En bêta depuis déjà un an, Dreams, le jeu de création de jeux sur PlayStation 4, a déjà fait montre de ses incroyables possibilités, notamment à travers la démo PT (pour Playable Teaser), qui annonçait le Silent Hill de Kojima depuis annulé, entièrement recréée dans le jeu, ou avec la très impressionnante réinterprétation, toujours sous Dreams, du premier niveau de Metal Gear Solid (Kojima, décidément…). Le jeu est désormais disponible en version complète pour tout un chacun, augmenté de nombreux tutoriels et cours pour aborder son utilisation, et c’est l’immensité de l’infini qui s’offre à nous…
(Test de Dreams réalisé sur PlayStation 4 via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
« Everything is awesome »
L’outil grand public de création de jeux vidéo est arrivé très tôt dans l’histoire du média. Dès 1983, The Quill, un outil/jeu de création de jeux d’aventure textuels paraît sur ZX Spectrum. En 1990, c’est la révolution 3D Construction Kit. L’outil est incroyablement puissant et ergonomique pour l’époque, et sort sur à peu près toutes les plateformes du début des 90s : ZX Spectrum, Amstrad CPC, Atari ST, Amiga…
Depuis, l’intérêt pour le genre (car oui, c’en est un !) n’a pas faibli. La série des RPG Maker compte ainsi de nombreuses itérations, sorties sur de non moins nombreuses machines, depuis le milieu des années 90 jusqu’à 2017 avec sa version pour 3DS. Et il y a eu Little Big Planet, sur lequel Media Molecule, développeur de ce Dreams, a fait ses armes.
Plus proche de nous, il faut mentionner Disney Infinity, malheureusement marketé n’importe comment, ce qui aura conduit à son abandon. Car son éditeur a voulu mettre l’accent sur les jouets RFID qui accompagnaient le soft, et cela au détriment de la puissance et des capacités de l’éditeur. Disney Infinity est un superbe outil de création, disposant d’une interface graphique rendant la logique de programmation accessible à tous (les « lignes de programmation » sont représentées par des bornes et des câbles qu’on implémente dans les niveaux que nous créons), permettant de créer des jeux en 3D façon dungeon-crawler, des platformers 2D, des jeux de course… L’Infinity du titre, c’était bien la création de jeux, et non pas la collection de figurines…
Le dernier jeu de création de jeux, avant Dreams, fut Super Mario Maker 2. Malgré les limitations propres à la licence – il s’agit de concevoir de la plateforme 2D, et pas autre chose – le jeu est un succès public et critique. Il faut dire que le plaisir procuré par le genre est de même nature que celui qu’on ressent en fabriquant des jouets en LEGO. Le plaisir de la conception, d’abord. Avoir une idée, une envie, et chercher les moyens d’y arriver. Être confronté à des problèmes, les contourner, trouver des solutions… Pour arriver au deuxième point de satisfaction : la concrétisation de cette idée de départ !
« Tout devient possible »
Le slogan sarkozyste (que l’Histoire n’aura pas retenu) est ici particulièrement à sa place. Dreams, c’est l’outil de création ultime. La seule manière de faire plus, c’est avec un studio de développement professionnel. Et encore… Les joueurs de Disney Infinity retrouveront tout ce qui faisait la réussite de l’éditeur : la création de terrains, les éléments graphiques à assortir (ici un pont, ici une plante carnivore…), puis le gameplay à mettre en place avec les éléments logiques à implémenter. C’est l’un des aspects primordiaux à maîtriser pour s’amuser dans Dreams.
Sur n’importe quel élément du jeu, on peut poser des micropuces, ainsi qu’on les appelle dans le Dreamiverse. Ces micropuces sont la représentation graphique de la programmation des éléments de jeu. Imaginons, par exemple une plateforme qui s’écroule sous les pieds du héros – un classique. Il faudra joindre à la plateforme une micropuce qui commande l’animation “chute” (un déplacement brusque de la plateforme vers le bas).
Mais ce déplacement ne peut s’effectuer qu’au moment même où le joueur entre en contact avec l’objet, sans quoi il ne parviendra jamais à traverser. Nous ajoutons ainsi à la commande d’animation un compte à rebours d’une demi-seconde qui, une fois arrivé à zéro, lance la chute. Et pour démarrer le chrono ? Mettons en place une zone de déclenchement qui démarre le compte à rebours quand elle détecte la présence du joueur…
Il est aussi possible de placer des caméras, qui répondent à ce genre de programmation, de façon à lancer des cinématiques, ou à les bloquer pour avoir un jeu à défilement horizontal (pour créer un beat’em up, par exemple) ou vertical (et vous faire votre propre bullet hell)… Voilà en esprit (comme dirait Heuss l’Enfoiré) le principe de la logique du jeu. Mais Dreams va beaucoup plus loin que ça. Les différents éléments et personnages que nous allons placer dans notre jeu peuvent être modélisés à partir de zéro via le puissant outil de modelage maison. Un véritable logiciel de création 3D qui peut aboutir à des résultats bluffants.
Le jeu offre aussi la possibilité de créer ses propres animations, sa musique, de gérer la lumière… Ainsi, l’outil peut aussi être utilisé comme logiciel de création et de montage de courts-métrages animés, de clips musicaux…
« Too much of something is bad enough »…
… chantaient les Spice Girls. Et en effet, trop, c’est trop, pourrait-on traduire sommairement en français, et la plus grande qualité de Dreams sera aussi son plus gros défaut. La si grande complétude du soft vient ainsi nuire à sa lisibilité, et à son accessibilité. On l’a dit, avec Dreams, on a un outil presque professionnel. Sauf que le développement, ce n’est pas notre métier. En tout cas, pour la majorité d’entre nous.
Il faudra ainsi se familiariser avec le jeu pendant de nombreuses heures avant de pouvoir espérer mettre quoi que ce soit en place. La bonne nouvelle, c’est qu’il y aura un outil et une solution pour donner vie à n’importe laquelle de vos idées. La mauvaise, c’est que la plupart du temps, vous ne saurez pas où le trouver, et encore moins comment l’utiliser. En tout cas, pas tout de suite. D’ailleurs, pour en revenir aux icônes du Girl Power, elles chantaient dans le même titre que cité précédemment (Too Much, donc) que « short term solution ain’t no resolution »…
Se lancer dans Dreams, c’est se lancer dans une aventure extrêmement chronophage, de plusieurs dizaines, centaines, même, d’heures, dont les premières, celles de l’apprentissage, seront aussi les plus difficiles. Vous voilà prévenu ! Heureusement, Media Molécule a conscience de la difficulté d’accès de son soft, et ce dernier arrive bardé de tutoriels et autres cours.
Un an plus tard…
Si Dreams est dans les mains des joueurs depuis maintenant un an, en version bêta, cette version aujourd’hui proposée au grand public arrive accompagnée de toute une série de tutoriels sur la construction, la logique, l’animation… Également au programme, avant de se lancer dans le grand bain de la création – génération YouTube oblige – toute une série de cours d’autoformation en vidéo. Nous sommes donc accompagnés, pour le peu qu’on consacre au titre le temps nécessaire à sa prise en main. Nul doute, de plus, que les guides vont sous peu se multiplier sur YouTube, nous permettant d’appréhender un peu plus aisément le jeu.
Mais les tutoriels ne sont pas le seul ajout qui est venu compléter le titre pour sa sortie : une grande aventure, entièrement réalisée grâce à Dreams, vient servir d’exemple de résultats qu’on peut attendre, pour le peu qu’on maîtrise le logiciel. Le Rêve d’Art, la « campagne solo » promise est ainsi un véritable jeu, et un bon ! Pas vraiment utile pour apprendre à maîtriser Dreams, il sert d’exemple et nous prouve néanmoins les incroyables capacités du programme.
L’aventure balaie plusieurs genres, du platformer 3D, du puzzle-platformer, du point’n click, de la conduite, du shoot’em up et même, dans une certaine mesure, du jeu de rythme. La narration est maîtrisée, les auteurs se sont même permis des moments (très réussis) de comédie musicale, ainsi que des vraies cinématiques. On est face à un véritable jeu, intéressant en soi, au-delà de l’outil de création.
Bien entendu, seul devant sa PlayStation, il nous faudrait probablement plusieurs années pour arriver à ce résultat. Et si les équipes de Media Molecule ont effectivement réalisé cette aventure dans Dreams, c’est à plusieurs mains. Car le jeu propose une expérience multi très intéressante. Il est ainsi possible d’inviter des amis à rejoindre une création, et d’autoriser ces derniers à la modifier. On imagine déjà la naissance de petits studios amateurs, constitués online de différents « spécialistes », où chacun aura son rôle à jouer, de l’animation à la musique, en passant par le level design ou la modélisation des personnages… Comme chez les grands !
Notons également le mode Remix, qui permet de partir d’une création existante (celle d’un autre joueur), pour la modifier à volonté. Une façon intéressante de débuter et de prendre en main les outils, plus rapide que de partir de zéro…
Vers l’infini, mais pas au-delà ?
L’une des grandes questions qui pèsent sur le soft est celle de son écosystème. Car les jeux et autres œuvres créés via l’outil ne seront jouables et lisibles qu’au sein du logiciel. Il faudra donc avoir Dreams pour jouer aux créations Dreams, et pire, les heures et les heures de développement consacrées à nos dreams (c’est le nom, dans le jeu, des jeux créés grâce à lui ; oui, cela porte à confusion !) ne seront partagés qu’avec la communauté des possesseurs du jeu. Bien entendu, les espoirs de ventes du jeu doivent aussi compter sur ce public qui ne sera pas intéressé par la création, mais par la bibliothèque potentiellement infinie d’expériences…
Une autre question qu’on se pose, c’est celle de sa chronologie. On arrive à la fin de la génération en cours. La PlayStation 5 devrait sortir en novembre, dans neuf mois. C’est, en exagérant à peine, probablement le temps qu’il nous faudra pour commencer à maîtriser Dreams, et proposer des créations qui valent le coup. On peut bien entendu espérer la rétro-compatibilité sur PlayStation 5, ou imaginer un patch ou une sortie PS5. Sans garantie aujourd’hui…
Dreams représente l’aboutissement du genre. Dur de lui trouver des manques. Et quand bien même on mettrait le doigt sur quelque chose, il y a fort à parier que Media Molecule y a pensé avant ! Ainsi, par exemple, un patch devrait arriver incessamment sous peu pour prendre en charge la VR… Mais aussi complet soit-il, le jeu n’est pas exempt de défauts. Son exhaustivité aura vite fait de se transformer en complexité, et risque de perdre en route les joueurs ne pouvant/ne voulant lui consacrer le temps nécessaire à un minimum de maîtrise.
Cela étant, l’outil est incroyable, et devrait nous réserver de jolies surprises de la part des créateurs dans les mois à venir… Excitant !