Si Eternal Strands avait attiré notre attention, c’est surtout parce que c’est le premier-né de Yellow Brick Games, un tout nouveau studio fondé par des vétérans de l’industrie du AAA. Mike Laidlaw (Dragon Age), Thomas Giroux (Watch Dogs), Jeff Skalski et Frédéric St-Laurent B. (Assassin’s Creed: Syndicate) ont décidé de prendre leur indépendance pour créer leurs jeux, en gardant les bonnes pratiques de leurs années d’expérience chez les géants, tout en mettant l’accent sur le respect de leurs équipes.
Cinq ans plus tard, c’est donc Eternal Strands qui arrive sur PC, Xbox et PlayStation : un jeu d’action-aventure dans un univers fantasy, dont les premières images faisaient penser à un mélange entre Breath of the Wild et Shadow of the Colossus. Entre cette inspiration et le pedigree de l’équipe de Yellow Brick Games, les attentes étaient donc hautes. Eternal Strands a-t-il su relever le défi et se démarquer de la masse de sorties ?
(Test de Eternal Strands réalisé sur PC avec une copie fournie par l’éditeur)
Une envie de tisser
Après un cataclysme magique, la cité de l’Enclave semblait impénétrable. Brynn et sa bande, un groupe d’aventuriers magiciens, vont cependant réussir à traverser le Voile et devront percer les nombreux mystères de cette ville légendaire. Dans Eternal Strands, c’est donc la magie qui régit l’univers, et qui est ici présentée comme des fils qu’on peut attraper et tisser à sa guise pour en maîtriser différents aspects. La table grâce à laquelle vos compagnons peuvent vous guider a des allures de métier à tisser, les voyages rapides s’effectuent au travers de « portails tressés », et les pouvoirs s’obtiennent en récoltant des brins de magie sur de gigantesques ennemis, avant d’être cousus dans des capes qui permettent de lancer des sorts.
Cette approche est assez originale et plaisante à découvrir. Dans l’ensemble, le lore de Eternal Strands est riche, et l’univers est agréable à explorer pour en dénicher tous les secrets. Il nous a toutefois fallu quelque temps pour nous acclimater à tout ce vocabulaire : on nous parle de Tisserands, d’Arkons, de Voile… C’est parfois difficile de savoir de quoi Brynn et ses amis parlent, surtout dans les premières heures du jeu.
L’exploration est au cœur de l’expérience du jeu. On apprécie le fait que Eternal Strands ne soit pas un énième open-world vide avec moults points à suivre sur une mini map, mais une succession de zones semi-ouvertes, suffisamment grandes pour donner un sentiment de liberté tout en évitant d’être de simples couloirs. Dans l’ensemble, les décors sont réussis, et c’est agréable de se promener dans l’Enclave aux différents moments de la journée.
Les phases de gameplay se font à la troisième personne dans des décors en 3D, mais d’autres moments du jeu adoptent une direction artistique totalement différente : certaines cinématiques sont réalisées en animation 2D (dans un style qui rappelle furieusement la série The Legend of Korra, ce qui n’est pas pour nous déplaire), et les passages de dialogues avec notre équipe sont présentés via des plans fixes. Un patchwork qui peut être déroutant : si chaque élément est réussi en soi, on peut tout de même s’interroger sur ce mélange des styles, qui donne parfois l’impression que le jeu ne sait pas comment se positionner.
Souffler le chaud et le froid
La grande force de Eternal Strands réside dans son utilisation libre des pouvoirs magiques de Brynn. On démarre la partie avec deux sorts : un pouvoir cinétique qui permet de déplacer des objets ou d’envoyer valser les ennemis, et un sort de glace pour geler des surfaces ou créer des ponts. Par la suite, il faudra terrasser des boss pour récupérer leurs capacités et débloquer de nouvelles compétences.
Très vite, nous avons complètement abandonné l’épée et l’arc pour nous amuser avec les pouvoirs : on peut donc lancer une bombe ramassée grâce à la télékinésie, piéger les monstres dans un bloc de glace jusqu’à ce que mort s’en suive, ou tout simplement les attraper et s’en débarrasser dans un précipice. La magie permet d’avoir plusieurs solutions pour résoudre un même problème, et on ne peut qu’apprécier que le jeu nous encourage à être créatifs sans nous imposer une seule et unique façon de progresser.
Par cet aspect, Eternal Strands fait tout de même inévitablement penser à un Breath of the Wild : une jauge d’énergie qui s’épuise en courant ou en escaladant, des énigmes à base de feu et de glace, une exploration au cœur du gameplay… Ce n’est évidemment pas un mal en soi et cela fonctionne globalement bien, mais l’inspiration est tellement présente que dans les premières heures de jeu, on s’attendait à débloquer rapidement une voile et à pouvoir faire la cuisine avec tout le loot qu’on ramasse.
Éternel recommencement
Malgré toutes les qualités de Eternal Strands, il y a tout de même quelques accrocs dans cette jolie toile. Le principal est que la boucle de gameplay semble assez vite répétitive. Les affrontements contre les boss, bien que visuellement spectaculaires, finissent par se ressembler et s’éterniser : on escalade le colosse, on frappe aux endroits stratégiques pour lui retirer ses protections, on inflige un maximum de dégâts, puis on recommence sur une autre partie du corps jusqu’au trépas. Les sorts aident à varier les stratégies, mais cet aspect répétitif, combiné au bestiaire assez limité, atténue l’impact de ces confrontations qui avaient pourtant l’air épiques au premier abord.
La bande de Brynn va être très importante pour améliorer ses compétences : Sola forge de l’équipement, Laen fournit des potions, Dahm tisse des capes magiques, et ainsi de suite. C’est comme cela qu’on va avoir un sentiment de progression et de montée en puissance, plutôt que par un système de points d’expérience et de niveaux.
Sauf que pour faire tout cela, il faudra ramasser du loot. Beaucoup de loot. À tel point qu’on peut se sentir submergé dès les premières minutes du tutoriel. Coffres brillants un peu partout, ennemis, éléments destructibles dans le décor : tout semble vouloir nous donner quelque chose, mais on peine à comprendre l’utilité de chaque élément de cet inventaire rapidement saturé. Encore une fois, il nous a fallu un certain temps d’adaptation avant de pouvoir améliorer cette chère Brynn correctement.
Quant aux compagnons, malgré des designs charmants et des doublages réussis (on a même droit à une version française), il est difficile de vraiment s’attacher à eux. Les dialogues permettent de forger la personnalité de Brynn et de tisser des relations avec la bande, mais cela n’a pas suffi à nous faire sentir un réel investissement émotionnel : les personnages sont surtout utilitaires, tout comme les quêtes annexes qu’ils nous proposent.
Eternal Strands est un jeu agréable, conçu avec soin et sans une once de cynisme. Les mécaniques de sorts et l’univers de l’Enclave remplissent totalement leur mission de nous divertir quelques heures, le temps d’explorer cet univers et d’expérimenter avec les pouvoirs. Mais le manque de variété et la boucle de gameplay assez répétitive ont tendance à lasser et peuvent véritablement freiner sur la durée.
Pour un premier essai, les équipes de Yellow Brick Games prouvent qu’ils ont du talent et des idées à revendre. Si Eternal Strands ne restera peut-être pas en mémoire comme un grand jeu, on ne peut que saluer la sincérité qui semble en émaner, et nous suivrons avec attention leurs prochaines productions.