Annoncé lors du dernier E3, Blair Witch de la Bloober Team fut l’une des surprises du salon de Los Angeles et notamment de la conférence Micorosoft. Il faut savoir que cette nouvelle proposition horrifique du studio polonais à qui l’on doit la franchise Layers of Fear ou encore le chef-d’oeuvre d’anticipation qu’est The Observer, est exclusive à la Xbox One et au PC. Il s’agit donc là d’une exclusivité – temporaire ? – qui nous propose de nous aventurer dans la très inquiétante forêt de Black Hills qui serait habitée par une dangereuse sorcière…
(Test de Blair Witch réalisé dans une version PC fournie par l’éditeur)
Blair Witch prend place en 1996, soit donc deux ans après la disparition des trois étudiants en cinéma qu’étaient Josh, Mike et Heather, protagonistes du premier long métrage, dans la forêt de Black Hills, non loin de la petite bourgade de Burkittsville dans le Maryland. Une légende raconte qu’une jeune femme accusée à tort d’être une sorcière au XIXème siècle hanterait les lieux et serait à l’origine de la disparition et de la mort d’hommes et enfants depuis. Une légende glauque certes, mais qui reste inventée de toute pièce pour le cinéma, et si le Projet Blair Witch avait su capter son audience à l’époque, manipulant astucieusement les masses via un faux docu-fiction incroyablement bien réalisé – jetez y un œil ici, ça vaut le coup -, cela ne reste que de la fiction.
Pour en venir à ce qui nous intéresse présentement, c’est-à-dire au jeu vidéo, sachez que l’on y incarne Ellis, un ex-flic au passé torturé de Burkittsville accompagné de son fidèle berger malinois Bullet. Tous deux gagnent la forêt de Black Hills dans le but d’aider les autorités à retrouver un garçon du nom de Peter disparu dans d’étranges circonstances. Commence alors un voyage dans un enfer boisé qui ne laissera personne indifférent.
Le Projet Blair Witch 2
Si Le Projet Blair Witch s’est depuis sa sortie vu offrir deux suites médiocres, même si celle de 2016 était potable, on ne va pas vous cacher qu’après avoir terminé le jeu de la Bloober Team, on n’est pas loin de penser qu’il s’agit là de la véritable séquelle du film originel. On y retrouve une atmosphère pesante, très calme, mais toujours très étrange et inquiétante, ainsi qu’une sorcière qui rejoue enfin intelligemment et sadiquement avec nos sens. La forêt de Black Hills parait dans un premier temps accueillante, d’une grande beauté, elle est une invitation au camping et autres parties de pêche entre potes. Mais une fois un certain seuil franchi et la nuit tombée, elle vous emprisonne littéralement et la malédiction de la sorcière de Blair pèse alors sur vous.
Blair Witch n’est pas un walking simulator à proprement parler comme peut l’être Layers of Fear, mais bien un jeu d’aventure horrifique dans lequel le joueur se doit de parfois sortir des sentiers battus pour trouver quelques indices intéressants sur sa quête. Le jeu n’est donc pas un rail que l’on suit en sursautant devant des jumpscares comme dans un train fantôme, mais plutôt un train fantôme qui propose quelques escales touristiques. Rassurez-vous, si jamais vous vous perdez dans les recoins sombres de la forêt, votre fidèle compagnon Bullet sera là pour vous remettre dans le droit chemin la plupart du temps, même si parfois on ne peut compter que sur soi-même.
On ne va pas se mentir, nous avons beaucoup plus apprécié l’expérience Blair Witch lorsqu’elle était scriptée, ou en tout cas plus scénarisée, que lors de nos petites balades plus ou moins ouvertes en forêt. Car si l’ambiance est constamment au beau fixe, grâce notamment à un design sonore extraordinaire – casque obligatoire – et un travail visuel déroutant et magnifique, la forêt semblant sans fin, gigantesque et dominatrice, les quelques séquences plus enfermées sont elles bien plus terrifiantes et étouffantes.
Le point culminant du jeu arrivant lors d’une dernière heure extraordinaire se déroulant dans la fameuse maison perdue dans les bois. À s’en faire pipi dessus que l’on ait sept ou soixante-dix-sept ans et probablement aussi la séquence la plus proche du premier film, puisque l’on y joue quasiment que caméscope en main, ceci faisant écho au principe du found footage.
Le fait est aussi que durant les sept à huit petites heures, suffisantes néanmoins, que dure l’expérience, on en compte bien deux ou trois assez molles et légèrement ennuyantes. L’action met du temps à se mettre en place en début de jeu et un léger passage à vide intervient en milieu d’aventure, heureusement totalement rattrapé par les deux fantastiques derniers chapitres. Mais même en étant imparfait sur son rythme, Blair Witch sait jouer avec nos émotions et nous égarer au détour d’un chemin.
L’Échelle de Jacob
Il y a un autre film qui a fait écho chez nous lorsque l’on a joué au jeu, c’est le moins connu l’Échelle de Jacob. De nombreuses similitudes existent entre Ellis et Jacob, tous deux sont des anciens combattants traumatisés par les affres de la guerre. Ils souffrent d’hallucinations morbides et voient leur réalité distordue et devenir anormale. Notre héros n’est pas un de ces personnages lisses que l’on peut parfois rencontrer dans le jeu vidéo, mais une personnalité souffrante, victime occasionnellement de stress post-traumatique et trouvant son salut auprès de son seul ami Bullet. Une présence qui le rassure et lui permet de ne pas sombrer dans la folie ou de tourner de l’œil comme ça peut lui arriver durant notre périple.
Son vécu est au centre des événements, tout comme ses actes passés, mais aussi présents, qui détermineront son propre destin. Et même s’il fait parfois preuve d’un certain détachement déroutant face à ses hallucinations, il n’en demeure pas moins quelqu’un d’attachant, car on réussit à s’identifier à certaines de ses souffrances. La relation qu’il entretient avec son chien est aussi d’une grande aide pour cela. Cependant, certains twists sont assez prévisibles finalement et le scénario reste assez convenu et sans surprise, et ce, même si plusieurs fins sont de la partie. Mais attention, cela ne veut pas dire que cela est inintéressant pour autant, bien au contraire.
Aussi, la Bloober Team a bien compris ce qui faisait la force du premier long métrage et comment ce dernier avait réussi à avoir une telle aura à sa sortie et les années d’après, à savoir proposer une fiction d’horreur réaliste. Ainsi, Blair Witch est ancré dans son époque comme jamais, nous propose d’utiliser un téléphone portable s’apparentant à un Nokia 3410 quasiment comme bon nous semble. On peut appeler même des personnes de notre répertoire quand nous le voulons – même si cela sonne souvent occupé -, alors que l’on peut même s’adonner à une partie de Snake entre deux jumpscares ou encore changer le thème de notre écran d’accueil et modifier la sonnerie.
D’autres choses se rapportent à cette époque bénie de la fin des années 90, comme l’utilisation de vieux talkie walkie, la couverture réseau défaillante – toujours le cas aujourd’hui – ou encore les bagnoles et les très rares éléments mobiliers que l’on peut apercevoir. Qui a parlé d’une télévision cathodique ?
Des petits détails qui font tout, comme cette construction du mythe de la sorcière de Blair effectuée de très belle façon à coups de documentation trouvée sur les lieux, de photographies et icônes mystérieuses, ainsi que de vidéos à regarder à l’aide de cassettes pour notre caméra. Ces bandes sont d’ailleurs très importantes, car elles nous permettent, pour certaines d’entre elles, d’influer sur notre notre environnement en manipulant l’image pour faire apparaître un objet ou ouvrir une porte dans notre présent.
Cet aspect du gameplay, mis en avant très tôt par les développeurs, n’est finalement pas si important, car toutes les choses que l’on peut faire jaillir des images en quelque sorte sont nécessaires à notre avancée, ce qui invalide automatiquement toute expérimentation de notre part, même si l’idée est franchement bonne. Blair Witch est en fait un jeu de piste. Pour trouver le jeune Peter et le secourir, Ellis va devoir plonger au cœur de ses souffrances et de son propre enfer pour réussir sa mission.
Pendant que le loup n’y est pas
Et pour ce faire, il va pouvoir compter sur son compagnon Bullet qui, via un système d’ordres très simple, va pouvoir remonter des pistes, chercher des indices dans son environnement, et même se prendre une remontrance ou une belle caresse assortie d’une petite croquette quand cela nous chante.
Bon, ces deux derniers points sont assez gadgets, mais sachez que c’est la présence du chien qui rassure le maître et le perdre trop longtemps de vue peut être néfaste, d’autant plus que ce dernier nous prévient aussi des dangers qui rodent dans les bois. Notre entente avec notre ami canin est l’une des satisfactions du jeu, aussi bien en termes de gameplay, même si cela reste limité, que sur son apport à la narration. On se prend littéralement d’affection pour cette boule de poils au point de craindre plus pour sa vie que la nôtre.
Et nos vies sont mises à rude épreuve lors de notre escapade naturelle. Non seulement parce que nos hallucinations s’intensifient de plus en plus au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans l’obscurité de cette forêt hantée, voyant carrément les lieux se changer en temps réel et refléter les pires cauchemars d’Ellis, mais aussi parce que des entités surnaturelles nous attaquent parfois. On parle ici de sorte de créatures faites de branches, mais paraissant tout de même organique en un sens, un peu comme la représentation faite de la sorcière dans le film Blair Witch de 2016.
Les premiers monstres que l’on rencontre s’affrontent assez facilement dès que l’on a chopé le coup, il suffit de les éclairer à l’aide de notre lampe torche pour les repousser. Bullet se tournant et grognant dans leur direction pour nous avertir du danger. Mais les autres demandent un peu plus de doigté, même si finalement, ces séquences sont plus tendues que réellement ambitieuses en termes de gameplay. D’autres menaces rodent aussi, mais sont moins frontales, comme ces sortes de mini tornades de feuilles qu’il suffit d’esquiver.
Finalement, Blair Witch est avant tout un jeu d’ambiance, une expérience horrifique à l’atmosphère lourde et tendue plus qu’un titre misant sur son gameplay. Si on possède un inventaire, que quelques casse-têtes très simples sont au programme et que des combats ou affrontements de toutes sortes sont à livrer, c’est bien l’enrobage qui fait de l’expérience ce qu’elle est.
Profonde dans son approche artistique et dans sa narration, trop lisse dans ses mécaniques de jeu, et c’est là son seul gros défaut, si on met de côté un aspect technique parfois moyen – ralentissements, clipping et des textures pas toujours très propres -, sauvé là aussi par une direction artistique totalement maîtrisée.
Blair Witch est la suite du film que tout le monde voulait. Respectueux du matériel de base, le jeu vidéo de la Bloober Team est une expérience horrifique déroutante, effrayante et d’une noirceur envoûtante. Artistiquement maîtrisé, blindé de bonnes idées parfois exécutées maladroitement, et sachant jouer avec nos peurs, il est une satisfaction que l’on ne saurait que trop recommander aux adeptes d’expériences du genre et aux fans de la saga cinématographique.
Il ne manque pas grand chose à Blair Witch pour égaler les meilleurs jeux du studio, peut-être un rythme un peu plus soutenu et un scénario moins manichéen et un peu plus d’ambition dans le gameplay.
Sans cela, le jeu offre de réels bons moments, une construction narrative et un personnage d’Ellis intéressant, ainsi qu’un berger malinois du nom de Bullet pour lequel on ne peut que se prendre très vite d’affection. La Bloober Team continue de nous offrir ici nombre de délires visuels et sonores réjouissants et se fait plaisir lors d’une dernière heure de jeu terrifiante qui fera frémir de peur même les plus aguerris d’entre-vous. Vous voilà prévenu, une fois sur son territoire, la sorcière de Blair ne vous laissera aucun répit.