Vous vous levez de bon matin, enfilez votre tenue la plus élégante, et en sortant de votre manoir fortifié, protégé par votre retenue personnelle arborant vos bannières et vos couleurs, vous observez avec fierté les paysans de votre petite communauté travailler dans les champs, porter du blé au marché et du grain au moulin. Du grain qui sera transformé dans ce dernier en farine, transportée au four de votre village pour produire du précieux pain. Du pain qui sera ensuite stocké pour faire face à l’hiver qui arrive, mais aussi exporté pour que vous puissiez importer des moutons pour votre pâturage et des armes pour votre milice. Une milice qui croît aussi vite que votre village et qui vous donne des idées d’expansion. Voilà en quelques phrases la proposition de Manor Lords.
Une proposition relativement originale dans un environnement médiéval bien commun. Un jeu fait avec passion par un seul développeur, dont l’amour envers sa création n’aura pas échappé aux joueurs qui ont manifesté leur soutien au créateur dès les premières annonces, il y a quelques années, et sont plus que nombreux à jouer au titre dans sa phase d’accès anticipé.
(Test de Manor Lords sur PC, réalisé à partir d’une copie commerciale du jeu )
Un accès anticipé particulièrement complet et plaisant
Bien que le jeu soit sorti en accès anticipé, celui-ci offre un contenu remarquablement complet. Concrètement, une partie de Manor Lords se déroule comme suit : vous débutez de manière aléatoire sur une parcelle de la carte, qui correspond alors à votre région, avec un camp de réfugiés et quelques familles. Vous construisez des bâtiments basiques pour commencer à récolter des ressources essentielles (camp de bûcherons pour le bois, hutte de chasseurs pour la nourriture, etc.), quelques bâtiments résidentiels pour loger votre population, mais également attirer de nouvelles familles, et au fur et à mesure du développement de votre économie, votre petit village croît jusqu’à devenir une véritable petite ville médiévale digne de vos ambitions, avant que ces dernières ne se portent sur les régions voisines.
Authenticité oblige, la gestion de l’économie est au centre de l’évolution de votre communauté. Pour acquérir certains biens, il faudra faire du commerce, et pour commercer, il faut avoir des biens à vendre. Chaque partie de Manor Lords est donc l’occasion d’orienter l’économie de votre village vers certaines productions bien spécifiques, selon les ressources qui se trouvent sur votre parcelle régionale, mais également selon la fertilité des sols. Il va sans dire que sans sols fertiles, vous devrez importer beaucoup de nourriture pour tenir l’hiver, et que vous devrez plutôt avoir une économie centrée sur l’artisanat.
Le jeu brille par son immersion et il est possible de suivre le chemin des ressources récoltées jusqu’aux entrepôts, puis au marché ou aux artisans pour une nouvelle transformation avant d’être exportées, échangées sur un étal ou stockées précieusement. Une représentation relativement authentique des routines médiévales où même un bœuf est une ressource précieuse pour apporter le bois sur le site de bâtiments en construction.
Mais à quoi bon entretenir votre population si celle-ci ne contribue pas à la réalisation de vos ambitions ? Ou à protéger votre ville naissante ? Car Manor Lords se distingue de bien d’autres city-builders par une dimension RTS assez bien pensée qui devrait certainement être prise comme source d’inspiration par d’autres franchises. On l’a dit précédemment, la carte est scindée en régions. Ces régions abritent soit le joueur, soit des camps de bandits, soit le baron, un joueur IA situé en dehors de la carte qui va revendiquer progressivement toutes les régions.
Les bandits peuvent, avec un événement spécifique, tenter de quitter leur région et attaquer la vôtre. Bien que leur armée soit relativement faible, elle constitue un véritable challenge pour les premières parties si votre milice n’est pas assez bien équipée ou suffisamment nombreuse. Une milice par ailleurs constituée par la population de votre ville, que vous verrez abandonner leur travail pour accourir avec des armes lorsque vous en donnerez l’ordre. Une milice dont les pertes humaines vont donc avoir des répercussions importantes sur votre économie.
Néanmoins, vous pouvez également recruter des compagnies de mercenaires, mieux armées et plus motivées que votre population, pour livrer vos batailles à votre place, surtout contre l’armée du baron qui est le véritable challenge du jeu si vous lancez Manor Lords en mode normal. Enfin, une fois que votre ville aura atteint une certaine taille et un certain niveau de développement, il vous sera possible de construire votre douillet manoir. Celui-ci vous permettra d’avoir une retenue de gardes dont vous pourrez personnaliser l’apparence et qui constituent les meilleures unités du jeu.
Concernant les bandits, vous devez les attaquer avant qu’ils n’atteignent votre village, auquel cas ils le brûleront et tueront votre population (ce que nous avons bien évidemment testé accidentellement dans notre première partie). Le baron est différent, puisque pour le défier, vous devez revendiquer vous-même la région qu’il est en train de convoiter, ce qui donnera lieu à une bataille en règle : le jeu va attribuer un emplacement sur la carte où les deux armées doivent se faire face (mais peuvent éventuellement s’attaquer chemin faisant) et dont le résultat tranchera les prétentions sur la région. C’est là l’occasion pour Manor Lords de briller. Ces batailles sont extrêmement immersives, particulièrement dans la phase de rassemblement et de marche des armées vers le champ de bataille, bannières au vent, jusqu’aux animations des soldats elles-mêmes qui n’ont rien à envier à Total War.
Il est bien sûr possible d’ignorer complètement l’aspect RTS du jeu et de se concentrer uniquement sur le développement de votre ville, ce qui apporte son lot de défis et de satisfactions. Le baron et les bandits peuvent être désactivés dans les paramètres de partie et le jeu, magnifié par l’Unreal Engine 5, se prête à une dimension purement contemplative.
Un (trop) fort potentiel pour son propre bien ?
Voir Manor Lords en accès anticipé pour 30 euros et le niveau de contenu et de soin qu’il apporte inflige beaucoup de mal aux productions AAA de certains studios, vendues deux fois plus cher, truffées de bugs et s’abstenant bien souvent de peaufiner les petits détails qui comptent. Néanmoins, le titre est loin d’être parfait et son potentiel gargantuesque pourrait bien être son fardeau.
On l’a vu, la dimension RTS est assez spectaculaire et très bien intégrée, mais ses fondations sont si bonnes que l’on souhaite voir plus de mécaniques et de contenu pour les armées, les batailles et leurs conséquences. Et ce constat vaut pour tous les aspects du jeu : le commerce est déjà bien étoffé et bien pensé avec le système des étals de marché, mais pourrait être amélioré en ajoutant de nouvelles ressources et la possibilité d’avoir des relations commerciales avec certaines entités étrangères en particulier.
Il y a par ailleurs de nombreuses références à des mécaniques encore absentes : il existe une fenêtre de diplomatie pour avoir des interactions avec le baron ou les bandits, mais il n’est pas possible d’y faire quoi que ce soit, et pourtant l’idée d’avoir plus de joueurs IA dans les parties, et plus d’interactions avec eux, est séduisante.
Il existe un niveau d’ordre de public qui ne correspond à rien et n’a pas de conséquence, pourtant on peut aisément imaginer qu’une famine ou une lassitude de guerre pourrait générer une révolte paysanne au sein de notre population. Il y a également tant à faire avec les maladies, l’aspect religieux, la gestion des familles, etc., qu’on craint que certaines opportunités soient négligées au profit d’autres. L’absence de roadmap officielle pour le futur du jeu est une relative source d’inquiétude.
Si l’on comprend bien que le développeur ne souhaite pas s’engager sur des mécaniques ou des dates, cela contribue à rendre flou ses ambitions pour le jeu et ce à quoi l’on peut s’attendre. Une mise à jour publiée cette semaine a apporté un certain nombre de corrections et d’optimisations, ainsi que l’arrivée inattendue de nouvelles armures pour la retenue et d’un nouveau visuel pour un bâtiment.
Il s’agit d’un détail et d’un ajout bienvenu, mais fonctionner par ajouts surprises avec une très légère communication autour de ceux-ci pourrait faire du tort au titre, particulièrement compte tenu de son placement singulier et de la grande variété de ses mécaniques de jeu.
Manor Lords est un excellent jeu, et le considérer excellent alors qu’il est en accès anticipé est un éloge suffisant en soi. Il s’agit d’un titre dont on peut dire sans se tromper qu’il a été fait avec passion et par passion. L’immersion dans une communauté rurale, puis urbaine, médiévale est une réussite. Qu’il s’agisse de la manière dont les habitants reproduisent les méthodes de construction de bâtiments, leurs routines, leurs besoins, la place du marché et du commerce pour la santé du village, le rendu des confrontations, tous les aspects du jeu reposent sur de très bonnes fondations.
Des fondations qui ne demandent qu’à être le support sain de futures nouvelles mécaniques de jeu. Car le potentiel de Manor Lords est vertigineux, à peu près comparable à un jeu Paradox qui reçoit des DLC d’approfondissement de mécaniques précises. On espère de tout cœur avoir la chance de voir le titre devenir quelque chose de plus grand et plus approfondi, car en ce qui nous concerne il s’agit là d’une des plus belles sorties de 2024 et du succès d’un jeu indépendant particulièrement mérité.