Dans un récit mêlant science-fiction et tranche de vie, Harold Halibut est un objet doux-amer qui vous mettra dans la peau du personnage éponyme, homme à tout faire anecdotique. Développé par le studio allemand Slow Bros., Harold Halibut est surtout un jeu entièrement réalisé en stop-motion à la manière d’un Wallace & Gromit ou d’un Chicken Run, proposition esthétique très radicale et extrêmement technique.
Premier jeu du studio, ce jeu entièrement fait à la main est un vrai contraste avec notre époque où l’utilisation des IA génératives est de plus en plus répandue et où la réutilisation, parfois à l’extrême, du même matériau (remakes et autres) est devenue une norme. Si c’est enfoncer une porte ouverte que de dire que c’est du côté de l’indie qu’il faut se tourner pour des propositions radicales, notre jeu d’aujourd’hui ne déroge pas à la règle.
Votre aventure sera saupoudrée d’ennui, de temps perdu et de dialogues extrêmement futiles voire parfois barbants, et c’est souvent génial. Toutefois, le jeu a parfois quelques loupés qui laissent penser que la proposition échappe parfois à Slow Bros. Ces petits écarts nous font nous demander : Harold Halibut maîtrise t-il son rythme et son propos ?
(Test de Harold Halibut réalisé sur PS5 à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
L’humain avant tout
Une galerie de personnages assez conséquente avec des caractères parfois bien trempés, parfois timorés : Harold Halibut est un jeu choral avant tout. Le Fédora, vaisseau dans lequel vous vivotez, est un microcosme et une métaphore de l’humanité. Il montre toute la complexité de notre civilisation, surtout qu’un dépassement du regard sera aidé par la comparaison avec une autre civilisation.
Le propos principal selon nous de Slow Bros., est de mettre le joueur dans la peau d’un banal personnage nommé Harold. Allant du teint blanchâtre de sa peau, à sa chemise crème et son pantalon marron, le personnage est quasiment monochrome. Son image reflète bien sa vie, rien ne semble dépasser, aucune excentricité, aucune passion. Nous tenons notre anti-héros. Extrêmement tête en l’air, Harold n’est intéressé par rien et est, de fait, peu intéressant. Les mots du Dr. Mareaux l’illustrent bien : « Les personnes qui s’ennuient sont les plus ennuyantes ». Cette phrase résume ce que pense tout l’équipage du Fédora : il est un homme avec lequel rien d’excitant n’arrive jamais.
S’il n’est pas déplaisant d’être dans la peau d’Harold, il est assez rare d’être un personnage si atypique dans un jeu vidéo, c’est surtout la personnalité du personnage qui illustre la proposition de Slow Bros, Harold est très (trop) bienveillant. Quasiment esclave du Dr. Mareaux, il est son laborantin mais également son homme de ménage, son livreur de repas, bref son homme à tout faire. Bien que le Dr. Mareaux soit bienveillante à l’égard d’Harold, il étend cette diligence constante, avec sa bonhommie et son flegme, à tout l’équipage ; il se retrouve donc à faire les cent pas pour aider le Fédora entier.
Livrer un courrier, apporter son aide (alors que la personne n’a parfois pas besoin d’aide, un simple envoi de message aurait d’ailleurs économisé plusieurs minutes de marche à Harold…), nettoyer les murs, faire la vidange du système de filtration, aller récupérer un outil, bref, Harold est la bonne poire de tout le monde et l’ami véritable de personne. Personne n’est antipathique sur le Fédora mais Harold est en manque d’âme sœur, d’amitié profonde. Des liens plus forts sont parfois tissés, notamment avec Buddy, qui donnera une suite de quêtes et un final tout de même assez émouvant mais la chose reste trop rare.
Ce qui fait briller Harold, c’est qu’il n’est doué en rien, il en est donc réduit à courir partout pour tout le monde. Entouré de sommités intellectuelles (Cyrus, Brigitte, Cyrus), de marchand au bagout inarrêtable (Slippie), de personnalités solaires (Chris et Sunny), Harold fait, littéralement, pâle figure. Jusqu’à ce que la surprise surgisse.
Une vie dynamitée
Avec l’arrivée de Weooo, notre ami alien, la vie d’Harold prend un tournant. Son sens de la vie est redynamisé et il semble enfin s’ouvrir. Weooo l’introduit à une nouvelle forme de vie, à une nouvelle approche philosophique de l’existence et installe une amitié jamais vue pour Harold. De quoi changer sa routine.
Et c’est principalement ce que nous avons aimé le plus dans Harold Halibut, l’éclatement de la vie pour Harold est également très fort pour le joueur. La mise en scène jusqu’alors très minimaliste, une fausse 2D dans un environnement étriqué et verdâtre, comme l’eau de la planète sur laquelle le Fédora a atterri, et gris, comme le métal qui le compose, fait désormais place à des couleurs vives et bariolées ainsi qu’à une 3D qui repousse les contraintes spatiales.
La caméra se fait plus libre, celle-ci change même parfois d’angle pour venir accompagner Harold, on pense notamment à la fissure de la grotte des Flumilyn, les habitants de la planète, qui est un véritable traveling accompagnant notre héros, véritable tableau enchanteur à la limite du bucolique.
Une fois à l’intérieur de cette fissure, on aura droit à des idées de mises en scène très fortes qui sont très parlantes, une scission de l’écran pour partager Harold et Weooo sur un même point de vue avec en ligne de mire l’autre… Ou encore des idées utilisant des scènes antérieures comme une Casselchop, la CEO de All Water, géante qui surgit depuis sa cachette, pour venir chercher un Harold incapable de s’enfuir.
Cette juxtaposition d’une nouvelle amitié à la découverte du complot de All Water fait prendre au jeu un sens particulier. Critique à l’égard du capitalisme et de toutes ses contraintes, le jeu justifie une meilleure utilisation de son temps et un rapport plus apaisé à celui-ci. Le jeu vante une simplification de la vie et apporte en parallèle un gameplay tellement simple que l’on vient à se poser une question étonnante : depuis quand sommes-nous aussi stressés ?
Yellow Submarine
De par ses allures prog rock bien sentie, le jeu lorgne souvent sur une esthétique des années 70 voire début 80. Avec une utilisation des musiques parfois très efficaces (un Bella Ciao nous aura fait esquisser un beau sourire et on peut vous dire que le rock allemand et la vie sous-marine se marient bien), le jeu possède une mise en scène, comme on l’a dit plus haut, et des musiques qui visent très juste.
Toutefois, tout n’est pas si beau dans les fonds marins. Même si la critique évidente du capitalisme via la figure d’All Water est palpable, le jeu ne fait rien de cette proposition et n’accomplit rien de révolutionnaire. L’écriture reste très gentille et c’est parfois assez navrant de voire certaines passages qui auraient pu être brillants devenir des lieux communs du genre ou des avortements quasi immédiats.
En effet, le village des Flumilyn ressemble plus à un Greenwich Village hippisé avec une architecture au final très peu exotique. C’est que le récit de science-fiction de Harold Halibut ne parvient pas vraiment à proposer une civilisation alien, mais surtout un récit SF vraiment original. La frustration de l’emploi du temps du joueur, se lever, livrer un objet, aller parler à quelqu’un, aller se coucher peut être extrêmement frustrant et cette boucle de gameplay très simple peut-elle justifier la pauvreté apparente en termes de gameplay ? Oui.
Le studio connaît le genre du point’n click et comprend bien ses forces et ses faiblesses. Genre où la résolution de l’intrigue prime sur le gameplay, Harold Halibut joue sur cette définition et l’incorpore dans son message même.
Dans une quête du toujours plus, Harold est un rembobinage sur cassette ou tout du moins une pause bien sentie. Harold Halibut est un instantané bienvenu sur l’être humain, ses contradictions, ses euphories et ses vies toutes différentes les unes des autres. Malheureusement, certaines faiblesses avec des blagues qui tombent à plat, des séquences de mini jeu très rudimentaires, des problèmes techniques (des discussions qui défilent comme lors d’un skip) rendent le tout imparfait.
Même si le voyage ne fut pas déplaisant, on pourra reprocher à Slow Bros. une écriture qui manque d’équilibre et qui ne va pas parfois au bout de ses idées. S’il est assez atypique de savourer la perte de temps dans le jeu vidéo, le jeu a bien conscience que les nombreux allers-retours sont une perte de temps, on ne peut s’empêcher d’être parfois frustrés à l’idée de prendre pour la vingtième fois ce tubulaire avec ces mêmes dialogues répétés en boucle.
A faire l’éloge de la simplicité, à la manière d’un Perfect Days de Wim Wenders, on ne peut s’empêcher de laisser poindre l’ennui. Le dispositif artistique reste toutefois très efficace, la matérialité du bois, du métal ou du tissu se retranscrit parfaitement à l’écran et fait savourer ce côté organique à la moindre cinématique. Harold Halibut est un témoin de cette fatigue de la course à la perfection et se veut être un rappel à un aspect fondamental de la vie : l’amitié.