Gloomy Eyes, c’est d’abord un court métrage en réalité virtuelle, sorti en 2020, et ayant obtenu le Cristal de la meilleure œuvre en VR à Annecy. Publié sur des supports comme le casque Meta Quest ou le HTC Vive, du matériel surtout utilisé pour le jeu vidéo, il manquait au film cette interactivité à laquelle sont habitués les utilisateurs de casques VR. Un défaut (qui n’en n’était pas un puisque l’oeuvre était pensée comme un film) désormais réparé, puisqu’Arte a accompagné les développeurs du court métrage, 3dar et AtlasV, pour le transformer jeu à part entière. Qui en valait la chandelle ?
(Test de Gloomy Eyes réalisé sur Xbox Series X via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Turn around bright eyes
Évacuons tout de suite le poncif qui va coller à Gloomy Eyes, un peu par sa faute : la comparaison avec les films de Tim Burton. On dégaine un peu vite le nom du réalisateur d’Edward Aux Mains D’Argent dès qu’un univers a des allures « horriblement mignonnes » ou « épouvantablement rigolotes ». Et il est certain qu’une large part des tests et critiques de Gloomy Eyes sortiront rapidement l’adjectif « Burtonien ».
En d’autres circonstances, c’est quelque chose qu’on n’aime pas faire. D’abord, parce que c’est un peu cliché. Mais aussi parce qu’on n’aime plus Burton depuis, à peu près, sa Planète des Singes (2001), film après lequel il s’est mis à tourner en rond et n’a plus fait que s’autoréférencer, voire s’autocaricaturer. « Burtonien », sous notre plumes, sonne donc un peu comme un problème.
Cela étant dit, on est bien obligé ici de faire allusion au réalisateur hollywoodien tant le jeu semble le chercher, de son scénario à son esthétique « gothique cartoon », jusqu’à ses décors qui iront, si ce n’est emprunter, au moins citer, l’arche que l’on voit sur les affiches de l’Étrange Noël de Mr. Jack
Zombie Roméo et Nerdy Juliette
Burtonien, donc, Gloomy Eyes possède aussi des accents Lovecraftiens. Le narrateur, évidemment un fossoyeur, évoque à un moment d’étranges lueurs qui semblaient venir du fond des mers… Dans un monde où le soleil s’est couché pour toujours, les zombies peuplent cette nuit éternelle, traqués par les humains qui comptent bien se débarrasser d’eux.
Secte fanatique ou milice (ou les deux !), ces chasseurs de zombies sont dirigés par Le Prêtre. Et, ajoutons un peu de Shakespeare aux références déjà évoquées, la nièce de ce dernier, qui enquête sur la disparition du soleil, va se prendre d’amitié pour le dénommé Gloomy Eyes, le petit garçon zombie. « Ah ! Si les autres enfants avaient bien voulu jouer avec lui… Il ne les aurait pas mangés ! », raconte le narrateur à propos de Gloomy Eyes.
Le jeu relate cette amitié impossible entre un enfant zombie et une petite fille humaine. Si « les contraires s’attirent », ils se complètent aussi très bien, et ce sera la base du gameplay de Gloomy Eyes.
99 Luftballons
Comme dans des classiques tels que Gobliiins (1991) ou The Lost Vikings (1992), il s’agit d’un jeu de « coop solo », dans lequel l’on va contrôler tour à tour l’un des deux enfants, tirant parti des compétences de chacun. Gloomy Eyes ne risque rien face aux autres zombies, peut lancer des projectiles (c’est même sa grande passion), peut porter et pousser des objets lourds, mais craint la lumière. La petite fille, Nena, peut, elle, utiliser des machines (appuyer sur des boutons, en fait), sauter, passer sous des lampadaires allumés, mais pas devant d’autres zombies (pour cause de cerveau frais trop appétissant).
On ira ainsi avec l’une éteindre la lumière pour que l’autre puisse passer, ce dernier pourra alors pousser un gros objet qui barrait la route à la première, qui pourra continuer de progresser, etc. Les énigmes ne sont jamais bien difficiles, et conviendront tout à fait à un très jeune joueur. L’amateur un peu plus rompu au genre tracera sa route « tout droit », parfois un peu agacé par les allers-retours nécessaires à la complétion de puzzles dont la solution était apparue comme trop évidente au tout début de la séquence…
Le Corbeau, honteux et confus…
La facilité du jeu n’est pas en soi un problème, surtout si l’objectif est de proposer un jeu à destination du jeune public (ce qui n’est pas explicitement indiqué dans la communication de l’éditeur). Les problèmes, car on en a rencontrés quelques uns, sont ailleurs.
Quelques bugs « emprisonnent » les personnages dans des endroits qui n’étaient a priori pas censé être accessibles, et dont on ne pourra sortir qu’à condition de recharger le dernier checkpoint (heureusement, jamais bien loin). Plus étonnant, notre personnage s’est vu à un moment « téléporté » d’un endroit à un autre et se comportait ensuite bizarrement, n’obéissant plus tout à fait aux contrôles. Là encore, il a fallu recharger le dernier checkpoint.
Plus gênant, nous avons été confrontés à ce qui nous semble être un problème de level design. Dans le niveau de la fête foraine, si l’on avance trop vite avec Nena sans positionner Gloomy Eyes en amont, ce dernier se retrouvera coincé au début du niveau sans possibilité de progresser, Nena ayant allumé des lumières qui l’empêcheront de la rejoindre. Il faudra alors recommencer le niveau depuis le début. Ce qui n’est pas « si » grave, mais n’imaginant pas immédiatement un défaut de conception du jeu, nous avons tourné, tourné, et tourné à la recherche d’une solution, et perdu autant de temps…
Enfin, la fable elle-même nous semble un peu boiteuse. Entre le Prêtre fanatique et ses sbires en quasi-tenue de KKK, on comprend rapidement que le zombie est une métaphore et que le jeu parle d’intolérance. Sauf que les zombies que l’on rencontre s’en prennent effectivement à Nena. Et le fossoyeur le raconte lui-même, Gloomy Eyes a littéralement dévoré ses petits camarades… Alors l’intolérance dont sont victimes les zombies pourrait être, tout de même, un peu justifiée. Ce qui rend, de façon contre-productive, la morale de la fable bien moins audible.
Avec ses personnages aux allures de figurines Funko Pop moches (oui, bon, il y a là une sorte de pléonasme…), et ses décors d’horreur cartoon, Gloomy Eyes n’est pas complètement raté, mais ne réussit pas vraiment à se trouver une identité propre. L’inspiration trop flagrante du côté de Tim Burton l’en empêche.
Côté gameplay, il ne se défend hélas pas mieux. Sans être désagréables, les puzzles sont un peu trop faciles pour que leur résolution aboutisse à une vraie satisfaction, et peuvent même paraitre poussifs quand ils nécessitent de nombreuses manipulations pour arriver à une solution que l’on avait identifiée dès les premières secondes.
Ce sera par contre un excellent jeu pour le très jeune public, même si la fable est un peu cassée… Reste à savoir si vous êtes prêts à mettre la vingtaine d’euros exigée pour un titre qui se parcourt en 2h30, soit moitié moins de temps que ce qui est promis par l’éditeur (quand on a plus de 10 ans).