Dans le monde des jeux indépendants, il n’est pas rare de retrouver de véritables OVNI, qui s’affranchissent de beaucoup des codes en vigueur au moment de leur sortie pour proposer des expériences sortant des sentiers battus et marquer les esprits. Beaucoup de joueurs se souviendront sans doute de Journey pour cette raison, avoir eu le cran de proposer autre chose qu’une narration établie, et ne pas se reposer sur un gameplay à base de « boum-boum t’es mort » dans une époque où les FPS faisaient la loi.
Fe, jeu développé par Zoink (nous vous recommandons par ailleurs leur excellent Stick It To The Man) et édité par Electronic Arts dans le cadre du programme EA Originals, est de cette trempe de jeux qui sortent des sentiers battus, mais cela suffira-t-il à le faire rentrer dans la légende et les cœurs des joueurs pour autant ?
Fe, parcours idyllique dans la forêt ou écharde au pied ?
Retour de la narration par déduction
Un point qui marque Fe est sa narration : silencieuse, calme et cachée. Démarrant l’aventure sous les traits d’une petite créature semblable à un goupil bipède, vous serez très vite mis dans le sel du scénario. Par un jour funeste, des créatures tombées du ciel débarquent dans la forêt et commencent à capturer les animaux qui la peuplent. Pour empêcher l’invasion d’opérer, il vous faudra donc vous faufiler et libérer progressivement les habitants originels du bois tout en déjouant les pièges laissés par les Silencieux.
Bien que le thème de base soit simple, il n’en reste pas moins efficace, en nous mettant dans la peau d’une population oppressée devant faire face à un ennemi dont les motivations restent obscures. La progression devient tant une quête pour la survie que pour la compréhension des motivations des Silencieux, permettant à Fe de laisser un fil rouge à suivre pour le joueur. Ce dernier se déroulant au gré des tablettes géantes ou des intrusions dans les souvenirs des Silencieux disposés ça et là dans la forêt.
Direction artistique cristalline
Vous l’aurez sans doute remarqué au travers des screenshots du test, le monde de Fe revêt une apparence aux angles très marqués, se rapprochant presque des formations minérales. Que ce soient les formations rocheuses, les plantes ou même les cours d’eau, seuls les animaux arborent une certaine souplesse organique dans le design. Ce choix particulier n’est cependant pas aussi simpliste qu’il n’y parait, puisque les différentes surfaces jouent magnifiquement avec les lumières ambiantes, donnant aux décors de magnifiques reflets pourpres ou orangés sur leurs bases violettes (du moins, au départ, les autres parties de la forêt possédant toutes des couleurs dominantes différentes).
Au niveau musical, les notes très douces viennent sublimer les ambiances posées visuellement par les jeux de lumière. Les musiques sont toujours suffisamment discrètes pour se laisser oublier et profiter du décor, et se laissent même parfois influencer par nos actions, mais sauront reprendre le dessus pour avertir d’un danger imminent. Les différentes mélodies viendront sous doute rappeler la bande-son de Journey (jeu dont l’influence est totalement assumée par Zoink) aux nostalgiques du titre.
Le jeu du Fe
Au niveau du game design, le joueur peut interagir avec une majeure partie des éléments l’entourant. Que ce soient les plantes et les animaux, chacun pourra avoir une réaction différente en fonction du cri poussé par votre créature. À noter que vous démarrez avec un cri de base, et qu’il vous faudra apprendre les langues des autres peuplades de la forêt pour élargir votre gamme de cris et vous allouer la possibilité de dialoguer avec chaque animal rencontré. Différentes plantes seront également sensibles à vos élans de voix et délivreront des fruits ou vous permettront d’accéder à des lieux inaccessibles sans leur aide. Une particularité du système de cri est de pouvoir en moduler l’intensité ou la hauteur par l’inclinaison de votre manette (merci au gyroscope), une idée bienvenue pour dynamiser l’action du joueur et lui permettre de s’impliquer plus physiquement dans le jeu.
Il sera également possible de débloquer d’autres capacités que les cris, comme celles vous donnant la possibilité de grimper aux arbres ou de planer après un saut. Ces talents se débloqueront grâce à des petits éclats de cristal rose qu’il vous incombera de récupérer au gré de vos pérégrinations. Sachez cependant que certains de ces petits filous sont cachés dans des lieux qui ne vous seront accessibles que si vous possédez certains cris ou talents, de quoi vous pousser à revisiter des lieux déjà explorés pour ainsi mettre la patte sur les précieux éclats manquants.
Conclusion de Fe
En bref, Fe est un jeu qui pourra trouver sans souci sa place dans la console d’un fan de jeux indépendants en manque d’une balade en forêt. La direction artistique est captivante et les jeux de couleurs sauront ravir les esthètes. Cependant, et c’est bien ici que le bât blesse, le jeu est bien mal optimisé sur la Nintendo Switch. Souffrant de chutes de framerate assez violentes dès lors que vous vous aventurez dans des espaces un peu trop ouverts, Fe perd de sa lisibilité et de sa jouabilité, transformant certaines traversées en parcours du combattant. L’aliasing est également de la partie, mais reste bien moins gênant que le problème précédent. Le jeu étant encore en version 1.0.0 à l’heure où nous écrivons ce test, il ne reste qu’à espérer la venue d’un correctif salvateur, mais il est à déplorer qu’un jeu avec autant de charme se retrouve dans cet état à sa sortie. Même en sachant que les portages mal optimisés sont réguliers sur la petite dernière de Nintendo (nous penserons notamment aux cas les plus flagrants que sont Troll and I et Rime), devoir poser sa manette alors que le jeu est bon est d’autant plus frustrant. En fin de compte, si vous pouvez fermer les yeux sur ces petits défauts (ou le prendre sur une autre plateforme), vous trouverez en Fe une très bonne expérience indépendante qui pourra vous faire passer de beaux moments d’émerveillement.