L’exercice du remaster/remake pour une saga culte est bien plus risqué qu’il n’y paraît. Si la tentative est réussie, le résultat peut devenir tout aussi culte que le matériau d’origine. Preuves en sont le remake de Demon’s Souls sur PS5 et celui de Shadow of the Colossus sur PS4. L’inverse est tout aussi vrai. Le remake catastrophique de XIII sorti en 2020 démontre qu’un nom et une réputation ne suffisent plus à faire vendre. Aussi, quand EA et BioWare ont annoncé la production de Mass Effect: Legendary Edition, la communauté du jeu vidéo s’est trouvée tiraillée entre enthousiasme et crainte.
Un remaster raté pour une telle épopée spatiale serait le coup de grâce qui pourrait mettre le dernier clou dans le cercueil de Mass Effect. A contrario, si à l’image du phénix cela permettait à la licence de renaître de ses cendres, nous pourrions assister au renouveau tant attendu pour cette saga.
Il se pourrait bien que la réponse soit quelque part sur une troisième voie entre ces deux options.
(Test de Mass Effect: Legendary Edition réalisé sur PS4 Pro depuis une version fournie par l’éditeur)
« La jeunesse veut l’espace ; la vieillesse, le temps. »
Citation un peu pompeuse de Jean Nohain, on vous l’accorde, mais qui semble fort à propos pour définir au mieux ce qu’est cette édition légendaire de la trilogie originale Mass Effect. Du souffle épique de l’exploration spatiale et de la découverte presque naïve du premier opus, à un second volet plus tourné vers une action au rythme effréné, pour finir avec un épisode final shakespearien à souhait, la trilogie ressuscitée par ce remaster est un monument de l’histoire du RPG « à l’occidental ».
Près d’une décennie s’est écoulée depuis la sortie de Mass Effect 3, et l’histoire du commandant Shepard trouve toujours un écho auprès des joueurs du monde entier. Autant dire de suite qu’un immense affect gravite autour de la licence. La prise de risque pour EA et BioWare de se lancer dans ce remaster est donc bien plus élevée que ce qu’on pourrait imaginer…
Du côté des bonnes volontés, le studio derrière Mass Effect: Legendary Edition (abrégé en MELE pour la rédaction de ce test – et prononcé « mélé » parce que c’est plus fun) souhaitait redonner de l’éclat à la trilogie originale, l’améliorant en 4K ultra-HD pour la rendre compatible avec les systèmes plus récents, et la rendre plus « acceptable » pour les yeux et manettes des joueurs d’aujourd’hui. Il est vrai que les textures du premier opus en particulier, si elles étaient tout à fait honorables en 2007, le sont beaucoup moins (et à raison) en 2021. Nous le savons tous, la 3D vieillit moins bien que la 2D (mais là n’est pas le débat).
Et disons le tout de suite : Mass Effect premier du nom revit ! Plutôt que de passer par la case de la chirurgie-remake, disons plutôt que BioWare a fait le choix d’une bonne couche de maquillage-remaster. Le fond de teint n’est pas qu’esthétique, mais aussi organique. Car bien qu’il ne s’agisse pas d’un remake complet de la série, Mass Effect: Legendary Edition inclut également de nouvelles fonctionnalités pour rendre la trilogie plus cohérente en tant que tout unifié, sans pour autant sacrifier les caractéristiques et les particularités qui rendaient chaque épisode unique. Ce qu’il faut absolument saluer comme un véritable tour de force.
Ces fonctionnalités comprennent un outil de création de personnage mis à jour et unique pour les trois jeux, un nouveau HUD pour Mass Effect 1 qui correspond mieux aux suites, un mode photo, parmi beaucoup d’autres améliorations déjà largement décrites par l’éditeur via moult trailers explicatifs. De plus, MELE comprend non seulement les trois jeux, intégrés dans un lanceur unique et homogène, mais aussi tous les DLC (à l’exception du dispensable Pinnacle Station et du multijoueur de Mass Effect 3). Pour parfaire le tableau, mention honorable aux musiques de cette édition, entièrement remasterisées, pour un résultat bluffant de qualité.
Ne pas juger un livre à sa couverture
Mass Effect: Legendary Edition nous donne beaucoup de raisons d’être aimé. De l’upgrade graphique (flagrante concernant la finesse de modélisation des personnages) à la souplesse gagnée au niveau de la jouabilité, en passant par les temps de chargement, quasi disparus. Même la cinématique de chargement du nouveau lanceur, qui propose un tour d’horizon des personnages de la saga façon générique du Marvel Cinematic Universe, semble avoir été élaborée avec soin par des personnes qui connaissent et aiment ces protagonistes autant que les fans. De là à dire qu’il s’agisse d’un travail de fans pour les fans, il n’y a qu’un pas… que nous ne franchirons pas (n’oublions pas les considérations financières derrière ce type de réédition).
Bien qu’il ne soit pas parfait, et qu’il y ait moins de choses à faire dans un remaster en comparaison d’un remake complet, MELE est loin d’être paresseux, et il réussit à faire de ces trois épisodes un tout cohérent visuellement et techniquement. Ce qui n’était pas une mince affaire.
Mais une fois ces considérations graphiques et techniques évacuées, que reste-t-il ?
Il reste une fabuleuse épopée. À la fois épique, tragique, tantôt introspective, tantôt pleine de fureur, Mass Effect est une véritable odyssée spatiale que n’aurait pas renié Homère. Et comment oublier la galerie de personnages qui accompagnera votre Shepard tout au long de son aventure ? Une équipe tout aussi mémorable et charismatique que votre Shepard. Chaque membre de votre squad a un caractère bien particulier, une véritable back-story comme vous en verrez rarement ailleurs, et on peut vous assurer que si jamais vous perdez l’un(e) d’eux pendant une mission, il vous faudra un certain temps pour vous en remettre. Vous avez été traumatisé par ce qui est arrivé à un certain personnage de Final Fantasy VII ? Vous n’êtes pas prêt pour MELE.
Insistons également sur ce qui fait que Mass Effect est devenu une véritable institution, déchainant les passions près de 15 ans après le lancement du premier opus : le pourquoi de cette répétition, « votre Shepard » ? Parce que votre odyssée sera à nulle autre pareille. Tout le sel de la licence Mass Effect vient de sa qualité d’écriture, du fait que chacun de vos choix a des conséquences, parfois irrémédiables, et que tant votre avatar (que vous aurez tout loisir de personnaliser au lancement de l’histoire) que votre aventure sera unique. Difficile de vous dévoiler le scénario sans vous le gâcher, nous vous invitons plutôt à aller jeter un œil à nos dossiers qui entrent plus en détail dans la trilogie Shepard, sur son expédition wagnérienne à travers les confins de la galaxie et sa lutte contre les terrifiants Moissonneurs.
Dans l’espace, personne ne vous entendra crier
La puissance narrative de Mass Effect est telle qu’elle éclipse presque certains défauts, que nous ne pouvons cependant pas occulter. Le fait est que si Mass Effect 2 et 3 sont tout auréolés de la gloire technique de ce remaster, Mass Effect 1 pèche à plusieurs niveaux. Il s’agit bien d’une remasterisation : les textures sont propres, les effets de lumière splendides, et quelle joie de pouvoir profiter de ces 60 fps. Mais le squelette du jeu d’origine est le même. Les animations sont souvent raides, l’exploration parfois poussive, et le grand frisson de la découverte spatiale met un certain temps avant de se faire ressentir.
Ceci interroge sur un point fondamental, peut-être la question cruciale : remaster au lieu de véritable remake, était-ce le bon choix ? Difficile à dire. Mass Effect premier du nom l’aurait assurément mérité, mais nous n’aurions alors certainement pas eu cette Legendary Edition rassemblant les trois opus de la trilogie Shepard. Reconstruire le premier opus aurait également « condamné » EA à produire un remake des 2 et 3. Le jeu en valait-il la chandelle (enfin, l’investissement financier surtout) ? Peut-être pas.
Autre question légitime : où est passé Mass Effect: Andromeda ? Le petit dernier mal aimé de la licence aurait pu trouver sa place dans cette compilation. Sans doute son échec critique et commercial aura poussé l’éditeur à faire comme si le jeu n’existait pas, et à le cacher sous le tapis.
Pour en finir avec le chapitre des questions et répondre à celle posée dans le titre de cet article : oui, oui et trois fois oui, malgré ses quelques défauts, cette trilogie continue à faire un effet fou.
« Ulysses » est la version latine de « Odysseus » qui est le nom d’Ulysse en grec. L’odyssée contenue dans son propre nom est entrée et restée dans la légende il y a plus de 2500 ans. Récit entré dans l’inconscient collectif d’une aventure s’organisant autour d’un héros parti en guerre, qui tente de revenir dans son royaume malgré les oppositions divines et les interventions d’autres figures rencontrées durant son tragique voyage.
« Shepard », dérivé de « shepherd », signifie « berger » en anglais. Berger pour son peuple, puis pour toutes les espèces de la galaxie, protégeant ses troupes/troupeaux contre une menace qui dépasse l’entendement, quasi divine. Un récit qui vous marquera, et s’inscrira dans votre mémoire pour de très longues années, pour peu que vous tentiez d’en franchir les portes, et que vous passiez outre les menus défauts de son premier chapitre.
Mass Effect: Legendary Edition vous offre non seulement une trilogie de jeux cultes, remasterisés de fort belle façon, mais aussi l’occasion de découvrir un univers profond, riche et un casting de personnages absolument inoubliables. Si vous avez déjà affronté les Moissonneurs par le passé, rien d’indispensable pour vous à acquérir cette compilation. Dans le cas contraire, vous êtes chanceux et chanceuses : vous allez embarquer à bord du Normandy de la plus belle des manières, et pouvoir partir pour des dizaines d’heures d’explorations, de combats et de romances dans l’immensité de la galaxie.