Nioh, Stranger of Paradise Final Fantasy Origin souhaite nous faire revivre l’histoire du tout premier Final Fantasy dans un contexte plus moderne et à la sauce Souls-like. Tout un programme.
Mais en sortant dans la même fenêtre qu’un Elden Ring ayant déjà fauché médiatiquement Horizon Forbidden West et Gran Turismo 7, pourtant excellents, on se demande comment un jeu aussi mineur en comparaison va pouvoir réussir à exister, et même s’il a les armes pour résister tant bien que mal au raz-de-marée et finalement trouver son public, quel qu’il soit.
(Test de Stranger of Paradise Final Fantasy Origin sur PS5 réalisée à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Le bon goût des choses simples
Final Fantasy XV débutait son aventure par un message fort : « Un Final Fantasy pour les fans et les nouveaux venus ». Soyons clair, ici, c’est tout l’inverse. Team Ninja a choisi de faire fi de l’ADN de la saga culte de Square Enix pour se la réapproprier et nous proposer autre chose.
Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que trois démos ont été proposées. Une tentative presque désespérée de convaincre un maximum de joueurs, cachant au maximum sa filiation avec Final Fantasy, dissimulée dans un sous-titre vaguement visible, afin de minimiser les déceptions des fans et d’être le plus clair possible : l’expérience ne sera pas la même que pour les titres canoniques.
Nous avons plutôt affaire à un jeu d’action faisant la part belle à la frénésie de combats bourrins. On tape fort, et on tape tout le temps jusqu’à ce que les ennemis trépassent et laissent la place à d’autres ennemis à taper. Ça semble basique sur le papier, mais c’est sans compter sur l’expérience de la Team Ninja en matière de systèmes de jeu originaux, comme avec Nioh pour lequel ils sont partis d’une base Dark Souls et ont créé leur propre gameplay.
Stranger of Paradise Final Fantasy Origins, c’est un peu la même chose. La base est là, assez proche de ce qui a été proposé dans les Ninja Gaiden de l’ère PS3/Xbox360 en y accolant un héritage Final Fantasy. Ainsi, la prime est à l’attaque, et les compétences et armes sont suffisamment nombreuses et intéressantes pour que chaque profil de joueur y trouve son compte. De la magie, en passant par les épées, armes d’hast, grosses haches ou petit marteau, tout est viable et fun à jouer.
Car c’est finalement le point central : le fun. Tout est fait dans le système de jeu pour atteindre cet objectif. Les jobs en sont le parfait exemple. Trente niveaux qui augmentent naturellement pour débloquer de nouveaux combos, et de nouvelles évolutions de job, de plus en plus puissantes, à changer à la volée pour varier les plaisirs lors d’un même niveau. Une boucle de gameplay stupidement simple, à base de combats de monstres pour monter ses jobs, gagner de l’équipement afin de débloquer de plus puissants métiers et équipements et affronter des monstres plus forts. Simple donc, mais redoutablement efficace.
On pouvait craindre aussi, un peu comme dans Nioh, que la surabondance de loot rende le jeu indigeste. Il n’en est rien. Stranger of Paradise a en effet la bonne idée de proposer une option permettant en un clic d’optimiser l’équipement de tous ses personnages. Pas forcément le meilleur moyen de s’attacher à une arme en particulier, mais dans un titre qui prône l’instantanéité de l’amusement, le choix est judicieux. Ainsi, on ramasse tout ce qui se présente à nous, et toutes les dix minutes, un petit passage par le menu nous permet de nous mettre à jour, y compris esthétiquement, nous offrant parfois des mariages vestimentaires assez audacieux.
Pour conserver un maximum de fun, tout est fait pour limiter au maximum la frustration du joueur. Quelques rares pics de difficulté ici et là, mais rien de vraiment insurmontable, et surtout, pour les personnes souhaitant profiter de l’histoire (et quelle histoire !) sans avoir l’envie de se challenger, un mode facile est présent. Toujours pour limiter la frustration, il n’y a pas de perte d’expérience ni de quelconque malus lorsque l’on meurt, juste un retour au checkpoint précédent et la résurrection de la plupart des monstres du niveau. On est vraiment en charentaises de A à Z dans Stranger of Paradise.
Du loot, partout, tout le temps.
La série Z comme on l’aime
Il faudra faire néanmoins beaucoup d’efforts pour se laisser embarquer par Jack et sa bande. Généralement dans les Final Fantasy, c’est plutôt l’histoire qui arrive à nous tenir en haleine pendant des dizaines d’heures, voire même les graphismes, Square Enix ayant longtemps été réputé pour la grande qualité technique de ses jeux. Eh bien, la Team Ninja n’a clairement pas choisi de concentrer ses efforts sur ces points.
On ressent malheureusement le manque de budget assigné à cette production. La technique en premier lieu, bien sûr. Difficile de cacher sa déception quand on observe les textures indignes même pour la précédente génération de consoles, ou la présence très prononcée d’aliasing. Même la direction artistique globale reste très loin de ce que l’on est en droit d’attendre. Vraiment, il n’y a pas grand-chose à sauver à ce niveau.
Pourtant, on s’y accommode très bien quand on accepte l’aspect « nanardesque »du jeu. On pourrait pester contre ces personnages principaux dont la bêtise ferait rougir les frères Dalton. Il paraît cohérent de fustiger ces dialogues sans queue ni tête. Jack, le héros principal, en est un parfait représentant d’ailleurs et se résume en une phrase (même pas caricaturale) : « Suivez-moi en silence les péons, on va tuer Chaos ». Il en résulte des scènes expédiées en quelques secondes qui finissent immanquablement par Jack qui en a marre de la parlotte et veut aller taper du monstre.
En partant de ce postulat de base, le côté kitsch de tout le reste est en parfaite adéquation, et s’accepte même très facilement. Cela permet même d’apprécier les fantaisies que se sont permises les développeurs pendant l’aventure. Nul besoin d’avoir touché au premier Final Fantasy pour jouer à Stranger of Paradise. Quatre élus doivent sauver le monde. Le reste, c’est accessoire.
On a même l’impression que la Team Ninja a été conviée dans les sous-sols de Square Enix et qu’ils ont pu choisir dans les cartons les choses qui leur plaisent pour les mettre dans le jeu. On se retrouve ainsi avec des niveaux issus de Final Fantasy XII ou XIV assez rapidement dans l’aventure par exemple.
Et puisque qu’il y a marqué Final Fantasy sur la boîte, il faut bien ajouter un maximum d’éléments de la saga culte de Square Enix. On retrouve donc pas mal de clins d’œil, comme ceux cités précédemment, mais aussi plusieurs morceaux de musique et un bestiaire commun. Hélas, sur ce point aussi, le jeu est un peu chiche, et à l’exception de quelques ennemis récurrents comme les Cœurls, Pampas ou autres Tomberrys, il manque les plus emblématiques. Pas de Bahamut, Shiva, Ifrit et toutes ces créatures qui nous ont mis plein d’étoiles dans les yeux dans notre jeunesse.
On prend tout de même beaucoup de plaisir à parcourir les différents niveaux du jeu. On progresse un peu en mode automatique, mais sans jamais avoir l’impression de s’ennuyer, et ce malgré une construction de niveaux proche du néant, se résumant à une structure relativement linéaire conduisant à une grosse salle de boss, avec des « raccourcis » dont l’intérêt nous échappe encore. C’est finalement sans vraiment s’en rendre compte qu’on arrive, au bout d’une trentaine d’heures, au dénouement de cette épopée à la fois grotesque et tellement rafraîchissante.
On a eu peur, très peur même pour Stranger of Paradise Final Fantasy Origin. Lui qui n’a cessé d’inquiéter au travers de ses différentes présentations et qui a choisi de sortir quelques semaines à peine après l’ogre Elden Ring. On ne donnait clairement pas cher de sa peau. Et pourtant, la production de Team Ninja s’avère être un excellent jeu. Il nous propose un système de jeu assez complet et surtout particulièrement plaisant à éprouver, sorte de mix entre Ninja Gaiden et Nioh, la difficulté en moins.
Mais ce n’est pas un jeu à mettre entre toutes les mains. Les amateurs de Final Fantasy n’y trouveront pas leur compte et encore moins ceux des Dark Souls. En définitive, pour peu qu’on soit réceptif à la proposition, on peut facilement s’attacher à son aspect cabossé de partout. Volontairement nanardesque ou non, le fait est qu’on est souvent amené à rire de Stranger of Paradise.
Mais ce n’est pas un rire plein de dédain, non. On est plutôt à se moquer avec beaucoup d’affection, comme on pourrait le faire avec un bon vieux film avec Steven Seagal, et c’est peut-être ce qui pouvait lui arriver de mieux pour réussir à exister.