Jusque-là principalement cantonné à des expériences VR modestes, le studio chinois Arrowiz est fier de nous présenter cette fois un titre d’une toute autre ambition. Davantage axé sur l’histoire, qu’on nous annonce particulièrement prenante, et mélangeant de multiples modes de jeu, à la croisée des chemins entre visual novel, J-RPG et jeu de cartes, Mato Anomalies pourrait représenter la surprise vidéoludique venue de nulle part en ce début d’année. Disponible depuis le 10 mars dernier sur PC, Switch et consoles PlayStation et Xbox, le titre a sur le papier tout pour plaire, avec, pour ne rien gâcher, un tarif avantageux (entre 30 et 40€ selon la crèmerie) et une édition physique sympathique incluant un artbook en bonus.
Nous en sommes à nous demander si cette séduction tant tarifaire que par la mise en avant de ses nombreuses facettes n’est pas en fin de compte un moyen astucieux pour nous pousser à tenter une expérience réussie, mais invisibilisée par les ogres alentour. Car au milieu de blockbusters tels que Hogwarts Legacy, Wo Long: Fallen Dynasty ou Resident Evil 4 Remake, il est difficile d’arriver à exister. À moins que ce tarif moitié prix ne soit que le reflet d’une production à moitié finie ? Alors finalement, est-ce que ce Mato Anomalies mérite de se faire sa place dans le paysage vidéoludique ou n’a-t-il pas suffisamment de saveurs pour imprégner notre palais déjà bien sollicité ces derniers mois ?
(Test de Mato Anomalies sur PS5 réalisée à partir d’une copie fournie par l’éditeur)
Entre œuvre d’art et gribouillage
Pas besoin d’avoir des dizaines d’heures au compteur pour s’en rendre compte : Mato Anomalies est un jeu fauché. Il est même techniquement indigne, y compris pour la précédente génération de machines. Les animations sont déplorables et le titre se paie même le luxe de manquer de fluidité, avec l’écran qui se fige pendant une seconde au sortir des menus notamment. Et ce n’est rien à côté de la synchronisation labiale, tellement aux fraises que les quelques cinématiques clairsemant l’aventure perdent totalement en crédibilité.
Pourtant, le titre possède un charme fou. Les différentes illustrations sont magnifiques, et leur effet peint ajoute un cachet indéniable aux différentes scènes. Même en dehors des nombreuses phases de dialogue, la ville néo-futuriste de Mato, avec ses buildings gigantesques et ses technologies holographiques du plus bel effet contrastant avec la pauvreté des secteurs extérieurs, nous donne furieusement envie de nous plonger corps et âme dans cette enquête.
Et d’ailleurs, durant les premières heures de jeu, nous sommes restés complètement fascinés par cet univers et les différents protagonistes qu’il nous a été donné de rencontrer. Entre Doe, le détective réquisitionné, plus ou moins volontairement, par Belladone, figure incontestée d’autorité locale, Gram, un exorciste peu conventionnel, ou nos futurs compagnons d’infortune, Mato Anomalies dispose d’un panel de caractères bien trempés, réussis, et globalement attachants.
Globalement, car assez rapidement, on se rend compte que le personnage central de l’histoire, Doe, n’est presque qu’une coquille vide, se laissant porter pas les événements qui surviennent durant les différents chapitres, telle une pauvre âme se faisant prendre dans une avalanche de neige. On a de fait beaucoup de mal à s’identifier à notre « héros » qui, curieux choix, n’est pour ainsi dire jamais impliqué directement dans les phases de gameplay. Alors certes, cet état de fait est « justifié » par le scénario, mais cette justification nous est apparue comme bancale et finalement peu convaincante, surtout au fil des rencontres que nous ferons.
Durant une grande partie du jeu, comme dans tout visual novel, nous serons principalement amenés à suivre une intrigue textuelle ponctuée ici et là de quelques animations ou cinématiques, dont certaines avec un effet bande dessinée très réussi, nous rappelant notamment l’excellent XIII d’il y a trois générations de machines (déjà). Véritablement, la direction artistique de cet univers néo-futuriste captivant est l’une des forces de ce Mato Anomalies.
Mais pourtant, au fil des heures et du déroulé de l’histoire, le charme indéniable des premiers instants s’effrite inexorablement, miné par un rythme global particulièrement mal maîtrisé. Alors oui, dans les échanges entre les personnages, il y a parfois de belles fulgurances, avec un humour qui arrive régulièrement à faire mouche, mais on s’aperçoit également vite que, le plus souvent, ils parlent pour ne rien dire et, de fait, on a du mal à se sentir concerné par des événements dont, manifestement, ils n’ont pas grand-chose à faire non plus.
La faute peut d’ailleurs aussi être imputée à ses quêtes annexes d’une vacuité sans nom, mais aux lignes de dialogues parfois interminables. Alors certes, l’intention d’épaissir un peu les personnages et l’univers est louable, mais quand on nous bassine pendant de longues minutes sur une quête dont la conclusion n’a finalement pas grand intérêt, ou est d’un classicisme sans nom, cela a eu tendance à complètement nous sortir de l’intrigue, nous donnant même envie de passer de nombreux dialogues ce qui, reconnaissons-le, est très mauvais signe pour un titre se basant autant sur son histoire.
Des donjons persona non grata
Comme nous l’avons vu préalablement, Mato Anomalies est à la croisée des chemins entre Visual Novel, J-RPG et jeu de cartes. Son premier axe, le plus important selon nous, étant, globalement, moins emballant que son esthétique nous le laissait supposer en premier lieu, il y a de quoi s’inquiéter quant aux autres propositions ludiques du titre. Basiquement, que l’on ait à enquêter sur une nouvelle drogue se propageant en ville ou à retrouver un quelconque objet pour un PNJ tout aussi quelconque, la boucle de gameplay se présente systématiquement de la même manière.
On nous présente une problématique, on dialogue avec de multiples personnages plus ou moins impliqués dans l’affaire afin de la relier à la marée funeste, une sorte de monde parallèle dont les occupants influent sur les habitants du monde réel, puis on l’explore afin d’en tuer les monstres et résoudre la quête confiée. Néanmoins, si on aurait pu éventuellement imaginer avoir affaire à quelque chose de proche d’un Persona par exemple (qui propose une boucle de gameplay similaire), il n’en est rien.
Ces donjons que nous sommes amenés à explorer ne sont en fait que de simples couloirs insipides, sans une once d’exploration ou d’intérêt. La comparaison va être cruelle, mais même un titre comme Pacman proposait plus à ce niveau. Heureusement, le ratage complet est évité grâce à un système de combat pour le moins réussi. Basés sur un système au tour par tour, les affrontements se voudront de plus en plus stratégiques au fil de notre montée en puissance. Les différentes compétences, défensives ou offensives, sont un peu comme des paris sur l’avenir. Les compétences de combat de Mato Anomalies sont utilisables à tout moment, le titre ne proposant aucune jauge de magie à gérer.
Néanmoins, selon la capacité, celle-ci demandera plusieurs tours de jeu avant de pouvoir être réutilisée et nous devons donc les utiliser intelligemment afin qu’elles ne nous manquent pas pour la suite de l’affrontement, voire pour le combat suivant. L’arbre de compétences associé à chaque personnage nous distille d’ailleurs de manière progressive (et astucieuse) de nouveaux atouts à débloquer, que ce soit de nouvelles attaques ou simplement des évolutions de celles dont nous disposons déjà. Vraiment, tout le système de combat ou presque s’est révélé très plaisant à éprouver, bien plus que les monstres qui se sont mis en travers de notre route.
Quelle bouillie, quelle créativité négative, quelle ignominie… voilà quelques-unes des réflexions que nous avons eu face aux abominations à affronter dans Mato Anomalies. Rarement un bestiaire ne nous a fait une telle mauvaise impression. À quel moment peut-on penser que c’est une bonne idée de nous faire combattre un cercle ou une flaque de « je-ne-sais-quoi » ? Encore une fois, malgré beaucoup de qualités dans cette phase de jeu, force est de constater que celui-ci fait tout pour nous en dégoûter… et a presque fini par y arriver.
Esprit, es-tu là ?
Dernier axe de ce Mato Anomalies, un système de jeu de cartes a été implémenté dans l’intrigue. Encore une fois, dès les premiers instants, nous avons été particulièrement emballés par cette idée de gameplay, qui en plus a réussi à trouver une résonance plutôt convaincante avec l’intrigue principale du jeu. En tant que détective, nous devons bien évidemment enquêter et dialoguer avec de nombreuses personnes afin de récolter indices et témoignages. Mais quand ceci se révèle impossible, une technologie unique nous permet d’infiltrer l’esprit de notre interlocuteur afin de changer sa vision des choses et donc de lui extorquer de précieux renseignements.
Pour ce faire, nous devons vaincre la volonté de résister de notre opposant via un combat mental prenant la forme ici d’un jeu de cartes stratégique. Plutôt intéressantes, ces joutes sont l’occasion de varier drastiquement le gameplay global de l’aventure, une très bonne idée quand on sait que les Visual Novel sont généralement assez enfermés dans leurs routines. Et c’est encore plus appréciable quand cette variation s’avère réussie.
Cette nouvelle approche dans le gameplay est la vraie bouffée d’air frais de Mato Anomalies. Malgré un équilibre général assez bancal, conduisant à des échecs parfois frustrants, ou une absence de personnalisation des decks mis à disposition sur le jeu, ces combats mentaux représentent selon nous les meilleurs moments du titre. Chaque deck se joue de manière très différente, même si on s’aperçoit très vite que certains sont bien plus viables que d’autres, et la simple découverte de chacun d’entre eux est un petit plaisir en soi. Pourtant, ce manque, encore une fois, d’ambitions, de possibilités et de fait de contenu reste d’autant plus regrettable que c’était probablement le meilleur moyen pour les équipes d’Arrowiz d’arriver à faire passer un cap à leur titre, et a fortiori à leur studio. On le laissera donc sur le bord de la route alors que nous aurions tant aimé pouvoir embarquer à ses côtés dans une belle balade.
Mato Anomalies est malheureusement un titre boîteux, dont aucune des trois pattes n’est assez solide pour le faire marcher correctement. À chaque fois que le titre expose ses forces, il dévoile par là même ses innombrables soucis. Sa direction artistique est remarquable et l’univers proposé est captivant dès les premiers instants, mais la technique est tellement déplorable qu’on a du mal à s’y plonger. Les personnages sont intéressants à découvrir, mais les dialogues et le rythme général, très mous, endorment nos envies de découverte. Même l’histoire générale n’a pas réussi à nous convaincre, nous poussant presque à accélérer certains pans scénaristiques franchement dispensables.
Il ne nous laisse pas non plus savourer ses originalités, de prime abord réussies, mais fatalement minées par ses contours. Le système de combat de Mato Anomalies est très réussi et plutôt singulier, mais tant ses donjons que son bestiaire sont déplorables. Quant au jeu de cartes, il aurait pu être la locomotive de l’aventure, mais, malgré ses qualités, ces phases de jeu ne nous ont pas offert suffisamment pour passer outre les lacunes de l’ensemble.
Finalement, d’un bout à l’autre, Mato Anomalies est resté droit dans ses bottes, ou plutôt sa botte tant chaque élément du jeu s’est révélé à moitié réussi (ou raté, c’est selon). Jamais il ne nous a donné l’impression de vouloir aller au bout des choses. Dommage donc, mais qui sait, s’ils s’en donnent (enfin) les moyens et le temps, les développeurs d’Arrowiz arriveront la prochaine fois à bien mieux mettre en valeur leurs belles idées.