Alors au pied du mur dans les années 80, Squaresoft, afin de finir en beauté, lance sa dernière fantaisie vidéoludique. Une genèse à l’une des séries de J-RPG les plus populaires, aujourd’hui encore, qui a fait connaître au monde celui qu’on appelle aujourd’hui « le père des Final Fantasy », Hironobu Sakaguchi. Depuis, le bonhomme a pas mal baroudé dans le monde du jeu vidéo et, via son studio Mistwalker, a produit quelques titres populaires dans les années 2000 tels que Blue Dragon, Lost Odyssey ou The Last Story, jusqu’à aujourd’hui et la sortie de Fantasian: Neo Dimension sur consoles et PC.
Enfin, il serait plus exact de parler de ressortie puisque le titre était déjà sorti, en 2021 et en exclusivité sur l’Apple Arcade, le service d’abonnement vidéoludique de la firme à la pomme. De quoi lui octroyer donc une nouvelle dimension en le sortant du format étriqué du jeu mobile. Mais si le casting derrière Fantasian: Neo Dimension est plutôt prometteur, entre le concepteur originel des Final Fantasy, et son compositeur légendaire Nobuo Uematsu, parviennent-ils toujours à nous faire rêver comme ils ont su magistralement le faire à leur apogée ?
(Test de Fantasian: Neo Dimension sur Nintendo Switch réalisé à partir d’une version commerciale du jeu)
Final Fantasian
Commençons déjà par enfoncer quelques portes ouvertes. Fantasian: Neo Dimension est un J-RPG dans ce qu’il a de plus traditionnel. Du tour par tour, des combats aléatoires, des équipiers avec chacun un rôle précis, bref, du vu et revu pour qui a connu les débuts du genre. Sauf qu’aujourd’hui, ce traditionalisme a bien plus de mal à toucher les joueurs, habitués à des expériences au plaisir plus instantané et, surtout, au gameplay bien plus dynamique.
Pour autant, les développeurs ne se sont pas contentés de se complaire dans une vision passéiste du genre. Car si effectivement, on reste sur des combats au tour par tour où l’on doit alterner entre attaque physiques et compétences, nous sommes à même d’influencer la trajectoire de nos assauts. On peut ainsi, par exemple, courber diverses attaques afin d’atteindre un ou plusieurs ennemis inaccessibles via des itinéraires rectilignes.
Cela peut sembler relever du détail, mais dans les faits, cette influence nous offre une palette stratégique un peu plus étoffée que la normale. Et cela n’a pas été de trop pour relever les nombreux défis qui se sont dressés sur notre chemin, à commencer par les boss. Représentant le principal challenge du titre, ceux-ci demandent systématiquement ou presque l’utilisation d’une stratégie spécifique. Une approche qui a les défauts de ses qualités. Car s’il reste intéressant d’apprendre et comprendre ses adversaires, la moindre erreur se soldera irrémédiablement par un game over frustrant.
Un sentiment qui nous a plusieurs fois interrogé sur notre envie de poursuivre ou non l’aventure. Imaginez-donc un combat d’une vingtaine de minutes, où l’on passe notre temps à nous soigner et à renforcer nos statistiques défensives et offensives, pour voir le combats réduit à néant par des dégâts parfois disproportionnés infligés par le monstre adverse. Il faut dire qu’ils sont construits autour d’une solution presque unique, et que passer à côté pendant quelques tours conduira immanquablement à un échec. Reste finalement à recommencer à zéro pour tenter une autre approche, ou à fuir en quêtes d’autres objectifs.
On pourrait alors se dire qu’il suffit de passer par la case farming, à enchainer des combats pour prendre quelques niveaux de plus histoire de nous aider à surmonter les difficultés, mais le titre ne nous laisse même pas cette possibilité, l’expérience obtenue lors d’affrontements contre des monstres plus faibles étant drastiquement réduite. Même le fait de les « regrouper » ne suffit pas à glaner assez de points.
En effet, la principale innovation de Fantasian: Neo Dimension consiste à stocker des ennemis afin de tous les affronter une fois un certain seuil atteint. L’intérêt majeur d’un tel système étant d’éviter que le rythme soit constamment haché par la survenue de combats aléatoires, comme cela nous avait particulièrement dérangé sur le remake de Dragon Quest III dernièrement.
Ainsi, au lieu de lancer un combat, les ennemis sont envoyés dans la Dimengeon, une trentaine dans un premier temps, puis plus au fur et à mesure de l’aventure. Une fois cette dimension remplie donc, le combat s’enclenche et il faudra alors occire tous ces malandrins à la fois. Histoire de ne pas rendre la tâche trop ardue, divers bonus (dégâts, tours supplémentaires…) peuvent être récoltés pendant l’affrontement.
Une excellente idée permettant de ne pas ruiner le rythme des explorations de zones et de, paradoxalement, nous voir évoluer plus efficacement que d’obtenir quelques points d’expérience petit à petit.
Bref, au fil des heures, cet outil (désactivable au besoin) a tourné à plein régime et s’est révélé être une option de game design particulièrement intelligente. Si seulement son impact n’avait pas été autant amoindri par cette diminution drastique d’acquisition d’expérience, supprimant du même coup les options d’amélioration qui nous auraient évité bien des frustrations face à certains murs.
Deux jeux en un
Malgré son approche traditionnelle du J-RPG, Fantasian: Neo Dimension dispose d’une structure singulière. Pour rappel, le titre initial avait été proposé en deux parties distinctes. Une scission qui s’observe aisément durant l’aventure tant il y a de différences entre elles. Une évolution qui n’a d’ailleurs pas été sans nous troubler et, dans une certaine mesure, nous décevoir. Il faut dire que le titre est généreux, dépassant allègrement la soixantaine d’heures, à tel point que nous l’avons trouvé même trop long pour son propre bien.
Fantasian: Neo Dimension est avant tout un univers, un multivers même, dans lequel une épidémie de Mechteria, sorte d’infection mécanique, absorbe les émotions de ses victimes. On y incarne Leo, un aventurier devenu amnésique qui, en quête de son passé, fera la connaissance de Kina, une jeune fille adoptée aux pouvoirs mystérieux et avec qui il partira à l’aventure pour sauver le monde. Vous l’avez compris, tous les poncifs du J-RPG classique vont y passer. Non pas que cela soit un problème, mais on a forcément eu à de nombreuses reprises eu des impressions de déjà-vu.
Bien sûr, d’autres personnages viendront compléter notre équipe au fil de notre exploration de villes et donjons. Ainsi, la première partie du jeu est principalement centrée sur ces personnages et l’histoire. L’ensemble est assez linéaire mais on apprécie un rythme assez soutenu dans la narration et chacun des protagonistes, quoiqu’étant assez caricaturaux en apparence, se sont révélés plutôt bien écrits. L’alternance entre exploration, combats et narration est assez équilibrée et on n’a jamais le temps de s’ennuyer.
C’est à mi-parcours de l’aventure qu’un changement s’opère. Dorénavant, les combats se font bien plus présents et intenses et une liberté nouvelle nous est offerte. On passe d’un jeu qui nous prend par la main pour dérouler son histoire, nous distillant quelques quêtes annexes ci et là, à un cheminement beaucoup plus libre durant laquelle une multitude de missions principales et annexes s’offrent à nous. Sauf qu’après déjà plus d’une vingtaine d’heures, l’impression de n’avoir accompli que la première partie ne fut pas la meilleure surprise, et ce malgré l’implémentation d’un arbre de compétences plutôt complet.
Reste donc l’histoire et l’écriture des personnages pour nous tenir en haleine du mieux qu’elles peuvent. Alors effectivement, l’univers est fouillé et chaque protagoniste à bénéficié d’un soin certain, mais Fantasian: Neo Dimension se contente d’errer dans des archétypes éculés à d’user et abuser de Deus-ex Machina parfois presque risibles.
Nos héros n’ont plus d’indices pour poursuivre leur quête, qu’à cela ne tienne, Leo n’a qu’a se remémorer un lieu « par hasard » et s’y téléporter. On se retrouve dans un lieu où l’on est censé rester bloquer un certain temps, on a qu’à dire que notre outil de téléportation n’a plus de piles… C’est cela constamment, et malgré nos efforts pour éluder cet aspect ridicule du scénario, il a fini par progressivement ruiner notre immersion.
Et puis, pourquoi ne pas avoir proposé une localisation française pour le titre ? C’est à croire que personne ne croyait en ce portage, pas même leurs créateurs, qui se sont contentés de moins que le minimum syndical pour cette sortie hors du giron d’Apple. Alors certes, l’anglais reste assez abordable et même pour un anglophobe l’histoire reste très compréhensible, mais cela fait peine à voir que même le nom d’Hironobu Sakaguchi n’est plus un gage suffisant pour opérer quelques efforts d’adaptation dans d’autres langues.
Une aventure artisanale
Comme vous avez pu le remarquer, Fantasian: Neo Dimension dispose d’une direction artistique singulière. En effet, nous évoluons dans des décors issus de dioramas créés dans notre monde bien réel, puis numérisés afin de devenir les régions à explorer. On évolue donc dans des écrans fixes avec une caméra qui change d’angle selon notre positionnement dans l’environnement, un peu comme le proposait Final Fantasy VII et ses décors précalculés (avec le côté agaçant des déplacements qui ne se réinitialisent pas lors d’un changement d’angle, provoquant parfois des aller-retours indésirables).
Il en découle ainsi un cachet visuel étonnant et très appréciable. Reste que si les décors ont un charme indéniable, techniquement, et du fait de son statut initial de jeu mobile, le rendu sur une télévision nous fait penser à un jeu double A de la génération PS3/Xbox 360. L’image est baveuse, floue et lors de gros plans sur les personnages par exemple, on est à la limite de la PS2. Est-ce grave pour autant ? Pas vraiment, et le charme de ces décors fais main compense largement les carences techniques du titre, mais on aurait aimé que ce portage bénéficie de plus d’efforts pour le rendre moins abrupt à regarder.
C’est d’autant plus dommage que les designs des personnages et du bestiaire sont réussis et variés, avec différents biomes tantôt classiques, tantôt surprenants à explorer. En plus, en nous proposant d’explorer plusieurs univers différents, les développeurs de Fantasian: Neo Dimension ont pu s’amuser à créer des décors et monstres classiques d’un monde d’heroic-fantasy, ajouter une touche de science-fiction pour l’univers mécanique et même quelques décors plus exotiques.
C’est un peu le même ressenti que nous avons eu avec les compositions de Nobuo Uematsu qui signe là une bande originale très réussie. Alors certes, il n’y a aucune musique qui soit particulièrement marquante, mais l’ensemble est très homogène et s’intègre parfaitement à l’expérience. Pas de quoi non plus faire la différence quand vient l’heure du bilan, mais elle est suffisamment qualitative pour nous faire fredonner ses mélodies pendant nos pérégrinations dans les mondes du jeu.
Fantasian: Neo Dimension est un J-RPG néo-rétro avec un (très) fort accent sur le rétro. On pourrait presque le qualifier de passéiste tant il s’inscrit dans une vision traditionnelle du genre. Et si son univers est passionnant, avec ce monde d’heroic-fantasy envahi par un mal issu d’un monde mécanique plus proche de la science-fiction, il recycle pourtant pour les poncifs déjà éculés dans les années 2000.
Mais c’est surtout dans sa seconde partie, quand le titre sort de la linéarité de ses vingt premières heures, que le bât blesse vraiment. L’équilibre se rompt et on se retrouve lâché dans la nature avec des objectifs principaux ou annexes de partout. Et comme si cela ne suffisait pas, la difficulté, notamment des boss, monte de plusieurs crans, ajoutant ainsi régulièrement quelques défaites parfois frustrantes.
Pourtant, Fantasian: Neo Dimension a une proposition ludique intéressante, avec son excellent système de Dimengeon, sans doute la meilleure idée pour un jeu du genre depuis des années, permettant de pallier les longueurs inhérentes aux combats aléatoires. Et n’oublions pas la direction artistique et sonore de l’ensemble qui, si elle ne parvient pas à cacher les lacunes techniques et graphiques du jeu, lui confère une identité visuelle remarquable.
Alors au final, le titre se révèle être une expérience particulière, ni vraiment bonne ni complètement mauvaise. Elle demande toutefois un investissement indéniable de la part des joueurs qui devront passer outre les nombreuses lacunes du titre. Et pourtant, c’est à une partie de l’histoire du J-RPG issue de deux de ses pères fondateurs dont nous avons affaire, une histoire qui tente bien de se moderniser avec quelques idées intéressantes, mais une histoire qui a déjà été écrite il y a plus de trente ans.