Beaucoup de joueurs ont entendu parler de Martha is Dead à l’occasion d’une nouvelle pas très heureuse concernant la sortie du jeu sur PlayStation. Le titre sera en effet « censuré » dans son édition sur les consoles japonaises. Si on ne sait pas exactement dans quelle mesure cette censure opèrera (nous avons joué à la version PC), l’information a eu le mérite de lancer un débat sur l’influence des constructeurs quant au contenu des œuvres, mais surtout de mettre un coup de projecteur sur le jeu, qui sort dans un contexte un peu trop concurrentiel.
Entre Horizon Forbidden West et Elden Ring, il fallait bien un petit scandale pour exister médiatiquement. Parce que les qualités du jeu ne suffisaient pas ? C’est ce qu’on va voir.
(Test de Martha is Dead réalisée sur PC via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Rien ne vous sera épargné
Une belle promesse quand il s’agit d’un jeu d’horreur. Après tout, c’est bien pour le frisson qu’on se lance dans l’aventure. Mais comme un peu tout dans la vie (le sucre, les basses, le bronzage…), l’excès peut conduire à l’effet inverse de ce qui était visé.
Dès le début du jeu, on a le sentiment que des ingrédients beaucoup trop classiques se superposent de façon un peu écœurante, et on imagine déjà l’indigestion qui nous guette. Sans trop en dire sur l’histoire, qui représente tout l’intérêt, il est en effet question de la Dame en blanc, légende urbaine plus vieille que l’urbanisme, et de sœurs jumelles qui échangent leurs identités, ficelle narrative aussi épaisse que la brume qui recouvre les villages à l’aube de catastrophes surnaturelle. Et tiens ! De la brume épaisse, justement, on en aura aussi… Comme des scènes gores, des hallucinations, des messages de l’au-delà… On l’a dit, rien ne nous sera épargné. Chacun des clichés du genre feront leur petite apparition.
Le jeu prend pourtant un tournant qui pourrait s’avérer intéressant, quand, de récit d’horreur classique pendant les toutes premières minutes, il bascule dans le drame familial. On se dit que le jeu va nous conduire sur des thématiques comme « le véritable monstre est humain », usant du fantastique comme métaphore, à la façon du Frankenstein de Mary Shelley. Là encore, rien d’original, mais c’est un sujet qui peut encore nous donner des œuvres puissantes, comme en témoigne par exemple le The Walking Dead de Robert Kirkman. Hélas…
Point Godwin
Une autre vision de l’horreur apparaît encore, remplaçant à nouveau la précédente, quand on apprend que la famille de l’héroïne est nazie, le père étant un général de l’armée d’Hitler. Cela ne fait pas une heure qu’on joue, et on est déjà menacé d’une sorte de diabète narratif, le jeu nous ayant servi à la fois l’horreur des films de série B à base de revenants, l’horreur des familles dysfonctionnelles, et par-dessus tout ça, donc, l’horreur nazie. « Mais de quoi essaies-tu de nous parler, jeu ? », se demande-t-on devant notre écran.
Une thématique nazie introduite de plus avec un mauvais goût certain. Notre héroïne, Giulia, est donc la fille d’un général nazi, rejetée par sa mère. C’est auprès de son père qu’elle trouve une forme de soutien. Une première façon d’adoucir le personnage du père. Parce que le petit ami de Giulia est résistant, elle se retrouve à devoir choisir son camp, entre assister les résistants ou tout dévoiler à son père, qui « après tout a horreur de la guerre », commente-t-elle. Un gentil nazi, donc (?!). Comme si tout cela ne suffisait pas, vers la fin du jeu, sans trop spoiler, la maison sera prise d’assaut par la Résistance, Giulia torturée et son père exécuté.
On peut s’interroger – et c’était sûrement l’objet de la décision de Sony de censurer le jeu – sur la pertinence de rendre jouable et obligatoire certaines atrocités. D’autant plus quand le jeu se déroule en vue subjective et rend l’identification encore plus forte. L’héroïne va ainsi à deux reprises découper des corps humains, et le jeu réclamera au joueur de participer en actionnant la manette pour accompagner le personnage dans ses mouvements. Dans une certaine mesure, c’est « nous » qui découpons ces corps. On peut comprendre que la question se pose (que ce soit Sony qui la pose, et pas l’éditeur, est par contre plus problématique).
Mais que le jeu nous fasse assister en vue à la première personne à la violence de la torture d’un général nazi par la Résistance pose des questions d’une autre nature. Qu’est-ce que le jeu essaie de nous dire ? Qu’il y avait des gentils nazis et des méchants résistants ? Drôle de façon d’évoquer la période… D’autant que ce n’est pas la seule fois où cet angle apparaît dans le jeu. Outre le choix qui nous est proposé de soutenir la Résistance ou de la dénoncer à notre Général nazi de père, Giulia se fera tirer dessus par accident par un soldat SS. Un soldat à qui elle pardonnera, dira-t-elle, parce que « nous souffrons tous ». Encore une fois, quel message trouble le jeu essaie-t-il de porter ?
Brouillon
Le souci majeur de Martha is Dead vient sûrement du fait que son écriture a dû se faire à l’envers. Ses auteurs avaient peut-être envie de faire un jeu d’horreur avant d’avoir quelque chose à raconter. De même pour le gameplay, qui semble fait de petites expériences, voire, pour certaines phases, de bouche-trous.
Le jeu est, en gros, un walking simulator assez dirigiste. Si on peut aller et venir relativement librement sur la (toute petite) carte du jeu, l’histoire ne progresse qu’en suivant rigoureusement les indications assez précises qui nous sont données. Quelques rares énigmes demandent de se creuser très superficiellement la tête (+1 pour les messages à lire en morse !), mais souvent, le gameplay est complètement artificiel, et collé là pour essayer de conserver maladroitement l’attention du joueur et le droit de s’appeler « jeu vidéo » (alterner entre « haut » et « bas » sur le stick pour gonfler le pneu du vélo, sérieusement ?).
La dernière partie racontée et jouée à travers un théâtre de marionnettes introduit (étrangement tard) de nouvelles mécaniques de gameplay, et même un petit côté Sherlock Holmes (il faudra comprendre/deviner le fin mot pour rejouer l’histoire avec les pantins), mais tout cela tombe un peu comme un cheveu sur la soupe. L’aventure comprend quelques quêtes secondaires étranges ou complètement vaines, qui semblent avoir été mises là façon test grandeur nature. Ainsi, il faudra retrouver la pompe à vélo pour pouvoir utiliser la bicyclette… qui ne sert à rien dans le jeu ; chaque jour, il est possible de consulter un oracle via un jeu de tarot pour… on ne sait pas bien.
Dommage, le jeu de cartes en question possède de très belles illustrations qui, imprimées, auraient fait sensation dans une édition collector du jeu ! De manière générale, et à défaut d’être techniquement irréprochable, le jeu est d’ailleurs plutôt joli, les clairs-obscurs en forêt laissant imaginer ce qu’il faut de mystère et de danger. L’idée de placer un jeu d’horreur dans les collines d’une Italie ensoleillée est ainsi à saluer !
Martha is Dead est un patchwork scénaristique et de gameplay cousu sans patron. Des idées ont été jetées dans le développement un peu au hasard, et ne vont nulle part ni ne construisent quoi que ce soit. Des twists à répétition sans queue ni tête viennent tenter de travestir en mystère une histoire qui ne sait pas sur quel pied danser, et donc ne tient pas debout. Des commandes et autres éléments de gameplay sont posés artificiellement sur certaines séquences de jeu de façon à justifier que ce dernier en reste un, là encore sans vraie direction.
En résulte un jeu en costume d’Arlequin mal taillé qui semble avoir vu se succéder les équipes de développement les unes derrière les autres, sorte de cadavre exquis vidéoludique malheureux. Et encore, on ne s’appesantira pas plus sur la bienveillance avec laquelle sont traités les personnages nazis, préférant s’imaginer que ce ton n’est que le résultat d’une maladresse plutôt que d’un choix scénaristique décidé.