Si ça traîne dans votre appart’, c’est un crush potentiel. Oui, vous avez bien lu. Dans Date Everything!, n’importe quel objet de votre quotidien prend vie, et vous pouvez développer une relation avec. Un concept loufoque, porté par une vraie tendresse pour le genre du dating sim.
Second jeu du studio Sassy Chap Games, édité par Team17, Date Everything! avait attiré l’attention à son annonce il y a un an. Et même si les visual novels et dating sims forment un genre permissif par nature, on était en droit de rester sceptique face à cette proposition aussi loufoque que risquée. Alors : coup de génie ou blague un peu trop poussée ?
(Test de Date Everything! sur PC réalisé via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Rencontre du troisième meuble
Employé de service client fraîchement remplacé par une IA, vous vous lamentez auprès de votre meilleure amie lorsqu’un colis mystérieux atterrit devant votre porte. À l’intérieur : une paire de “Dateviators”, des lunettes capables de donner vie aux objets qui vous entourent. Il suffit de les porter pour activer leur pouvoir. À vous de faire connaissance avec votre logement, littéralement.
Chaque journée vous accorde cinq “charges”, à dépenser pour interagir avec les objets de votre maison. Dialogue, mini-jeu, révélation existentielle ou absurdité totale : chaque activation devient une rencontre. Vous recevez aussi régulièrement des messages de l’extérieur via votre smartphone, notamment de votre mystérieux bienfaiteur et de votre bestie, qui ponctuent la narration avec un ton plus personnel.
Psychologie domestique
La boucle de gameplay, volontairement restreinte, devient rapidement un terrain d’exploration émotionnelle. Les relations évoluent selon vos choix, mais aussi selon vos specs : cinq statistiques (Smarts, Poise, Empathy, Charm, Sass) qui influencent les dialogues.
Ces données, générées par vos décisions passées, débloquent régulièrement de nouvelles options de réponse. Cette mécanique donne du relief aux échanges et pousse à incarner une posture émotionnelle : séduction, empathie, ironie, ou simple curiosité.
Le jeu vous prévient cependant : certains dialogues abordent des sujets sensibles comme l’isolement, le burn-out, le rejet, ou la sexualité. À tout moment, vous pouvez choisir de passer une scène. Une approche de game design responsable et bienvenue, qui permet à chacun d’avancer à son rythme.
Un jeu qui nous laisse 100 voix
Date Everything! peut se vanter de l’un des castings vocaux les plus ambitieux de la scène indépendante : plus de cent personnages entièrement doublés, avec une belle diversité de registres. On retrouve même quelques noms connus, comme Ben Starr (Clive Rosfield de Final Fantasy XVI), Grey DeLisle (Catwoman de Batman: Arkham City) ou Troy Baker (Joel de The Last of Us).
Chaque objet possède son identité vocale, son rythme, son style. Une télévision exubérante, un rideau dramatique, un distributeur de savon sarcastique : la direction d’acteurs est étonnamment juste. Il est cependant important de préciser que le jeu n’est actuellement disponible qu’en anglais et nécessite un bon niveau pour comprendre tous les jeux de mots, subtilités linguistiques et détours absurdes qui jalonnent les dialogues.
L’écriture oscille entre poésie absurde, introspection douce et nonsense total. On passe d’un débat métaphysique avec un tapis de course à une joute verbale avec un WC égocentrique. En tout, plus de 70 000 lignes de dialogue ont été enregistrées.
Built this way
Date Everything! n’est pas “un jeu queer” : c’est un jeu qui adopte une logique queer. Non-binarité, fluidité des genres, relations non-normées… Tout cela fait partie de son ADN, sans jamais être surligné ni transformé en gimmick marketing. Vous pouvez tomber amoureux d’une entité mentale, d’un objet sans genre, ou entretenir des relations platoniques, polyamoureuses ou simplement étranges. Il n’y a ni jugement, ni obligation de “romancer” pour progresser.
Le système de consentement, qui permet de sauter à tout moment une scène sensible, confirme cette volonté de créer un espace sûr, où l’exploration reste libre et respectueuse.
Une esthétique au service de l’imaginaire
Visuellement, le jeu ne cherche pas à impressionner. La maison est modélisée sobrement en 3D, les illustrations des personnages sont superbes mais volontairement kitsch, parfois grotesques, et les animations réduites au strict minimum.
Mais cette simplicité est un choix assumé. L’essentiel se passe ailleurs : dans les voix, les textes, les silences. Et même si certains avatars flirtent avec le mauvais goût, cette étrangeté visuelle fait partie du charme.
Votre maison devient un théâtre intérieur, où chaque recoin est une surprise en attente d’un dialogue. Et même si tous les personnages ne sont pas à la hauteur… Il est difficile de rendre une centaine d’interactions mémorables. Quelques objets font office de “meubles narratifs” mais l’ensemble reste étonnamment cohérent.
Un jeu sur nous, pas sur eux
Au fond, Date Everything! ne parle pas vraiment d’objets. Il parle de notre façon de remplir le vide, d’aimer sans retour, de créer du sens là où il n’y en a pas. Il évoque la solitude contemporaine, l’ultra-personnalisation des technologies, ou encore la dépendance affective à ce qui nous entoure.
Ce n’est pas un jeu pour gagner un partenaire : c’est un jeu pour apprendre comment relationner. Et ça, c’est bien plus rare (et bien plus utile) que la plupart des dating sims.
Date Everything! n’est clairement pas un jeu pour tout le monde. C’est un OVNI vidéoludique : étrange, verbeux, absurde… Unique. Si vous êtes en quête d’une aventure narrative atypique, à la fois drôle, touchante et inclusive, ce jeu mérite toute votre attention. Il demande cependant une certaine ouverture d’esprit… et une bonne dose de second (voire de troisième) degré.
Date Everything! interroge ce qu’est une relation, ce que signifie “aimer” : qu’il s’agisse d’un objet, d’un souvenir ou d’une idée. Et même si vous ne finirez pas en couple avec un tapis, il y a de fortes chances que vous tombiez amoureux du jeu lui-même.