Depuis près de six ans, la licence Life is Strange est la référence en matière de jeux d’aventure narrative. Après deux opus développés par le studio français Dontnod, Life is Strange: True Colors a été livré des mains de Deck Nine (anciennement Idol Minds) déjà en charge du développement du préquel Before The Storm par le passé.
Dans l’univers de Life is Strange, nous incarnons des héros (et surtout héroïnes) aux pouvoirs surnaturels inattendus, qui traversent des épreuves de la vie qui pourraient toucher monsieur et madame tout-le-monde, le tout avec une pointe de féerie. Dans cet épisode, Deck Nine nous présente une nouvelle héroïne pouvant analyser les émotions de ses interlocuteurs, représentées par des auras colorées. Est-ce que ce nouveau pouvoir a su convaincre ? Ou au contraire, est-ce une tentative vaine de renouveler la licence ?
(Test de Life is Strange: True Colors PS5 réalisée via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Un nouveau départ
Alex Chen, 21 ans, quitte son foyer pour jeunes en difficulté afin de rejoindre son grand frère Gabe dans la petite bourgade d’Haven Springs, dans le Colorado. Haven Springs représente tout ce qu’on peut s’imaginer du Colorado : une poignée d’habitants qui se connaissent tous, de beaux paysages et des commerces bâtis en bois. Ici, on est potes avec le garde forestier et notre garde-robe se limite aux chemises de bûcheron.
Ces deux jeunes gens ont jonglé d’orphelinat en orphelinat, et la chance semble enfin leur sourire. Malheureusement, ce bonheur sera écourté par un dramatique accident moins d’une semaine après l’arrivée d’Alex. Aidée (ou non) par les habitants, elle décide de tirer cette affaire au clair. S’ensuit alors une intrigue assez réussie dans son ensemble dans laquelle chaque choix entraîne son lot de conséquences, le sel même de la saga. En parallèle, on apprend que les derniers temps au foyer ont été difficiles pour notre héroïne, cette dernière a du mal à « contrôler ses émotions ». En réalité, Alex ressent les émotions des autres. On parle de « pouvoir d’empathie ». Cette faculté va ainsi apporter une mécanique de gameplay inédite basée sur les émotions des interlocuteurs.
Une expérience nuancée
Dès le début de l’aventure, nous trouvons rapidement nos marques. La mécanique est la même que pour les titres précédents, c’est majoritairement du déplacement et de la prise de décision. Pour ceux qui apprécient la direction artistique de Life is Strange, vous serez ravis d’apprendre qu’elle a été conservée et même embellie (police, illustrations, entre autres).
Premier couac : la zone de jeu jugée trop limitée. Seule la rue principale de la paisible bourgade peut être visitée. Bien que le but premier de la franchise ne soit pas de nous éblouir visuellement, on ressent un sentiment d’enfermement, et ce dès le début de l’aventure. On aurait aimé voir davantage de paysages pour varier les plaisirs et intensifier l’immersion. Difficile de ne pas comparer avec le premier opus qui regorgeait de décors variés (campus, dortoirs, falaise, décharge, etc.).
Notre seconde déception est liée à l’écriture inégale du scénario. L’intrigue reste plausible, mais la force de Life is Strange réside dans le fait que l’on nous a habitués à des dialogues intenses, des scènes prenantes et une implication forte. Avec True Colors, certains chapitres sont creux, et plutôt longuets. Malgré de bonnes idées, notamment dans le chapitre 3 avec un gameplay « jeu de rôle » inhabituel et plutôt distrayant, on regarde sa montre et on prend rapidement de la distance vis-à-vis de l’enquête.
Les dialogues restent plutôt naturels et les choix pertinents. On ne comprend pas forcément immédiatement les conséquences liées à nos décisions (avis aux amateurs de « ahhhhhh, mais c’est pour ça ! »), mais c’est aussi ça qui fait le charme de ce type de jeux. Les réactions des PNJ sont compréhensibles et plutôt logiques. À aucun moment, on ne se dit que la situation est tirée par les cheveux. En revanche, l’écriture manque d’humanité, et le caractère immersif de la narration se perd. À tel point que le choix final, qui aurait pu être intense émotionnellement, ne nous fait ni chaud ni froid.
Une héroïne pas si ordinaire
Pour parler concrètement du pouvoir d’Alex. Celle-ci peut déterminer quelles émotions traversent ses interlocuteurs (colère, tristesse, peur, bonheur…). Si elle s’approche d’eux, elle peut savoir pourquoi ceux-ci ressentent ces émotions et pourquoi pas les absorber afin de les aider.
Visuellement, les auras colorées sont superbes : elles apportent la touche de surnaturel et l’intensité dont ce pouvoir avait besoin pour convaincre. Malheureusement, les émotions auraient pu à notre sens être davantage exploitées, notamment sur les objets qui auraient pu dévoiler d’autres secrets. Il y a si peu d’interactions avec le monde que cela en devient frustrant, et nous fait passer d’acteur à spectateur dès la fin du premier chapitre. La plupart des dialogues et choix étant liés à des cinématiques, on finit par poser la manette et regarder l’écran comme si on regardait un film. Nous avons le sentiment de moins nous creuser la tête et, finalement, d’enquêter assez passivement.
Malgré tout, Alex porte très bien son rôle. Elle a une personnalité aussi agréable que mystérieuse, et l’ambiguïté entre son pouvoir et sa santé mentale fragile est très bien amenée : on se demande souvent si elle possède ce pouvoir ou si elle souffre d’un trouble de l’identité, développé dans le passé… Cette héroïne réussit à nous toucher, de par son vécu, mais aussi la façon dont elle traite les gens. On en sait suffisamment sur elle pour l’incarner et s’y attacher tout au long de l’aventure.
Life is Strange a surtout été popularisé par son mood si particulier, sa bande originale orientée indie rock et ses héros si touchants (vous trouverez d’ailleurs dans cet opus des références à Kings of Leon, Radiohead ou encore Dido). Life is Strange: True Colors remplit toutes ces cases avec ses personnages tout droit sortis d’une série à la Frères Scott, ses disques vinyles et paysages montagneux baignés de soleil.
Le pari est donc tenu pour Deck Nine. Même si nous nous sommes sentis peu impliqués dans l’enquête, il faut admettre que la patte tant adulée est toujours là. Le pouvoir d’empathie apporte la fraîcheur attendue, et l’héroïne est aussi attachante que complexe. Finalement, pour un jeu narratif, c’est tous les ingrédients nécessaires pour convaincre.