Doit-on encore présenter Hitman ? La série née en 2000 propose un jeu d’infiltration dans lequel le joueur incarne un tueur à gage (hitman, en anglais, donc !) froid et efficace, l’Agent 47, qui devra remplir ses missions le plus discrètement possible. Le titre qui nous intéresse aujourd’hui, Hitman 3, est le troisième épisode d’une nouvelle série de jeux Hitman démarrée en 2016 avec un reboot de la saga revenant aux fondamentaux : un jeu d’infiltration, se pratiquant dans de larges arènes ouvertes. C’est cette recette que va répéter IO avec ce Hitman 3, premier vrai AAA de l’année. Enfin, « vrai » AAA, ou DLC camouflé ?
(Test de Hitman 3 sur PlayStation 4 réalisé à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Hitman 2.5 ?
Avec Hitman version 2016, IO pousse à fond les curseurs du jeu type « bac à sable », laissant une très grande liberté au joueur pour remplir ses contrats. D’innombrables petites histoires se jouent dans chaque niveau, chacune d’entre elles représentant une opportunité plus ou moins claire de se rapprocher de la cible. Le jeu consiste alors à explorer les niveaux, à observer et à écouter les PNJ pour trouver la faille… « Monsieur » est sur le point de prendre son déjeuner ? On se faufilera en cuisine pour verser du laxatif dans le plat, puis nous irons l’attendre sagement aux toilettes où il ne manquera pas de se rendre…
Clé de l’exploration et gimmick principal du jeu : les costumes. Au gré de ses éliminations (qu’elles soient létales ou non) de PNJ, 47 peut endosser le costume du personnage dont il vient de se défaire. Ce qui lui permet de pénétrer incognito dans des endroits qui lui seraient interdits, et de réaliser certaines actions à la vue de tous sans pour autant se faire immédiatement cribler de balles.
Reprenons l’exemple du plat empoisonné : une tenue de commis nous permettra d’entrer sans problème en cuisine, et de trifouiller les préparations, alors qu’en jardinier, ou même avec le complet noir de 47, ce ne serait pas la même mayonnaise (puisqu’on est en cuisine, hein…).
Des mécaniques que connaissent bien les joueurs ayant posé les pads sur Hitman version 2016 et Hitman 2, qui lui a succédé en 2018. Hitman 3 reprend exactement le gameplay de ses prédécesseurs, jusque dans les commandes, qui sont les mêmes que dans les deux premiers jeux. C’est d’ailleurs l’un des problèmes du titre, qui se rapproche franchement d’un gros DLC.
« La compile 100% hits ! »
Un sentiment renforcé par l’une des pourtant excellentes idées de cet épisode : le hub qui permet de rassembler l’intégrale de l’expérience Hitman en un seul et même endroit. Il est en effet possible, pour qui possèderait les deux premiers épisodes, de rapatrier tous les niveaux d’Hitman 1 et 2 vers ce Hitman 3, pour pouvoir jouer à n’importe quel niveau de la saga en partageant ses progrès. Le titre se présente alors comme l’expérience totale Hitman, une option qui devrait plaire aux complétistes…
« Mais quel est l’intérêt de ressortir de vieux niveaux ? », se demandera alors le néophyte. C’est que, dans un Hitman, l’aventure principale, le scénario, ne vaut que comme introduction, presque un tutoriel. Il y a deux temps dans le jeu. Tout d’abord, et c’est le temps du scénario, on a un premier contact avec le niveau, une première exploration. On se cantonnera ici à traquer la cible comme on peut, tout en essayant de rester le plus discret possible. On grapillera aussi quelques infos : là, des personnages qui évoquent un personnel manquant, ici un PNJ qui transmet un code à un collègue…
Autant de pistes qu’on s’amusera à explorer, à expérimenter, dans un deuxième, troisième ou quatrième run. C’est là la richesse d’Hitman : des dizaines de scénarios potentiels qu’on peut, ou non, déclencher. Sans compter les occasions qui se présentent à nous par hasard, quand, en cherchant un raccourci, on tombe nez à nez avec la cible, ou ces idées qu’on trouve nous-mêmes un peu débiles, mais qu’on testera quand même : ne dit-on pas que plus c’est gros, plus ça passe ?!
En fin de mission, un damier représentera l’ensemble des scripts contenus dans le niveau, nous indiquant ceux qu’on a découverts, et donc ceux qu’il reste à découvrir… Et derrière sa façade de jeu d’infiltration, le titre se révèlera tout autant puzzle game, et même point’n click : un peu à la manière de ces jeux en 2D qui ont fait la gloire de LucasArts, il faudra trouver quel objet associer à quel lieu pour avancer dans l’énigme…
47, un mec sans histoire…
On ne s’intéressera que très peu au scénario, et heureusement tant celui-ci est illisible. La trame narrative n’est qu’un prétexte pour nous balader dans des environnements complètement différents, et les cinématiques n’ont probablement été mises là que pour pouvoir monter une bande-annonce qui en mettrait plein les yeux. Hitman 3, c’est du jeu vidéo pur jus, un peu rétro dans sa conception du média, et qui ne se confond pas avec le cinéma : on est là pour le fun, et surtout pas pour raconter quelque chose, même si, d’une façon un peu méta, on fait semblant.
D’ailleurs, le héros lui-même est complètement transparent ; rien que graphiquement, il semble fait de cire. C’est un golem avec une mission à accomplir, une coquille vide. Il n’aura échappé à personne qu’il n’a pas de nom, juste un numéro.
Dans ce contexte, le cœur du jeu, ce sont ses niveaux et son level design particulièrement génial. Et là encore, ce sera une force et une faiblesse du titre. Pour ce troisième épisode, ce sont six nouveaux lieux qui nous sont donnés à visiter. On commence l’aventure à Dubaï, royaume du bling-bling, mais surtout grosse référence à Mission: Impossible, qui place d’entrée les ambitions du jeu du côté du blockbuster. Sorti de ce signal envoyé aux joueurs, le niveau est classique et sans être mauvais, il ne propose pas grand-chose de neuf vis-à-vis des premiers jeux.
The place to be
Il n’y a que deux niveaux qui nous proposent une véritable expérience Hitman réussie. Chonqing, tout d’abord, avec ses rues labyrinthiques, ses différents niveaux verticaux, et ses laboratoires secrets hyper-sécurisés ; c’est un véritable plaisir que de se perdre dans ces ambiances changeantes. Il est aussi hyper satisfaisant d’en maîtriser la topographie, et de passer des arrière-boutiques en tenue de SDF aux lumières froides des labos secrets via une trappe que nous aurons nous-même identifiée, et à côté de laquelle on garde bien au chaud un costume de garde armé !
Le niveau est de plus taillé sur mesure pour les nouvelles consoles. Entre les néons des rues commerçantes, et les reflets dans les flaques de pluie, les paysages urbains sont magnifiques et c’est un festival de traitement (réussi) de la lumière !
Deuxième niveau à la hauteur de la réputation de la série, Berlin, et son club complètement dingue dissimulé au pied d’une centrale électrique. Là encore, entre les terrasses, les locaux techniques, les différentes salles du club, les zones en friche… les fana d’exploration en auront pour leur argent ! Sans compter que visiter un tel lieu quand IRL il nous est impossible de sortir nous rend encore plus ébahis d’imaginer une boîte aussi incroyable. Et si on vous dit qu’en plus, on peut y être DJ…
Question lieu génial, le manoir anglais du deuxième niveau se pose là. Un niveau complètement à part dans la saga, dans lequel 47 va réellement incarner un rôle, et pas seulement en endosser le costume. Il s’agira alors de mener une enquête façon Agatha Christie pour une sorte de mini-jeu d’enquête vraiment cool, qui tranche avec tout ce que propose la série par ailleurs.
Le niveau arrive peut-être un peu tôt dans l’aventure (c’est le deuxième), et, étant le seul dans son genre, nous fait aussi à demi-mot une promesse qu’il ne tiendra pas : c’est le seul souffle de nouveauté auquel on aura droit avec Hitman 3.
Reste l’Amérique du Sud, et le dernier niveau, tous deux un peu trop scriptés, et beaucoup trop courts (il nous aura fallu moins de vingt minutes pour boucler Mendoza en difficulté maximum sans se faire repérer une seule fois…). Un contenu un peu chiche, donc. Attention, on s’amuse (et c’est bien là le principal), et la rejouabilité des niveaux offre au jeu une bonne durée de vie. Mais on a du mal à se débarrasser de ce sentiment d’avoir affaire à une extension. De luxe, certes, mais une extension tout de même.
Un sentiment mitigé, auquel participe un manque de difficulté général, même au niveau maximum « Maître ». Les défis (« en costume », notamment) seront là pour rehausser un peu le challenge, mais de façon un peu artificielle. Enfin, on déplore quelques bugs, mais surtout, et c’est le défaut qui a le plus entamé notre enthousiasme, l’IA du jeu manque franchement de cohérence.
Par cohérence, on entend ce comportement des PNJ qui fait qu’on y croit. Dès la première mission, les gardes du corps de notre cible nous laissent stupidement entrer avec celle-ci aux toilettes. Dans le dernier niveau, on revêt un costume de soldat d’élite avec trois phares sur le casque, mais les ennemis ne nous voient pas derrière une malheureuse caisse, malgré le halo lumineux qui éclaire les 15 kilomètres à la ronde…
Au final, Hitman 3 reste un bon jeu, et un bon Hitman. Le côté bac à sable est bien présent et laisse le champ libre à l’imagination du joueur. Graphiquement, même si le moteur reste le même depuis le premier épisode, le jeu tient bien la route, et est très bien optimisé (nous l’avons testé sur une vieille PlayStation 4 qui avait craché ses poumons sur les dernières grosses sorties, et on a trouvé ici les ventilos particulièrement calmes).
Quelques soucis viennent entacher un peu l’expérience, qui se révèle au final n’être qu’un super-DLC. Ce n’est pas un gros problème en soi, c’est même l’âme du jeu, sorti en 2016, on le rappelle, sous un format épisodique qui se tenait. Mais un DLC vendu au prix d’un jeu, ça peut faire grincer des dents… Probablement pas aux fans de 47 cela étant, qui retrouveront avec plaisir tout ce qui leur plaît tant dans la saga.