La Dreamcast fut une grande console, c’est un fait. Même si elle marque la fin d’un cycle pour SEGA, qui ne sortira plus de nouvelle machine après son échec, ce fut une superbe console. On y trouvait des jeux comme Sonic Adventure, Jet Set Radio, Soul Calibur, Space Channel 5, Grandia II ou encore Resident Evil: Code Veronica et Blue Stinger.
On pourrait en citer plein d’autres, dont le jeu et sa suite qui nous intéressent aujourd’hui, Shenmue 1 et 2. Sortis de l’imaginaire du génie Yu Suzuki, ces deux chef-d’œuvres bénéficient donc aujourd’hui d’un portage sur génération actuelle et PC, sous la sobre appellation de Shenmue 1 & 2 HD.
(Test de Shenmue 1 & 2 HD réalisé sur PlayStation 4 à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Il est une vérité qu’il faut rétablir ici et maintenant. Non, Shenmue, bien que jeu le plus cher de son époque avec un budget de 47 millions de dollars, n’est pas la cause de la chute de SEGA dans le domaine du hardware console. Il en est l’une des causes, mais pas le E.T. d’Atari.
Si Shenmue s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires sur Dreamcast à l’époque, lui donnant le statut de best-seller de la machine, il ne put simplement pas être rentable à cause du faible parc de consoles SEGA de l’époque installé dans nos foyers.
D’ailleurs, nous autres européens qui aiment clamer notre amour pour la licence, sachez qu’elle s’est mieux vendue aux Etats-Unis et au Japon que par chez nous, curieux quand tout le monde dit l’avoir eu à l’époque sur Dreamcast. Mais c’est un autre débat, pour un autre moment, et maintenant que cette vérité est rétablie, il est temps de voir ce que ce remaster de Shenmue 1 et 2 a dans le ventre.
Made in Yu Suzuki
L’histoire de Shenmue débute en 1986 dans la bourgade japonaise de Yokozuka. On y incarne le jeune Ryo qui assiste impuissant à la mise à mort de son père par un très méchant chinois au regard noir du nom de Longsun. Cet homme ne semblait pas là par hasard et était à la recherche d’un artefact qu’il emporta avec lui avant de disparaître. Notre quête est avant tout de nature vengeresse dans Shenmue, mais cela ne veut pas dire qu’on a ici affaire à un scénario Charles Bronson.
En effet, ce génie créatif qu’est Yu Suzuki nous a pondu un récit triste, mélancolique et emprunt d’une richesse d’écriture typiquement japonaise magnifique. Les personnages principaux sont aussi intéressants que profonds, et loin de tout manichéisme, le jeu construit un univers qui parait réel et on assiste même à la construction d’une des histoires d’amour les plus belles du jeu vidéo. Encore aujourd’hui, le scénario parait prodigieusement moderne dans sa narration et son intelligence, nul doute qu’il ne vieillira jamais et que Shenmue restera dans l’inconscient collectif comme l’un de ces jeux précurseurs que beaucoup qualifient d’art.
Ensuite il y a Shenmue 2. Ce dernier reste dans la même veine que son prédécesseur et est donc tout aussi réussi en termes d’histoire. En gros c’est le même, mais en mieux. Il commence là où celle le premier se conclu et on y retrouve un Ryo toujours à la poursuite du meurtrier de son père et fraîchement débarqué dans la ville de Hong Kong.
Sans en dire trop, c’est l’occasion d’arpenter une nouvelle cité, de rencontrer des personnes ayant des us et coutumes différentes et cela permet donc de renouveler carrément tout l’univers du jeu. Hong Kong est une merveille, s’y promener et jouer les touristes est carrément cool. Shenmue 2 corrige aussi les quelques problèmes de rythmes de son aîné et on a moins l’impression d’enchaîner sans arrêt une succession de séquences forcées. Plus beau, plus vivant et fort d’un nouveau personnage énigmatique et captivant en la personne de Shenhua, cette suite fut une franche réussite.
J’aurais besoin d’un coup de polish monsieur…
Vous l’aurez compris, il n’est pas ici question de tester dans son intégralité ce Shenmue 1 & 2 HD, il nous faudrait bien plus de lignes que nous n’en avons en stock actuellement. Tout a déjà été dit sur ces deux jeux, nous n’apporterions pas grand-chose, alors nous allons surtout juger la qualité du portage effectué par SEGA sur nos consoles et PC actuels.
Nous tenons tout de même à dire que Shenmue et sa suite furent des précurseurs dans le domaine de l’open world. Ils sont souvent considérés avec GTA 3, comme les titres qui ont lancé la machine et une chose est sûre, bien des jeux en monde ouvert ne leur arrive pas à la cheville encore aujourd’hui.
Ils proposent tout deux – et encore plus Shenmue 2 – une interactivité hallucinante avec l’environnement, on peut fouiller tellement d’endroits, de choses, que ça en donne le vertige, et surtout il y a de nombreuses choses à faire, différents types de véhicules à conduire, des quêtes annexes, on en passe et des meilleures. Envie de se faire une course de chariot ou de moto, de passer des heures à l’arcade pour jouer à Space Harrier, ou encore de se restaurer avec quelques soda ?
Beaucoup de choses sont possibles dans les deux Shenmue et tout ceci en fait parti. De plus, il faut voir la qualité de l’univers dans les deux villes créées, les PNJ possédaient à l’époque un script révolutionnaire gérant entièrement leur journée, ce qui les faisait agir avec cohérence et réalisme. Le tout sans jamais de quêtes FEDEX, c’est-à-dire que rien n’est là par hasard, tout à un sens.
Bon, certaines choses ont mal vieilli comme le gameplay lourdingue, l’interface brouillonne ou encore les graphismes, les animations, l’audio et on en passe. Et c’est sur ces choses là qu’on attendait SEGA au tournant, car c’est bien beau de nous ressortir un Shenmue 1 & 2 HD, encore faut-il qu’il soit à la hauteur du mythe.
… voici donc une fine couche de fond de teint
Et dès la cinématique d’introduction on tombe sur notre derrière tant on ne s’attendait pas à ça. Que les deux jeux tournent en 30 FPS, cela ne pose pas trop de soucis. Non, ce qui navre ce sont les cinématiques en 4:3, le sound design totalement chiadé indigne des travaux de Ryûji Iushi, Yûzô Koshiro et Takeshi Tanagawa. On a surtout droit à un lifting et une rehausse graphique plus pauvre que ce que l’on obtient avec un émulateur.
C’est propre, mais tout juste passable, alors les développeurs expliquent qu’un affichage 16:9 sur certaines séquences pouvaient créer des problèmes ou des bugs, ou encore qu’il s’agit là d’un portage et non d’un remake et que donc le moteur source reste le même. On justifie comme on peut un lissage des textures et un simple upscale, ça fait un brin je-m’en-foutiste sur les bords. Alors toutes ces petites choses sont plus visibles sur Shemnue premier du nom, le deuxième opus étant un peu mieux traité.
Après, certains ajouts, comme les sous-titres en français ou encore la langue japonaise dans le premier Shenmue, font toujours plaisir. On ne peut qu’apprécier aussi le fait de pouvoir enfin sauvegarder lorsqu’on le veut. Alors que l’on peut aussi maintenant choisir où se rendre directement lorsque l’on se lève le matin, SEGA ayant eu la bonne idée d’ajouter des trajets dits raccourcis, ce qui permet entre autre d’alléger les allers-retours quotidiens que l’on se tape.
Ensuite, si le transfert de sauvegarde entres les deux est toujours possible, ceci étant important pour des raisons évidentes de scénario, mais permet aussi de ne pas perdre son inventaire et son argent, on ne sait pas si ce sera le cas entre ce portage HD et Shenmue 3.
Concernant le gameplay, circulez, il n’y a rien à voir. Des menus à l’exploration, en passant par les combats tirés de Virtua Fighter et les QTE – oui, parce que Shenmue a aussi démocratisé le QTE -, tout est semblable. Pas d’assouplissement, pas de refonte de l’inventaire, pas de petites retouches simples qui auraient pu apporter un peu de fraîcheur au tout, non, SEGA s’est contenté du strict minimum et c’est dommage.
De plus, il se trouve qu’il y a des bugs aussi. Des scripts qui ne s’enclenchent pas, des dialogues qui se lancent seulement à l’écoute parce que la caméra s’est barrée on ne sait où, d’autres qui tournent en boucle, voire des soucis d’affichages parfois. On note que cela ne concerne vraiment que Shenmue 1, même si le deuxième n’est pas en reste. Un patch a beau avoir vu le jour pour corriger tout ceci, on ne peut pas dire que la mission est accomplie. On ne peut d’ailleurs tout excuser avec des soucis liés aux codes ou encore aux limitations techniques de l’époque, des développeurs sont censés aussi pallier à ces problèmes aujourd’hui.
La nécessité du surf sur la vague
On en vient à se demander si ces portages sont nécessaires, tant ils n’apportent pas grand-chose, hormis la joie de pouvoir jouer en 16:9 – ou en 4:3 au choix – et de redécouvrir deux titres majeurs du jeu vidéo. Et ce dernier point suffit à lui seul à justifier ce Shenmue 1 & 2 HD, déjà parce que les versions Dreamcast valent en très bon état entre 80 et plus de 100 euros chacun – Shenmue 2 est bien moins cher sur Xbox -, et que cela peut aussi permettre aux nouvelles générations de faire la connaissance d’un univers unique en son genre et dont le fils spirituel, Yakuza, commence à peine à se vendre correctement en Occident. Donc oui, on est pour ce portage, malgré tout le mal qu’on en pense à côté.
Dur dur d’être développeur chez SEGA et de bosser sur Shenmue 1 & 2 HD à ce que nous voyons. Absolument rien n’a été entrepris pour améliorer un tant soit peu l’expérience de jeu de ces deux chef-d’œuvres majeurs du jeu vidéo. On aurait aimé que les développeurs se retroussent les manches et effectuent des retouches un peu plus importantes ici et là que ce qui a été fait, notamment graphiquement et au niveau sonore, parce que le stéréo qui sature ça le fait mal en 2018.
Néanmoins, il serait tout de même criminel de passer à côté de Shenmue 1 & 2 HD, surtout si on ne connait pas la licence. D’autant plus, que l’apport d’une bonne traduction française et les quelques changements ergonomiques, servant surtout le premier épisode, permettent de faire en sorte que la pilule passe un peu. On en peut pas s’empêcher de rêver à ce qu’aurait donné un véritable remake de Shenmue et ça desserre ce portage.
Mais sachons nous contenter de ce que nous avons, car voir débarquer les deux premiers Shenmue sur nos machines actuelles étaient pour beaucoup un rêve. Alors même si cette compilation ne sort réellement que pour surfer sur la hype Shenmue 3, on remercie SEGA de l’avoir fait, on aurait juste voulu que ce soit mieux fait.