La pêche est, bizarrement, une constante du jeu vidéo, et ce depuis 1977 et la sortie de Gone Fishing, jeu de pêche entièrement textuel. C’est l’activité centrale de jeux de simulation comme chez SEGA, avec les jeux Bass Fishing, d’abord en arcade, puis sur consoles, où ils bénéficient même d’un contrôleur dédié. C’est aussi un mini-jeu récurrent dans les RPG : Dragon Quest, Final Fantasy, Yakuza… Tous ont leur mini-jeu de pêche. Même Sonic Frontiers en proposait un ! Alors Dredge, un jeu de pêche plongé dans un univers lovecraftien, très probablement l’auteur le plus adapté en jeux vidéo, n’a-t-il pas pour destin de devenir forcément un classique ?
(Test de Dredge réalisée sur PC via une version commerciale du jeu)
Dès que le vent soufflera, je repartira
Dans Dredge, on est tout de suite dans le bain, si on peut se permettre ce petit jeu de mots. Amarré au port d’une petite ville, on comprend qu’on est un pêcheur échoué là, notre embarcation détruite, mais que l’accueillant Maire s’est occupé de nous trouver un bateau pour remplacer le nôtre. Bateau qu’il faudra lui rembourser grâce au fruit de nos pêches quotidiennes. Une mise en place à la Animal Crossing, avec un petit twist : le Maire insiste sur le fait de rentrer au port dès le crépuscule, que naviguer plus tard serait dangereux…
Et ce sera l’un des ressorts principaux de la boucle de gameplay qui va s’installer : le temps qui passe, et la nécessité de rejoindre le port avant la nuit. Avant celle-ci, on partira donc à l’aventure en mer, dans une carte totalement ouverte, dont les frontières seront dans un premier temps celles imposées par le temps. Car on ne pourra pas trop s’éloigner de notre port d’attache si on veut pouvoir y retourner avant que le soleil ne se couche.
Garde la pêche
Tant que le soleil brille, on peut pêcher. Les zones poissonneuses sont repérables à un petit bouillonnement en surface. Les espèces sont différentes selon l’endroit où l’on jette sa ligne, et la profondeur marine. Il nous faudra d’ailleurs améliorer notre équipement pour pouvoir pêcher dans les différentes conditions rencontrées. Une petite routine pas désagréable se met alors en place, faite d’exploration des environs – raisonnable, l’exploration, avec toujours en tête ce crédo maternel du « ne t’éloigne pas trop, hein ! » –, de pêche – sous forme d’un mini-jeu aux mécaniques de QTE – et de gestion de la cale – les poissons attrapés devant être stockés dans la cale comme les objets dans un Resident Evil, avec optimisation de l’espace, et des choix parfois difficiles à faire, comme rejeter une belle prise à l’eau par manque de place. Routine se concluant toujours par un retour au port pour vendre le fruit du travail de la journée.
Peu à peu, de nouvelles possibilités s’offriront à nous en même temps que l’envie d’aller voir du pays se fera ressentir. On rencontrera de nouveaux personnages, comme la menuisière, qui nous permettra de rendre le bateau un peu plus performant, mais en même temps que la carte s’ouvrira, le mystère des lieux sera de plus en plus présent…
Un point particulièrement appréciable, qui fait même le sel de cette aventure : on mènera nos journées comme on l’entend. Qu’on consacre une ou plusieurs journée(s) à la pêche, à explorer la carte, à réunir des matériaux pour upgrader notre rafiot ou à aller rendre visite à certains personnages, Dredge nous donnera toujours le sentiment d’avoir avancé un peu dans l’aventure. Un sentiment de liberté qui sied tout particulièrement à cette balade en haute mer. De plus, malgré une carte finalement de taille assez réduite, il y a toujours quelque chose à faire dans le jeu. On ne s’y ennuie jamais. On aime d’ailleurs la navigation, sans point d’intérêt ni mini-map, mais qui exige de lire la carte et de s’orienter à la boussole. Sauf pour rentrer, ou le phare joue son rôle d’Étoile du Berger.
Dark Water
Cependant, on n’oublie pas que les lieux renferment un sombre secret, que les habitants évoquent du bout des lèvres, comme l’inquiétante gardienne du Phare. En modifiant notre embarcation, et en osant braver les flots, on découvrira d’autres lieux habités, et l’on fera autant de rencontres. Certains personnages nous donneront des missions à accomplir, qui ouvriront de nouvelles possibilités encore, qui amèneront de nouvelles rencontres, etc.
Chacun des habitants aura aussi des éléments de scénario à partager avec nous. Il y sera question de nombreux naufrages, de créatures rodant dans les eaux, ou d’un mystérieux trésor, qui, une fois découvert, a amené avec lui sur les îles une brume bien trop épaisse pour ne pas être inquiétante… Lovecraft n’est pas très loin. Après tout, L’Appel de Cthulhu est bien une nouvelle de marins, tout comme Dagon, autre conte classique du Maître de Providence, se passe dans un village de pêcheurs.
Et dans Dredge comme dans le Mythe de Cthulhu, la santé mentale du protagoniste sera mise à rude épreuve, et représentée d’une façon relativement ingénieuse par le jeu, avec un système qu’on ne vous révèlera pas ici afin que vous conserviez le plaisir de la découverte (point de trop classique barre d’énergie ici !). On est de toute façon persuadé que vous vous montrerez rapidement imprudent, et que vous aurez vite fait de vous retrouver perdu au milieu des eaux, dans les ténèbres d’une nuit sans lune… Alors, vous saurez !
Dredge est un jeu d’aventure rapidement accrocheur, un gros coup de cœur qu’on n’avait pas vu venir (la brume, sans doute !). On se prend très vite à sa boucle de gameplay, et on appréciera la liberté d’action qu’il nous offre. Les journées sont courtes, et les objectifs qu’on se fixe soi-même sont rapidement atteints, ce qui rythme agréablement les parties. Le mystère lovecraftien est très bien intégré au gameplay, et propose une très belle interprétation de la façon dont le Mythe de Cthulhu ronge l’esprit de ceux qui y sont confrontés.
Malgré une esthétique loin d’être hyperréaliste, et des enjeux somme toute mineurs (en cas d’échec, on en revient à la dernière sauvegarde automatique, c’est-à-dire la dernière fois qu’on s’est amarré à un port), on se surprendra à avoir véritablement peur du noir !