Née en 2001 sur Game Boy Advance, la série des Ace Attorney s’est constituée une belle communauté à travers le monde. Mix entre point & click et visual novel, la licence de Capcom était depuis 2017 et la sortie d’un jeu mobile plutôt en sommeil. Mais depuis lors, l’éditeur japonais a entrepris de remettre sur le devant de la scène les épisodes principaux (entre autres) des aventures de Phoenix Wright avec une compilation de la première trilogie d’abord en 2019, puis aujourd’hui avec la seconde, Apollo Justice: Ace Attorney Trilogy.
Cette seconde trilogie inclut les épisodes parus sur Nintendo DS et 3DS en 2007 (Apollo Justice: Ace Attorney), 2012 (Phoenix Wright: Ace Attorney – Dual Destinies) et 2016 (Phoenix Wright: Ace Attorney – Spirit of Justice). Il est à noter d’ailleurs que, contrairement à la compilation qui nous intéresse aujourd’hui, les deux derniers opus ne bénéficiaient pas de localisation dans la langue de Molière.
Nouveaux héros, nouvelles enquêtes, nouveaux antagonistes judiciaires, et pourtant, on doit bien le confesser, nous sommes totalement passés à côté de ces épisodes lors de leur sortie initiale, la faute peut-être à une formule qui ne s’est pas suffisamment renouvelée (au moins en apparence) pour nous inciter à nous y plonger. Alors, c’est le moment d’une autre plaidoirie de l’emblématique avocat de Capcom pour défendre notre indifférence d’antan.
(Test de Apollo Justice: Ace Attorney Trilogy réalisé sur PlayStation 5 à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Rappel des faits
OBJECTION ! UN INSTANT ! Les gens autour de nous doivent nous prendre pour des fous. Pourtant, ce travail de nos cordes vocales est primordial si l’on souhaite être audible durant le procès. Car le dossier est loin d’être simple. Trois affaires à traiter à la fois, trois jeux qui auraient pu témoigner indépendamment, mais qui sont aujourd’hui indissociables les uns des autres.
L’affaire est donc complexe. Phoenix Wright n’est plus que l’ombre de lui-même et c’est au tour d’Apollo Justice, le bien nommé, de prendre les commandes d’opérations plus rocambolesques les unes que les autres. Plus d’Hunter non plus, le charismatique procureur nous ayant mis tant de bâtons dans les roues durant les premiers épisodes, ni de Dick Tektiv, son inspecteur un peu idiot et attachant, mais tout un tas de personnages inédits à rencontrer et à apprendre à connaître.
Pour autant, Apollo Justice: Ace Attorney Trilogy ne fait pas vraiment dans l’innovation, bien au contraire même. Depuis le début de la licence, chaque jeu a opéré plus ou moins de la même manière. Alors, encore une fois, cette trilogie s’applique à entretenir cette tradition. Un meurtre, une enquête, un procès et un dénouement, ni plus, ni moins. Une formule qui n’aurait pas dû tenir plus d’un ou deux épisodes, mais qui continue de perdurer et qui reste redoutablement efficace.
Ce qui lui permet de conserver toute sa pertinence, c’est surtout et avant tout son écriture. L’écriture des enquêtes, certes, mais aussi celle des personnages. Apollo et Athena, les deux jeunes recrues du cabinet d’avocat de Phoenix, n’ont peut-être pas son aura, mais on finit par s’attacher à eux au fil des dialogues, enquêtes et procès leur conférant chaque fois un peu plus d’épaisseur. Et puis l’humour, omniprésent, que ce soit au travers des conversations ou des situations et mimiques de personnages, arrive régulièrement à faire mouche, nous incite d’autant plus à nous impliquer.
Il en va de même pour les différents témoins, accusés et procureurs d’ailleurs. Chaque rencontre est une petite surprise en soit. On y découvre des caractères bien trempés, souvent caricaturaux, qui servent à la fois la narration et le gameplay du titre en nous permettant notamment de détecter plus aisément les failles dans leurs témoignages pour en démêler le vrai du faux.
Car les choses ne sont jamais ce qu’elles semblent être. Les événements, tels qu’ils nous sont présentés, ne révèlent qu’une partie de la vérité, voire sont carrément faux. On se surprend même parfois à nous mettre dans la peau d’un des jeunes avocats d’Apollo Justice: Ace Attorney Trilogy, à échafauder nos propres théories en suspectant tel ou tel protagoniste.
Bref, la formule fonctionne toujours autant. Et si elle fonctionne si bien, c’est aussi grâce à l’inventivité des enquêtes proposées. Alors certes, même si elles ne sont pas toutes dignes d’Eschyle, celles du second opus nous ayant paru moins intéressantes dans l’ensemble, elles réservent toutes leurs lots de surprises et de retournements inattendus.
Mais surtout, et pardonnez-nous l’expression, là où elles nous ont mises sur le cul, c’est dans l’impact qu’elles prennent dans le dénouement global de chaque titre. On nous prévient pourtant, dès le début même, en nous indiquant que les affaires ont toutes un lien entre elles, et pourtant, on se fait quand même avoir quand les derniers voiles de mystères s’évaporent et qu’enfin toute la vérité est révélée. Du grand art !
Contre-interrogatoire
Nous l’avons évoqué précédemment, l’écriture des personnages sert à la fois la narration, centrale dans la saga, mais aussi son gameplay, et notamment dans les phases de contre-interrogatoire. Mais avant d’en arriver là, il nous faut enquêter, les avocats d’Apollo Justice: Ace Attorney Trilogy portant aussi la casquette d’enquêteur.
Ainsi, une fois que les premiers éléments de l’enquête nous sont révélés, nous nous baladons de lieu en lieu à la recherche d’indices et de témoignages nous permettant de disculper notre client injustement incarcéré. Façon point & click donc, nous examinons chaque recoin de la scène de crime et interrogeons les éventuels témoins, les confrontant aux pièces à conviction trouvées auparavant pour les inciter à nous révéler ce qu’ils savent de l’affaire.
Cependant, héritage des DS et 3DS oblige, on se retrouve aujourd’hui amputé de fonctionnalités qui apportaient beaucoup à ces phases d’enquête. Au-delà de pouvoir crier nos interjections lors des dialogues, c’est surtout l’utilisation de l’écran tactile et du micro (pour le souffle par exemple) qui manquent. Ces séquences, originale pour l’époque, sont aujourd’hui reléguées à la simple pression d’un bouton, les rendant de fait beaucoup moins intéressantes.
Ne nous voilons pas la face, ces moments ne sont donc plus vraiment des plus palpitantes. Au fur et à mesure des enquêtes, cela devient même parfois carrément ennuyeux. D’autant que chaque étape est souvent nécessaire pour pouvoir passer au chapitre suivant du scénario, ce qui oblige parfois à fouiller « à l’aveuglette » à la recherche du petit élément non examiné ou à tester sur les PNJ chaque preuve collectée afin de trouver le dernier petit élément qu’il nous manquait.
C’est d’autant plus frustrant que, de toute façon, bon nombre de preuves nous sont de toute façon inaccessibles, l’accusation ne nous les révélant qu’au dernier moment, durant le procès. Car c’est véritablement durant ces phases que le titre prend toute son ampleur. Les témoignages s’enchaînent, tous plus à charge les uns que les autres, et c’est à présent à nous, à l’aide des pièces à conviction rassemblées, de révéler les erreurs et mensonges des témoins.
Bien rythmés, ces phases sont réellement le cœur de l’expérience, ces moments où se vérifient ou non les différentes théories que l’on a pu imaginer au cours de l’enquête, où l’on met à jour les machinations à l’œuvre dans l’ombre. Alors, encore une fois, il n’y a rien de bien fou dans ce qu’on nous demande de faire, mais il y a un côté assez jouissif dans le fait de mettre en exergue les erreurs de nos adversaires intellectuels.
Et puis, même dos au mur, on peut compter sur les pouvoirs magiques de nos différents compères. Façon deus ex machina, quand un témoignage n’a aucune ouverture, il y a toujours la possibilité d’outrepasser les limites du réel et de plonger dans le mystique pour confondre le témoin en détectant ses émotions contradictoires ou ses tics par exemple. « OBJECTION ! Vous avez bougé votre auriculaire de deux centimètres quand vous avez parlé de tomates, vous êtes fait comme un rat ! ». Absurde, mais on fait semblant d’y croire quand même, tout le reste tournant aussi régulièrement vers l’improbable.
Non, ce qui nous a vraiment gênés dans Apollo Justice: Ace Attorney Trilogy ne relève pas de ses quelques errements ludiques, mais bien du traitement apporté à cette compilation. Alors que nous avons été enchantés par la proposition du premier épisode, Apollo Justice, qui a bénéficié d’un soin certain, et notamment visuel (absolument magnifique), on ne peut pas en dire autant des deux suivants.
En effet, les modélisations des personnages en 3D ont un aspect vraiment daté et ne sont pas à la hauteur de ce que nous aurions pu espérer. Aussi, d’un point de vue plus global, on regrette que les bonus apportés par cette compilation soient si négligeables (à l’exception de la localisation française, irréprochable). Quelques costumes, une galerie visuelle et musicale, et c’est à peu près tout.
Monsieur le juge, le doute n’est plus permis. Oui, nous avons fait preuve de négligence en passant à côté de ces trois excellents épisodes d’Ace Attorney à l’époque de leur sortie. Et aujourd’hui Apollo Justice: Ace Attorney Trilogy nous permet de réparer cette erreur et d’enfin découvrir ces enquêtes rondement écrites. Comme dans une bonne série policière, bien que tirant volontairement ici dans le caricatural, nous y avons trouvé des histoires palpitantes portées par une bande-son entraînante et des personnages hauts en couleur et souvent attachants.
L’accusation a eu beau mettre le doigt sur les quelques erreurs de la compilation, comme un traitement décevant des deux derniers épisodes, ou ses bonus assez peu intéressants, voire même la relative déception des enquêtes du second opus, nous préférons mettre en avant le soin remarquable apporté à la localisation française.
Alors effectivement, les trois titres de cette compilation Apollo Justice: Ace Attorney Trilogy ne sont pas des grands jeux, mais ils restent d’excellentes expériences à vivre. Sans doute pas à la suite, les épisodes, d’une trentaine d’heures chacun, risquant de lasser à la longue, mais pour combler les creux dans les sorties de 2024, on l’en juge tout à fait digne.