Habitué à faire de ses productions vidéoludiques de véritables vecteurs de connaissances, le studio E-Line Media avait su s’entourer d’experts de la culture des natifs d’Alaska afin d’apporter de la véracité à son précédent jeu, Never Alone. Démarche qui sera reprise pour leur dernière production, Beyond Blue. Le but étant de proposer une expérience qui permettrait à tout à chacun de s’émerveiller et d’en apprendre plus sur ces mers et océans qui couvrent plus de 70% de notre planète.
Le jeu fut donc développé en collaboration avec des océanographes et d’autres scientifiques experts des fonds marins. Sans compter le travail conjoint avec Ocean X et les équipes de la BBC en charge du sublime documentaire Blue Planet II, source d’inspiration majeure du jeu. Et histoire d’embrasser pleinement son caractère scientifique et éducatif, Beyond Blue débuta sa plongée virtuelle le 11 juin dernier lors de la semaine des océans.
(Test de Beyond Blue réalisé sur PlayStation 4 à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Somewhere, beyond the sea
L’exploration de ce monde immergé et la découverte de sa faune se feront dans la peau (ou plutôt combinaison) de la scientifique Mirai Soto, une passionnée des baleines, qui, équipée d’une technologie dernier cri, souhaite observer, écouter et interagir avec la vie sous-marine de manière révolutionnaire.
En jeu, cela s’articule autour de huit plongées dans différents recoins du Pacifique Ouest. Au cours de ses plongées, Mirai et ses deux collègues, André et Irina, concentrent leur étude sur le suivi d’un bébé cachalot et de sa mère, apportant ainsi au jeu une trame narrative que le joueur sera motivé à suivre.
Se terminant en près de quatre heures, ces huit plongées seront l’occasion de découvrir les décors toujours bleutés, mais néanmoins variés, des fonds marins. De l’atoll baignant dans le soleil en passant par les profondeurs d’un bleu nuit où seuls d’infimes rayons de lumière arrivent à percer, jusqu’aux zones abyssales d’un noir d’encre où des créatures très rares produisent leur propre lumière dans un environnement en étant dénué, Beyond Blue nous subjugue grâce à la magnificence de la nature qu’il dépeint. Les modèles des nombreux animaux aquatiques, en plus d’être à l’échelle, sont correctement modélisés, permettant une immersion efficace.
Et malgré la nature virtuelle de ces plongées, nager aux côtés d’une baleine ou au milieu d’un banc de requins réussit à être une expérience des plus grisantes. Mais outre s’émerveiller, il faudra faire honneur au statut de scientifique de Mirai et remplir quelques objectifs à chaque plongée.
Ces objectifs s’articuleront à chaque fois autour de scans et de relevés à effectuer. Le gameplay qui en découle est simple à prendre en main en plus d’être très agréable, ce qui rend le jeu aisément accessible aux plus jeunes comme aux personnes peu familières avec le jeu vidéo, mais entraînant hélas une certaine répétitivité et le manque d’un véritable aspect ludique à l’ensemble.
Puits de connaissance
Mais c’est que le but premier de Beyond Blue est la transmission d’un savoir. Ainsi donc, il ne faudra pas espérer s’enrichir d’autre chose que des enseignements sur la vie sous-marine.
Concrètement en jeu, cette transmission se fait de plusieurs façons. D’abord, l’une des plus astucieuses consiste à ce que Mirai retransmette chacune de ses plongées à travers un live stream. Un ajout scénaristique ingénieux qui permet de justifier in-game le fait de Mirai décrive constamment l’environnement qui l’entoure.
Mais pas seulement. Cela permet également de répondre aux questions d’internautes, des questions que le joueur dans son canapé se pose aussi. Avec cette astuce, Beyond Blue fusionne parfaitement éducation et gameplay en plus d’éviter un écueil bien connu du jeu vidéo. À savoir, le personnage qui s’exprime à voix haute, sans raison apparente, dans le seul but de servir de tutoriel au joueur.
Ensuite, la récolte d’informations se fait via la mécanique principale de gameplay du jeu, le scan. Que ce soit directement via la combinaison ultra avancée de Mirai ou un drone en forme de raie manta, le scan sera l’outil indispensable de cette aventure subaquatique.
En scannant un animal, on récoltera des informations sur ce dernier. À noter que plus l’on scanne d’individus différents d’une même espèce, plus l’on étoffe les informations sur cette espèce (habitat naturel, comportement, etc.). Les complétionnistes en herbe prendront le temps de ne rien louper pour ainsi compléter le journal scientifique, une sorte de codex, accessible en jeu, mais aussi depuis le sous-marin.
Et justement, parlons-en du sous-marin. Ce dernier, s’il ne sera pas un véhicule contrôlable, fera office de base à Mirai entre chaque plongée. En son sein, Mirai pourra donc consulter le journal scientifique, mais surtout avoir accès après chaque plongée à de petits documentaires appelés « Regards sur l’océan ». Ces documentaires constituent une autre manière pour le jeu de remplir sa mission éducative.
Au cours de seize documentaires d’environ deux minutes chacun, le joueur pourra en apprendre plus sur les sujets évoqués dans les missions ou sur les personnes œuvrant pour l’étude et la protection des mers et océans.
L’Homme, destructeur des océans
Des personnes réelles avec des problèmes réels que le jeu essaie de nous dépeindre à travers Mirai et ses deux collègues, André et Irina. Toujours à bord du sous-marin, on pourra les découvrir davantage sur le plan personnel à travers des dialogues à choix multiples, l’idée ici étant de montrer via des personnages de fiction les sacrifices que des personnes passionnées sont prêtes à faire. Une approche qui contribue au ton simulation réaliste du titre.
Dans cette même mouvance, Beyond Blue n’ignore pas les problématiques actuelles. Hélas, la vie sous l’océan n’est plus aussi belle que celle que le crabe Sébastien nous décrivait en chanson. En plus d’être mise en avant dans les « Regards sur l’océan », l’impact de l’Homme se retrouve au cours des plongées où de nombreux déchets viennent décorer les fonds marins. Ne se faisant pas pour autant envahissante, cette réalité n’est pas ignorée et c’est tant mieux. Une piqûre de rappel plus que nécessaire.
À première vue, le titre remplit donc parfaitement sa mission en se plaçant comme vecteur de connaissances. Et pourtant, comme dit plus tôt, le jeu manque d’un aspect ludique dans son ensemble. L’unique mécanique du scan devient très vite répétitive malgré la variante qu’est l’utilisation du drone, ici entachée par la seule prise en main en peu retord du jeu.
On pourrait évoquer les lumières ultraviolet et rouge supposées permettre d’approfondir la mécanique du scan, mais à peine présentée, cette fonctionnalité disparaît pour de bon. En outre, si le fait de devoir scanner plusieurs fois la même espèce pour en apprendre plus sur celle-ci est une bonne idée, il est dommage que les documentaires nous tombent tout cru dans la bouche entre chaque plongée.
On a alors l’impression à certains moments que Beyond Blue oublie le jeu dans jeu vidéo, devenant une expérience assez proche du mode historique d’Assassins Creed Origins. Et ce malgré l’effort d’avoir intégré une trame narrative ainsi qu’une véritable personnalité aux personnages, renforcée par un doublage en anglais de qualité (sous-titres et textes en français).
Se terminant en près de quatre heures, le titre laissera les joueurs sur leur faim. Il existe bien un mode libre une fois l’histoire terminée. Mais à part les complétionnistes désireux de remplir à 100% le journal scientifique, il ne présente pas un très grand intérêt.
Concernant la technique, Beyond Blue est, malgré quelques imperfections (dont un lag durant la plongée dans les fonds volcaniques), globalement une réussite. Que ce soit Mirai, les environnements ou les modèles des animaux marins, l’on plonge avec plaisir et on se laisse happer par les profondeurs des contrées d’azur.
Une immersion renforcée par la musique, toujours au niveau. Qu’elle soit ambiante et onirique lors des plongées, ou une sélection de folk, électro pop et jazz à bord du sous-marin, la musique de Beyond Blue est une réussite. Seul bémol, l’on aurait aimé choisir la musique durant les plongées à l’instar des moments dans le sous-marin. Écouter le jazzman Miles Davis en pleine plongée aurait été un véritable délice.
Voilà, il est temps de refaire surface et de conclure ce test de Beyond Blue. Globalement, le jeu d’E-line Media répond aux attentes le concernant. C’est un jeu vecteur de connaissances dans la lignée des créations du studio. Accessible à tous, il offre l’opportunité pour beaucoup d’en apprendre plus sur la beauté et l’importance de la vie sous-marine. Il est juste dommage que la transmission des informations ne se fasse pas plus en adéquation avec son gameplay. Surtout que ce dernier n’est pas inexistant.
Mais, il semble stagner au stade embryonnaire, méritant clairement d’être approfondi. Car, encore une fois, le but de Beyond Blue n’est pas, comme le jeu Abzû, (il était impossible de ne pas faire le rapprochement) de proposer un simple voyage onirique et contemplatif, mais bel et bien d’éduquer, et le gameplay doit avoir une place dans cette démarche, sinon le choix du médium vidéoludique n’apporte rien de particulier.
Reste que Beyond Blue parvient à transmettre au joueur intéressé son savoir et à alerter sur les problématiques liées à l’impact de l’Homme sur les océans. Et il le réussit en usant du même procédé que Abzû. Émerveillement garanti.
Mais au contraire d’Abzû, c’est dans son approche réaliste des environnements sous-marins et de leurs habitants que Beyond Blue charme, rappelant ainsi qu’il faut œuvrer pour conserver de tels lieux. Enfin, à l’émerveillement s’ajoute un sentiment apaisé. Il est agréable de faire onduler Mirai entre les récifs parmi les bancs de poissons colorés.
Et ça, c’est le jeu qui réussit malgré son gameplay simpliste à simuler le sentiment que l’on peut avoir au cours d’une véritable plongée. Rien que cela mérite que vous lui prêtiez un peu de votre temps.
Au final, Beyond Blue est un jeu à la démarche assez unique. S’il n’est pas un must have dans une collection de gamer, il serait bon de le proposer dans des médiathèques et surtout dans des écoles. Car au-delà de ce jeu se trouve la connaissance.