Les Madrilènes d’Out Of The Blue Games avaient signé le très réussi Call of the Sea, un jeu d’aventure lovecraftien qui surprenait notamment par son côté luxuriant et coloré, inhabituel quand on traite les thématiques cthulhusiennes, pourtant adaptées en jeux vidéo plus qu’à leur tour. Après un portage VR plutôt réussi de ce même jeu, le studio revient aux affaires avec American Arcadia, là encore appartenant à un genre particulièrement codifié : le cinematic platformer.
Issu d’une longue histoire parsemée de titres grandioses, le genre est propice à se casser les dents (Stella, Sommerville…), à tel point que même l’un des maîtres du genre, Jeppe Carlsen, a décidé de s’en éloigner pour son dernier titre, Cocoon. Alors, les talents du Studio Out of the Blue ont-ils trouvé l’angle pour faire sortir American Arcadia du lot ?
(Test d’American Arcadia sur PC réalisée via une copie commerciale du jeu)
Secret Story
Le cinematic platformer se reconnaît à trois éléments essentiels : le gameplay en 2D « filmé » selon un travelling horizontal, les énigmes qui viennent entraver la progression du personnage, et l’importance de la narration, de la narration environnementale surtout.
Une course à droite toute (le plus souvent) propice à raconter la fuite en avant. Et ce sera le cas dans American Arcadia, la ville « idéale » que le héros, Trevor, cherchera à fuir à tout prix tout au long de l’aventure. L’inspiration principale du scénario sera le Truman Show, le film de Peter Weir avec Jim Carrey (1998) ; nous ne divulgâchons rien ici, la révélation arrive dès le début du jeu.
Comme dans le film, les journées de Trevor, se suivent et se ressemblent, débutant à chaque fois par le salut amical envoyé au voisin. Jusqu’à ce que des événements perturbants viennent s’immiscer dans son existence routinière, et qu’une mystérieuse inconnue l’enjoigne à fuir : les dirigeants d’American Arcadia chercheraient à l’éliminer. Trevor apprendra alors la vérité sur son existence : il n’est que le personnage d’une téléréalité à grande échelle.
S’ensuivra une longue course poursuite avec les services de sécurité de la cité-studio, qui veulent à tout prix empêcher Trevor de quitter la ville… À moins que ce ne soit la voix, le véritable ennemi ?
Running Man
Les inspirations du jeu sont multiples, avec évidemment The Truman Show en tête, mais aussi The Running Man, le film de Paul Michael Glaser avec Arnold Schwarzenegger (1987), vaguement basé sur un roman de Stephen King, dans lequel un condamné doit échapper à une bande de tueurs lancée à ses trousses, le tout devant les caméras d’un jeu télé particulièrement cruel.
On peut également penser à la série Le Prisonnier, dans laquelle, exactement comme Trevor, Numéro 6 est coincé dans un village-prison dont il veut s’extraire. L’esthétique du jeu, très inspirée du début des années 70, renforce ce clin d’œil, tout comme le fait que Trevor est désigné à American Arcadia par son matricule. Bien entendu, la téléréalité contemporaine est aussi convoquée.
D’ailleurs, des séquences façon « le confessionnal » (pour reprendre le vocabulaire du premier Loft Story) montrent les personnages principaux du jeu s’adressant directement à la caméra, comme dans une séance d’entretiens. La narration d’American Arcadia se déroule ainsi à la manière d’un documentaire qui reviendrait sur les événement racontés par le jeu.
Le titre possède aussi un côté méta, en faisant de nous des spectateurs de ce documentaire en même temps que des acteurs, aux commandes des héros. On est, dans une certaine mesure, un peu dans la situation de Trevor, acteur principal de sa propre vie, mais en même temps personnage subissant cette fiction construite autour de lui, dont il n’avait pas conscience.
Entrer par la porte, sortir par la fenêtre
Dans un autre mouvement méta, le jeu, comme son héros, s’échappe lui aussi de sa condition de cinematic platformer en proposant des séquences de gameplay inhabituelles dans le genre. Profitant de la présence d’Angela, la voix d’abord mystérieuse qui accompagne Trevor dans sa fuite, le jeu nous propose d’en prendre aussi le contrôle. C’est alors à travers une vue à la première personne, façon FPS, qu’on résoudra des énigmes un peu différentes de ce à quoi le genre nous a habitués.
Et puis, il s’agira parfois de jouer à la fois avec Trevor et Angela, celle-ci l’observant à travers les caméras de sécurité qu’elle pirate (d’où le choix particulièrement judicieux de la vue subjective dans les phases où on la contrôle). Le stick gauche nous permettra alors de contrôler Trevor, tandis que le stick droit permet d’effectuer des actions pour Angela. On se souvient alors du chef-d’œuvre de Josef Fares (It Takes Two…), Brothers, A Tale of Two Sons, dans lequel on contrôlait deux frères en même temps, chacun avec un stick.
Les inspirations, clins d’œil, et comparaisons s’enchaînent dans American Arcadia, faisant du jeu un gros mash up d’influences, tant dans sa narration que dans son gameplay. Néanmoins, difficile de le lui reprocher tant tout s’imbrique plutôt bien. L’aventure est plaisante à suivre, bien mise en scène, avec une patte graphique low poly qui fonctionne de concert avec l’esthétique 70s que s’est donné le titre. Les énigmes sont variées, déjà vues dans les autres titres du genre, mais se répètent peu et font donc leur petit effet à chaque fois. Le jeu, essentiellement narratif, ne représente pas une grande difficulté, même s’il faudra prendre le coup du gameplay asymétrique à un joueur (!).
Une nouvelle fois, Out of the Blue a su s’emparer d’un genre bien balisé et, à l’image de son héros, s’en extraire pour livrer un titre qui n’a rien de nouveau, mais réussit à surprendre, et qui, et ce n’est pas toujours le cas dans le genre, sait se finir. Le moto du studio dit : « We design puzzles. We tell stories. » C’est aussi simple que ça, et ça fonctionne terriblement bien.