Souvent mis de côté, car soi-disant trop exigeant, ou semblant parfois évoluer hors du temps, le tactical-RPG serait-il le vilain petit canard du RPG ? Tour par tour, déplacement de troupes en case par case, obligation de stratégie construite en amont, gestion de ressources… Le T-RPG paraît être peu abordable aux yeux des néophytes.
Et pourtant, il se porte mieux que jamais. Disgaea 6 et Rise Eterna ont ravi les amateurs du genre cette année, et Super Robot Wars 30 débarque en octobre pour mettre en extase les fans de mechas. Ajoutons à cela Metal Slug qui s’y met pour faire vibrer le cœur des fans, Marvel qui tente le coup pour se racheter une crédibilité vidéoludique avec Midnight Suns, et on constatera que le T-RPG est loin d’être moribond.
Dans ce contexte plutôt favorable, King’s Bounty II signe le retour d’une licence culte des années 90, après quasiment dix ans d’absence, pour tenter de remonter sur le podium des meilleurs jeux de rôle emballés dans de la stratégie au tour par tour. En tentant de moderniser sa formule de base grâce à une aventure bien plus scénarisée et en dynamisant les affrontements, le titre réussit-il à regagner sa couronne ? Verdict.
(Test de King’s Bounty II réalisée sur PS4 à partir d’une copie fournie par l’éditeur)
Les révoltés du Bounty
Histoire de varier les plaisirs, King’s Bounty 2 offre la possibilité d’incarner l’un des trois personnages disponibles : le chevalier tombé en disgrâce Aivar, la comtesse Katarina et la Jeanne d’Arc locale, Elsa. Quel que soit votre choix, vous serez bien entendu l’élu·e à même de sauver le royaume de Nostria.
Impossible d’être surpris par le déroulé du scénario, ni par la proposition du jeu : vous devez discuter avec tous les personnages que vous croisez, accepter des missions, prendre des décisions plus ou moins morales, trouver de l’équipement dans des coffres semés de-ci de-là… Mise à part la quantité astronomique de quêtes qui ravira les complétistes, rien de nouveau sous le soleil du RPG post-Dragon Age.
La formule aurait pu fonctionner et satisfaire les boulimiques d’aventures à la sauce heroic fantasy, mais KB2 s’empêtre totalement dans la conception même de ce que doit être un jeu de rôle moderne. La narration selon 1C Entertainment (développeur du titre) est archaïque, fastidieuse et souvent frustrante. Nous osions ci-dessus une référence à Dragon Age afin d’apporter un peu de marge de manœuvre à King’s Bounty, car si nous avions mis The Witcher 3 dans la balance, la comparaison aurait été désastreuse.
Du point de vue narratif, Aivar est une brute sans cervelle, Katarina change d’avis et de personnalité comme d’armure, et si Elsa est la seule à exposer clairement ses motivations, elles n’en restent pas moins d’une rare futilité. Difficile donc de s’attacher aux héros, et quand on doit jouer pendant une trentaine d’heures (au bas mot) pour voir le bout de l’intrigue, ce qui débute comme un simple « mouais, c’est un héros classique » finit par devenir un « bon sang, pourvu qu’il meure à la fin ! ». Y a-t-il pire chose pour un RPG que de rater à ce point ses protagonistes principaux ?
Qui plus est, le jeu ne parvient pas à trouver l’équilibre entre une narration ciblée (à la The Witcher) et l’approche de la coquille vide (façon Legend of Zelda). D’un côté, les personnages n’ont pas assez de charisme pour pouvoir séduire le public, et de l’autre, les joueurs n’ont pas assez de liberté pour s’approprier ces mêmes personnages. Le studio a bien essayé de donner une illusion de liberté via une mécanique de dialogues à choix multiples (hello Mass Effect), mais son système de moralité est bancal au possible, et son impact sur l’avancée de l’histoire est quasi nul.
Bien rapidement, vous vous rendrez compte que la linéarité du jeu limite toutes les possibilités créatives du titre. Les quêtes et les phases d’exploration sont comme brimées par le fait que le jeu vous condamne à progresser dans un long couloir narratif. Ajoutez à cela que les récompenses des missions annexes sont ridiculement inutiles et que les énigmes sont d’un niveau CE1, et vous obtiendrez le meilleur cocktail pour dissuader les joueurs de s’adonner à une quelconque activité annexe.
Et pour celles et ceux qui auraient le courage de vouloir tout de même accomplir toutes les side-quests, les déplacements incroyablement lents, les lieux de voyages rapides placés au hasard (on défiera quiconque d’essayer une logique dans leur placement) et le backtracking incessant auront raison d’eux.
Cerise pourrie sur le gâteau mal cuit : la mise en scène est digne des pires navets du cinéma d’heroic-fantasy. Les interventions du bad-guy et de ses sbires renvoient directement aux Power Rangers, sans le coté fun des collants et des robots géants. Imaginez l’homme au masque de fer se prenant pour un méchant d’animes des années 80. Vous l’avez ? Malheureusement, nous aussi.
Le retour du quoi ?
Le tableau est-il donc entièrement noir ? Oui et non. Car King’s Bounty 2 bénéficie d’un énorme atout : son système de combat. S’il reste très classique (et très fidèle à ses aïeux), il n’en est pas moins très efficace. Les batailles nécessitent de la préparation, et on se retrouve avec suffisamment d’unités, de capacités et de sorts différents pour réussir à faire en sorte qu’aucun affrontement ne ressemble au précédent.
Certains combats peuvent même devenir assez ardus, même avec une bonne préparation, ce qui oblige le joueur à faire preuve d’une excellente stratégie, au risque de voir son escouade se faire rayer de la carte en quelques tours de jeu. On pourra juste reprocher un certain manque de rythme dans les escarmouches, mais cela permet d’apporter de la respiration au cours des batailles, nécessaire pour prendre des décisions tactiques efficaces.
Hélas, il n’y a pas assez de combats au cours du jeu. Est-ce une erreur de conception ou une volonté des développeurs ? Impossible de le savoir, mais avec plus d’affrontements, le titre aurait gagné en dynamisme, et cela aurait cassé la monotonie du jeu.
Enfin, si nous avons pris soin d’éviter LA comparaison que les connaisseurs attendaient, nous ne pouvons la taire plus longtemps. L’ombre de la série Heroes of Might and Magic plane en permanence sur King’s Bounty 2. Soyons clairs : excepté sur le plan graphique, bien que sorti en 2015, Might and Magic: Heroes VII surpasse en tout point KB2.
Le titre de 1C Entertainment semble manquer de finitions sur presque tous les aspects. Et cela est d’autant plus dommage que lors de leurs communications, l’équipe des développeurs ne manquaient pas de passion quant à leur produit. Est-ce un manque de temps de développement, un trop faible budget, ou simplement un ensemble de mauvaises décisions concernant l’orientation du titre ? Difficile à dire. Quoi qu’il en soit, le charme de la série n’opère plus, et il ne reste que de la déception une fois l’aventure finie.
Tristement limité par une philosophie de conception obsolète et par un moteur de jeu qui rame pour faire voguer la galère, King’s Bounty 2 ne parvient pas à convaincre. Dépourvu de réelles innovations tant du point de vue de la narration que dans ses mécaniques de jeu, ses très bonnes phases de combat ne parviennent pas à faire oublier l’immense déception ressentie pendant les dizaines d’heures monotones que le titre nous impose.
Seuls les fans inconditionnels de la série pourraient éventuellement y trouver leur compte, à condition de faire comme si la concurrence n’existait pas. Que tous les autres passent leur chemin, il n’y a ici malheureusement rien à voir.