Quelle existence étonnante que ce Lords of the Fallen, cru 2023. Née en 2014, la licence s’est instantanément vue affublée du qualificatif peu glorieux de « pire Souls-like existant », titre qu’elle détient probablement toujours actuellement. Alors, quand nous avons appris que nous allions de nouveau en entendre parler par le biais d’un nouveau jeu, c’est à la fois avec un sentiment d’étonnement, et, disons-le aussi, de dédain que nous avions accueilli cette annonce.
D’abord suite, puis reboot, avec un « The » ou non devant son nom, on s’est demandé, sans doute comme les décideurs d’HexWorks, studio en charge du développement, comment allait finir ce projet, et pourquoi, surtout pour un premier jeu (l’épisode de 2014 ayant été réalisé par les équipes de Deck 13), se mettre des bâtons dans les roues en voulant faire renaître une licence aussi peu estimée.
Pourtant, au fil des communications de l’éditeur, l’image de la marque s’embellissait peu à peu, notamment grâce à de magnifiques trailers qui laissaient augurer le meilleur. Dès lors, l’idée que l’aventure puisse finalement combler notre insatiable appétit d’aficionados de Souls-like faisait son chemin dans notre esprit. Alors, ce renouveau de Lords of the Fallen, c’est une nouvelle chute ou plutôt le signe d’une improbable rédemption ?
(Test de Lords of the Fallen réalisée sur PS5 à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
La démesure d’un seigneur…
Avant de parler plus concrètement du jeu, il convient de pousser un énième coup de gueule sur les politiques commerciales des éditeurs, de plus en plus créatifs pour ce qui est de monétiser leurs jeux. Depuis quelque temps, on constate que de plus en plus d’éditions « Deluxe », qui n’ont de luxueuses que le nom, incluent, en plus d’objets numériques plus ou moins quelconques, un douteux early access plus ou moins long.
Mais ce ne fut pas le choix de l’éditeur pour ce Lords of the Fallen. En effet, ils ont plutôt opté pour le déblocage d’une classe de départ, le Dark Crusader, particulièrement puissante en début de jeu. Alors certes, elle est déblocable gratuitement, mais au-delà du fait que son obtention soit loin d’être triviale, cela nous interroge sur la limite qui devrait être respectée entre ce qui est un bonus acceptable et ce qui est un ajout changeant l’expérience de l’utilisateur.
Maintenant que nous avons abordé ce point désagréable, entrons un peu plus dans le vif du sujet, et d’emblée, Lords of the Fallen impressionne. On découvre un univers d’une grande richesse porté par une direction artistique de haute volée. Ainsi, nous sommes amenés à explorer les différentes contrées dans le but de renverser Adyr, l’ancien dieu-démon déchu venu reconquérir son ancien royaume.
C’est d’ailleurs à peu près tout ce que nous avons compris durant notre périple. La frontière entre cryptique et lacunaire est ténue, et Lords of the Fallen se classe clairement dans la seconde catégorie, et encore plus lorsque sont évoqués les différentes quêtes annexes que peuvent nous confier les PNJ croisés ici et là. Rien de bien grave cependant, l’intérêt d’un Souls-like résidant moins dans son propos que dans l’exploration d’un monde où l’on aime se perdre à la recherche de secrets, trésors et boss.
Et croyez-nous, dans Lords of the Fallen, on se perd très souvent. Les environnements sont immenses et les embranchements qu’ils recèlent sont nombreux, à tel point qu’à partir d’une même zone, il est possible d’en rejoindre parfois trois ou quatre autres, chacune possédant d’autres imbrications. La construction des différents niveaux a bénéficié d’un soin certain, tutoyant même à l’occasion les orfèvreries d’un certain Miyazaki Hidetaka, saint père des Souls.
Une excellente base, donc, lançant une aventure sous les meilleurs auspices. Les niveaux sont très jolis, particulièrement bien agencés, et disposent tous d’une identité visuelle particulière, mais surtout dans leurs propres ambiances. Les lieux racontent aussi une histoire, et si nous n’avons à l’évidence pas obtenu toutes les clés pour bien les comprendre, ils parviennent néanmoins à nous captiver par l’aura qu’ils dégagent.
De plus, en tant que porte-lampe, une sorte d’être élu capable de voir et visiter à loisir le monde des morts (l’Umbra), parallèle à celui des vivants, c’est un second univers encore plus fascinant qu’il est possible d’explorer. On est ainsi amené à jongler régulièrement entre ces deux réalités pour progresser dans l’aventure et dénicher de très nombreux passages dérobés.
Plutôt que de le décrire comme un second monde à proprement parler, il serait plus juste de le qualifier de calque apposé à la réalité du commun des mortels, servant basiquement à contourner les obstacles naturels empêchant d’atteindre un lieu plus ou moins éloigné. Une très bonne idée permettant d’ajouter un petit côté « énigme » à nos pérégrinations, ce qui n’est pas pour nous déplaire.
… suivie de sa déchéance
Hélas, si les bases de Lords of the Fallen sont excellentes et pourraient servir de modèle à bon nombre de studios souhaitant se lancer dans la création d’un Souls-like, ce n’est pas le cas du reste du contenu qui nous est proposé. De Dark Souls à Nioh en passant par The Surge ou le plus récent et excellent Lies of P, tous ont la réputation d’être des jeux difficiles, et, en voulant embrasser cette théorie, les équipes d’HexWorks ont choisi la pire manière de le faire.
En effet, si l’on a beau incarner un guerrier robuste ou un redoutable jeteur de sorts (voire les deux), nous ne sommes en réalité qu’une chips, prête à se faire écraser par le moindre Belzébuth face à nous, nous broyant tel un fétu de paille. Si sur le papier ce défi pourrait correspondre à la philosophie du genre, le fameux « Git Gud » (« devient meilleur »), ce n’est pas le cas ici, la faute à un nombre disproportionné d’ennemis au mètre carré.
Si vous avez joué à Dark Souls 2 dans sa version Scholar of the First Sin, sachez que Lords of the Fallen va encore plus loin. Si individuellement chaque ennemi est surmontable sans trop de difficultés, c’est dans le nombre que le réel danger réside. Nous sommes quasi systématiquement en présence d’une demi-douzaine d’adversaires, parfois même bien plus, capables de nous occire en deux ou trois coups.
En tant que porte-lampe, la mort n’est cependant pas la fin du chemin. En effet, passer de vie à trépas depuis le monde des vivants force simplement notre passage dans celui des morts où nous pouvons reprendre le combat, et éventuellement nous débarrasser des importuns ayant eu l’outrecuidance de nous fesser. Mais attention, mourez dans ces limbes et c’est le chant du cygne, et donc le retour au dernier Vestige visité (l’équivalent des feux de camp).
Une sorte de vie supplémentaire, donc, un peu à la Sekiro: Shadows Die Twice qui ne se fait pas sans sacrifice. Entrer dans le monde des esprits, volontairement ou non, signifie aussi une perte potentielle de vie (50 % de notre barre de vie étant en balance, soit on la récupère si on attaque un ennemi, soit sa perte est instantanée si on est victime d’un assaut) et l’ajout de monstres supplémentaires issus de son bestiaire exclusif dont certains apparaissent en boucle.
Alors quand on s’est fait tuer parce qu’une dizaine de monstres nous sont tombés dessus, nous offrir une seconde vie avec une dizaine de plus, ça sent le cadeau empoisonné. De fait, on se rend vite compte que dans Lords of the Fallen, la moins pire des solutions pour visiter les zones, c’est le rush. On court alors partout, tel un poulet sans tête, à la recherche d’une issue quelconque, slalomant en ramassant les objets au milieu des monstres en priant pour que les vingt ennemis nous coursant finissent par nous lâcher (spoiler : c’est rarement le cas).
Bref, les développeurs peuvent bien nous proposer de superbes environnements, si on ne nous laisse pas le loisir d’en profiter, à quoi bon ? Car c’est à ça que s’est résumée notre expérience. Jamais nous n’avons vraiment pu prendre le temps de visiter les lieux. Nous avons même eu du mal à voir ou comprendre comment fonctionnait la zone, cherchant simplement à atteindre un raccourci salvateur sans trop mourir sur le chemin.
Unreal Engine 5, ce n’est pas encore ça
La plupart des idées implémentées dans ce Lords of the Fallen nous ont semblé assez ratées, ou du moins gâchées au fur et à mesure de l’avancement du jeu. Même la dualité entre monde des morts et des vivants, si elle apporte par moments un véritable plus à l’exploration, possède de tels inconvénients qu’on évite d’y aller à moins d’y être vraiment contraints par le jeu. Ce qui provoque aussi le désagréable sentiment de passer à côté de secrets en permanence.
Bien sûr, tout n’est pas à jeter dans les apports du studio. Par exemple, l’idée d’un système de germes qui permet de déployer un checkpoint provisoire à certains endroits spécifiques est plutôt bonne. Cela permet, un peu comme le proposait Ori and the Blind Forest, d’éviter de devoir retraverser une longue distance pour atteindre un point stratégique (boss, carrefour entre plusieurs zones ou raccourcis…). Une habilité à utiliser avec parcimonie néanmoins, car ces germes, bien que salutaires, sont en nombre limité.
Pour le reste, quand un choix était à faire pour impulser une direction au jeu, ce sont toujours ou presque les pires qui ont été faits. Par exemple, récupérer la vigueur (équivalent des âmes) perdues face à un boss prend plusieurs secondes durant lesquelles nous sommes à la merci de ses attaques, alors qu’aujourd’hui, la plupart des Souls-like permettent une récupération instantanée, voire même les déposent devant l’arène. Même chose pour les objets ramassés, se mettant automatiquement dans l’inventaire rapide au ramassage (provoquant parfois des utilisations malheureuses). Ça n’a l’air de rien comme ça, mais mises bout à bout, toutes ces petites choses ont pollué petit à petit l’ensemble.
Beaucoup d’autres points nous ont aussi vraiment déplu et ont ruiné progressivement toutes les bonnes intentions initiales. Lords of the Fallen propose un verrouillage d’ennemis particulièrement raté, celui-ci fonctionnant quand il le veut bien, se désenclenchant sans raison particulière et ciblant parfois un monstre à des dizaines de mètres alors qu’on cherchait à nous fixer sur celui à côté de nous. Et ce n’est qu’un exemple parmi un monceau de problèmes, dont une caméra douteuse ou encore des animations très perfectibles.
Mais ce n’est rien à côté des problèmes techniques que nous avons subis tout au long de notre périple. Si ces soucis semblent être corrigés sur PC, sur console (PS5 ici, en l’occurrence), nous avons expérimenté des crashs du jeu et d’innombrables ralentissements, faisant parfois passer le jeu sous la barre des 20 images par secondes.
Couper les différentes options d’affichage (flou cinétique, par exemple) et activer le mode performance a réduit ce problème, mais il reste toujours bien présent alors que nous en sommes déjà à la version 1.196. Pas le meilleur représentant pour un Unreal Engine 5 ayant encore tout à prouver.
Lords of the Fallen a été un véritable yoyo émotionnel. Nous avons adoré l’ambiance globale du jeu, sa direction artistique et son excellent level design. Les développeurs d’HexWorks ont réalisé un travail remarquable pour nous proposer un univers cohérent et y implémenter différentes mécaniques pertinentes comme ce second monde ajoutant une couche supplémentaire aux niveaux.
Mais à côté, nous avons régulièrement haï l’expérience, à tel point que nous avons plusieurs fois eu l’envie de laisser tomber un jeu qui, de toute façon, fait tout pour nous énerver. Il y a des monstres partout, tout le temps, qui rendent exécrable l’exploration et gâchent toutes les belles intentions initiales. Et plus globalement, Lords of the Fallen est un jeu qui ne sait pas récompenser ses guerriers (bien au contraire). Même les boss, pouvant représenter une sorte de récompense sous forme d’aboutissement, nous sont apparus comme très décevants pour la plupart. Alors oui, il y a aussi de très bons moments, quand l’exploration prend vraiment le pas sur les escarmouches, mais ils finissent irrémédiablement par retomber dans des excès, nous refaisant alors passer du plaisir à la détestation.
Il n’y a aucune demi-mesure avec le titre d’HexWorks. Tout est assumé, et ce jusqu’au bout. En résulte forcément autant d’avis divergents. Lords of the Fallen est une expérience si déconcertante et tranchée qu’elle sera probablement autant appréciée que détestée, et seul le temps pourra nous dire si le titre rejoindra son grand frère dans les limbes ou s’il aura obtenu sa rédemption.