L’année 2019 fut riche en expériences horrifiques en tous genres. Entre le remake de Resident Evil 2, Layers of Fear 2, Blair Witch ou encore The Beast Inside et le très moyen Man of Medan, il y avait de quoi se donner quelques sueurs froides, surtout que la liste est encore longue. Moons of Madness fait d’ailleurs partie de cette énumération et entend, lui, nous faire peur non pas dans les traditionnelles maisons, bois et autres bateaux fantômes, mais bien par-delà les étoiles, sur la planète Mars.
Développé par un petit studio répondant au doux nom de Rock Pocket Games et édité par Funcom, le jeu nous propose de revisiter le mythe de Cthulhu dans un set-up inédit. Et si le cadre est original, on ne peut pas dire que le reste le soit. Et c’est bien dommage, car il y avait de l’idée.
(Test de Moons of Madness réalisé sur PC à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Moons of Madness prend place dans un futur proche dans lequel l’Homme a enfin atterri sur Mars. La société Orochi y a construit des installations de recherche sur lesquelles vivent quelques astronautes ayant le mal du pays. En effet, depuis quelque temps, tout ce beau petit monde est hanté par des cauchemars et autres hallucinations terrifiantes qui semblent de plus en plus réels. Et c’est aussi le cas pour Shane, notre bon et valeureux héros avec qui nous allons crapahuter sur la planète rouge pour y effectuer différentes tâches.
La principale d’entre elles consistant à remettre en marche le système de communication de la station qui a été coupé suite à une violente tempête de sable. Très vite, quelque chose de surnaturel se manifeste et notre vie, comme celles des autres, se retrouve menacée par d’étranges créatures.
Le rêveur dort sur Mars
Soyons franc, si au début de notre aventure spatiale la menace n’est pas très claire ou identifiable, on en arrive très vite à comprendre qu’il s’agit là d’une énième interprétation ou adaptation, c’est selon, du mythe de Cthulhu. Bien que l’on soit particulièrement passionné par la chose au sein de la rédaction, le fait que l’œuvre de Lovecraft soit surexploitée ces derniers temps dans la sphère vidéoludique commence un peu à nous ennuyer.
Alors certes, le lore est respecté, la mythologie bien intégrée au contexte martien, mais on est en terrain connu et en cela, on n’est jamais réellement surpris. Cela se résume comme de coutume à ne pas laisser les Rêveurs se réveiller, et ce, quitte à y laisser notre vie. Parmi les autres références évidentes, on trouve Alien ou encore l’Antre de la Folie et même The Thing ou Tremors.
Cependant, bien que convenu, le scénario reste intéressant. Rock Pocket Games a opté pour une vision scientifique du mythe et tenté alors de combiner, plutôt habilement d’ailleurs, le fantastique et le rationnel. Pour tout vous dire, enfin presque, ils ont même réussi à nous refaire le coup de la multinationale vicieuse et peu scrupuleuse pour qui la fin justifie les pires moyens et expériences. Shane est quant à lui lié d’une manière intime à l’histoire et se retrouve bien malgré lui au centre des événements qui ont lieu en jeu.
On trouve donc dans Moons of Madness différents arcs narratifs ayant chacun une part de réponse à donner au mystère présent. La narration se veut en ce sens très simple pour ne pas désorienter le joueur et se fait donc à coups de mémos ou mails à lire, ainsi que par quelques cut-scenes venant introduire ou ponctuer un chapitre. Là où les développeurs ne se sont pas trompés, c’est sur l’aspect visuel de la narration, car on devine certains faits rien qu’en observant les différents décors environnants.
Néanmoins, et malgré de bonnes idées, ainsi qu’un récit qui se laisse suivre sans déplaisir, le tout se montre parfois un peu brouillon et certaines thématiques semblent avoir été mises là juste « comme ça » et ne sont pas exploitées comme elles le devraient. Ce n’est pas l’écriture qui est en cause, mais bien les multiples intrigues qui complexifient sans raison la plupart du temps une trame déjà bien étoffée, et créent des incohérences.
No weapons allowed
Qui dit jeu d’horreur, mission scientifique sur une planète reculée et isolation d’une petite équipe en proie à des monstres affamés dit forcément que les armes sont proscrites. En effet, Moons of Madness fait le choix de l’expérience narrative sur rail entrecoupée d’énigmes et de situations de fuite. En cela, c’est un jeu d’aventure horrifique classique, marchant sur les traces des dernières productions du genre, surtout celles nous venant de chez Bloober Team. Ne manque que la maîtrise du studio polonais, puisque l’on a le droit ici à du basique et à un challenge presque totalement absent.
En résumé, notre avancée est régie par des puzzles à résoudre et une fois notre tâche du moment accomplie, il faut bien souvent fuir une menace. Cela va du monstre à l’effondrement d’un lieu, et ce n’est pas, il faut bien le dire, très palpitant. Les énigmes en elles-mêmes sont réussies, mais manquent souvent de clarté, sûrement due aussi à une traduction approximative et à une logique que l’on ne comprend toujours pas. On regrette aussi, et surtout au vu d’un passage en début de jeu nous demandant d’utiliser une sorte de pouvoir, que la touche fantastique ne soit pas plus présente pour résoudre quelques puzzles, et cela reste finalement très/trop ponctuel.
Par contre, s’il faut reconnaître une qualité au titre, c’est qu’il est bien rythmé, les situations s’enchaînent bien et on ne s’ennuie que très rarement.
Shane ne dispose pas non plus d’un panel de possibilités fou. Il a bien une sorte de petit appareil greffé au bras lui permettant de scanner toutes sortes de choses, et parfois même d’en prendre le contrôle, mais rien d’autre. C’est d’ailleurs grâce à ce dispositif que l’on résout bien des choses, car il nous sert aussi d’objet de réparation, de piratage ou encore de codex. Le reste nous demande bien souvent de nous servir de nos méninges ou de nos jambes.
Notre vaillant astronaute étant doté d’une stamina infinie, il peut dès lors courir comme bon lui semble sans se fatiguer outre mesure. Bien pratique lorsque l’on doit échapper à une créature tentaculaire qui souhaite trifouiller du côté de nos entrailles. Quelques QTE et même une sorte de boss cassent un peu la monotonie, mais rien de bien remarquable malheureusement.
L’une des idées de gameplay qui aurait pu faire mouche est celle de la gestion de l’oxygène, car il nous arrive bien souvent de sortir pour gagner par exemple une station isolée à un endroit donné via un véhicule appelé le Rover. Petite déception d’ailleurs, il est impossible de le conduire, sûrement pour nous empêcher d’aller voir là où l’on ne le doit pas et surtout de rentrer dans des murs invisibles. Comme il s’agit là d’un jeu dit sur rail, ceci afin de servir le rythme et le scénario, ce qui n’est en rien un mauvais point, notre parcours en extérieur reste aussi très balisé. Ainsi, on ne peut se perdre et on ne peut aller contre l’histoire, ce qui n’empêche pas nos quelques pas effectués hors bases d’être sympathiques. Quant à l’oxygène, sachez que vous n’en manquerez jamais et que cet élément de pression ne fonctionne que durant un bref instant lorsque l’on doit courir pour atteindre un endroit précis et cela sans aucun casque et donc sans pouvoir respirer. Voilà encore là une mécanique de jeu qui devient vite gadget.
Pourtant, il faut bien reconnaître qu’il se dégage un certain réalisme dans nos interactions avec l’environnement. Il faut par exemple, lorsque l’on atteint une station, entrer dans un sas, dépressuriser, et seulement après retirer son casque et gagner les locaux. Et ce genre de petits détails est présent durant toute l’aventure. On passe aussi une bonne partie de notre temps à effectuer des actions que notre ingénieur spatial accomplit au quotidien, comme réparer des antennes satellites, rétablir le courant dans un complexe et autres tâches de la sorte. Certains diront que ce n’est pas très passionnant, mais il s’en dégage une certaine authenticité dans l’action; En d’autres termes, c’est crédible et franchement réussi.
Ils sont fous ces martiens
Certes, le gameplay fait en partie défaut, ne parvenant jamais à s’extirper de sa condition de jeu d’aventure horrifique lambda, et même les quelques séquences d’infiltration nous demandant d’éviter des androïdes (oui, il y en a, et non nous n’avons pas trouvé cela pertinent) ne sont pas arrivés à nous émoustiller. Que reste-t-il alors ? Eh bien, les meilleures séquences du jeu, celles qui nous plongent dans un océan de folie et d’horreur.
Il arrive que notre ami en combinaison tombe tête la première dans une sorte de cauchemar éveillé le renvoyant dans des lieux qui lui sont familiers et dans lesquels l’imagination créative et artistique des équipes de Rock Pocket Games peuvent s’exprimer. Elles sont elles aussi polluées par quelques énigmes inintéressantes, mais offrent en contrepartie une véritable ambiance glauque et un cachet visuel sortant de l’ordinaire, qui peut d’ailleurs déstabiliser.
Globalement, Moons of Madness est une satisfaction de ce point de vue. La sensation de solitude, la raison qui se perd dans les méandres de la folie, l’atmosphère si particulière de Mars ou encore la direction artistique convaincante font partie des bons points du jeu. Il offre d’ailleurs une belle proposition graphique, nous faisant naviguer entre la très froide Mars et ses installations de plus en plus envahies par une flore tentaculaire dangereuse et d’autres lieux semblant hors du temps et plus anciens, renvoyant parfois au début du XXème siècle.
L’imagerie est crade, glauque et plutôt gore par moment, âmes sensibles s’abstenir. Tout ceci est accompagné par une bande sonore composée par un habitué des productions Funcom, un certain Simon Poole. Ses compositions et son travail sur l’ambiance auditive accompagnent parfaitement bien notre périple en accentuant la peur quand il le faut et jouant avec nos nerfs lors des quelques situations de fuite.
La peur, parlons-en d’ailleurs. Hormis quelques screamers que l’on ne qualifiera pas de putassiers, puisqu’assez inattendus lorsqu’ils se produisent, ainsi que quelques hallucinations suantes, on ne peut pas dire que Moons of Madness nous fasse faire dans notre couche. La faute à des environnements trop lumineux et à une menace imprécise et pas assez agressive. Il n’y a guère que notre première rencontre d’épouvante qui nous prend aux tripes.
C’est d’autant plus dommage encore une fois que l’atmosphère glauque et si particulière des écrits de Lovecraft est bien présente, il manquait juste un travail supplémentaire sur la mise en scène pour rendre notre voyage effrayant de bout en bout. De même qu’il manque ce moment où l’on passe le point de non-retour et où tout ne devient que terreur insoutenable, cette demi-heure qui nous tétanise et durant laquelle l’horreur atteint son paroxysme, nous poussant dans nos derniers retranchements avant une conclusion espérée.
Moons of Madness n’est sans doute pas le jeu d’horreur de l’année 2019, ni même une franche réussite, mais n’est pas dénué d’intérêt pour autant. Il propose une histoire plaisante et une direction artistique qui fait mouche quasiment tout du long. L’univers du mythe de Cthulhu est ici bien adapté et Rock Pocket Games a même réussi à créer un véritable lore martien autour des Grands Anciens.
Certes, il y a des incohérences et de petites erreurs commises, surtout au niveau du gameplay qui n’est en rien engageant, mais on ne peut s’empêcher d’avoir un certain affect vis-à-vis de l’œuvre. On sent que les développeurs se sont tués à la tâche et ont essayé de nous donner une expérience horrifique pleine. Cependant, le jeu montre vite ses limites, se contentant bien souvent de nous servir une soupe que l’on connaît déjà et que l’on aimerait voir évoluer. En bref, un jeu proposant de bons moments qui est à faire si on est fan du genre ou des écrits du maître Lovecraft.